Il s’agit en fait d’un douar qui peut exister, sinon existe partout dans l’immense pays. Il est une particularité. Voire une étrange singularité qui se meut très loin de l’abondance des milliers de chantiers qui s’ouvrent et ne se ferment pas. Lui, il est fait du temps. Les ans l’ont façonné de manière à le faire oublier en le fixant au sein de l’inabordable.
Là où la vie n’est que sommeil, la nuit qu’une continuation de jours.
Avouloir trop faire parler des chiffres, l’on s’installe, sans devoir le faire, dans une situation d’état des lieux. Construire des quantités de logements, faire sortir des terres végétales des blocs et résidences universitaires ou faire brancher un sommet à la source gazière, peut paraître digne de grands travaux. Mais, dans la large vertu que la nature tend à nous offrir le long des siècles, il est de ces minimes actions, qu’insignifiantes et anodines dans leur exécution, qu’elles vous provoquent l’éloquence et la paisible sensation d’un bien-être, que l’on croyait perdu à jamais. Parfois, il suffit d’un rien, d’un minuscule geste, d’une simplicité banale pour arriver quand bien même à susciter de l’admiration. Par contre, il ne suffit pas d’agir dans le grandiose, le volumineux et le chiffre effarent pour que l’on dise de vous, avoir recréé le miracle.
Tel est le cas d’un petit travail tout à fait inaperçu et presque non porté dans les canevas qui se dressent en statistiques à adresser périodiquement à une hiérarchie avide de résultat. Une petite route allait se créer en pleine immensité, à l’orée de la ville de Sétif. Elle devait relier un hameau, soit moins d’une dizaine de familles. Dans un conglomérat appelé Douar Reggada. Personne n’aurait entendu cette phonétique bizarre. « Reggada ». Le douar est en fait l’addition de quelques maisonnettes dressées, selon les us urbanistiques générés par l’instinct de survie. Eloignés des zones de crues, à l’abri du climat peu clément venant du flanc du mont de Megress. Etabli d’une façon éparpillée, ce douar né dans le temps, en appendice de l’agglomération secondaire d’El Hassi, située elle à l’Est du chef-lieu de wilaya, était une contrée enclavée. Méconnue, inaccessible, bourbeuse. L’on n’y pénétrait que par la route nationale 05, empruntant impérativement le chemin boueux en hiver, poussiéreux en été et toujours caillouteux de Bir Enssa. L’on ne s’étonne pas outre mesure, si l’on constate que cette route, un chef-d’œuvre en termes de découverte et d’oxygénation, n’ait pas à être un éloge ou un fait saillant dans le travail d’un wali ou même d’un maire. Ils doivent en faire fi eu égard à son inconsistance. Tout simplement, il échappe aux règles massues de cette masse massive de béton, d’agrégat et de bitume.
Comme la nature fait bien les choses, l’homme sait les parfaire en les mettant en évidence. Ce douar respire depuis peu l’aisance du cheminement et ressent la commodité d’accès, grâce à des actions peu coûtantes, sinon placidement dérisoires. En effet mettant à profit le nouveau tracé du périphérique Est, érigé en double voie, le Douar se voyant à quelques mètres à vol d’oiseau de ce périmètre urbain, avait saisi l’opportunité que lui offrait cette nouvelle géographie de la ville, de dessiner et réaliser une pénétrante.
Le bonheur des âmes qui y vivent est sans pareil. Elles croyaient avoir la ville à portée de main
de vue
de quelques pas. Les résidents de cette zone encore rurale ont eu à s’impliquer dans la construction de leur rêve. Une route en tout-venant, bordée de jeunes arbustes fraîchement plantés est projetée dans l’immensité des champs de blé. Elle les coupe comme l’aurait fait en blanc le pinceau d’un maître-peintre sur une aquarelle toute verdoyante, pour une longueur de quelques centaines de mètres. Ces heureuses personnes n’ont rien trouvé de mieux pour crier visiblement leur reconnaissance aux initiateurs de l’action, que de pouvoir incruster, à l’entrée du chemin, sur une plaque en béton armé agréablement décorée, leurs vifs remerciements aux wali, le président de la commune et autres responsables locaux. Ils sont cités par noms et prénoms. Un acte de civisme et de gratitude. Une première dans le grand Sétifois. A emprunter cette route, l’écologie primaire vous rappelle, si c’est comme vous y étiez, les premiers jours de la naissance du monde. Le souffle d’air, l’éclat de vision et la liberté sans bornes vous font oublier le mirage des chiffres ou vous font douter des bilans et des programmes. Le wali dans ces lieux n’est qu’un lointain souvenir d’un certain système de gestion de la société. Le temps n’y passe pas si vite. Du moins vous avez l’impression qu’il vous force à le lâcher pour s’enfuir à sa vitesse urbaine. « Reggada » littéralement traduit emprunte sa sémantique aux «endormeurs». Le passager furtif que fut votre serviteur n’eut nulle envie de se mettre dans les draps d’un endormi. Il pensa trouver là, à peine d’autres inquiétudes, un bel endroit résidentiel d’écriture, d’inspiration mais aussi de leurre.
10 juin 2010
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