Il actionne les trompettes de son taxi à fond les décibels. Il lâche son volant pour gesticuler dans tous les sens. Il orchestre un ballet d’insultes contre le chauffeur de la voiture qui marque un arrêt alors que le feu orange et sa flèche clignotante indiquent qu’on peut tourner à droite sans marquer de stop.
«On se demande qui lui a vendu son permis de conduire rien qu’à la manière de prendre le virage, ça se voit que machi oueld bled. Ah, ces sacrés nouveaux taxieurs, ils nous ont bousillé el-khobza ! Ça s’arrête là où ils veulent, ça charge des hommes avec des femmes sans aucun respect, ça met de la musique à la limite de l’indécence…
Et oui ! Ils auraient été de véritables fils de la ville, leur comportement aurait changé, yahachmou . Moi, cette ville, mes grands-parents y sont nés. Je la respecte comme ma mère.
Il m’arrive de m’arrêter pour déplacer une poubelle qui dérange la circulation. Je la respecte comme ma propre mère, cette ville. Quand je vois un vieux arrêter un taxi, il passe en priorité. Quitte à ne pas encaisser. Je suis à la disposition du voisin et de l’urgence quand elle se présente. Pourquoi ? Parce que je respecte cette ville comme ma propre mère.
Un mot gentil de la part d’un client me met du baume au cœur. Jamais je ne pesterais pendant un embouteillage. Allah Ghaleb, la ville a été envahie par la ruralité. C’est comme si on avait bafoué l’intimité de ma mère que j’adore ».
Il remet ses trompettes en marche, sa gesticulation se fait nerveuse. Devant lui, une voiture a ralenti sans crier gare. Il patiente un moment. Le moteur de la bagnole qui le précédait a calé. Ça peut arriver à tout le monde. Au moment où il décide de la doubler, elle démarre. Les roues avant du taxi s’enfoncent dans une fosse « Inâal bou ce bled ! ».
Dire qu’il aime ce bled comme sa mère
10 juin 2010
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