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Justice L’honneur retrouvé de M. Garne par Gilles Gaetner

9 juin 2010

Colonisation

Né d’une mère algérienne violée par des militaires français en 1959, il vient, à 41 ans, d’être reconnu comme «victime de guerre». Une décision sans précédent

«Français par le crime.» Tel se considérait, il y a peu encore, Mohamed Garne, 41 ans, né du viol de sa mère par des militaires français pendant la guerre d’Algérie. Il est désormais aussi, depuis le 22 novembre, «victime de guerre».

Ainsi en a décidé la cour régionale des pensions de la cour d’appel de Paris – composée de trois magistrats honoraires – qui a accordé une pension d’invalidité de 30% à Mohamed Garne. Cette indemnisation avait été refusée le 14 mars 2000, en première instance, par le tribunal des pensions, qui s’en était tenu à une interprétation stricte de la loi du 31 juillet 1963 relative à l’indemnisation des victimes de la guerre d’Algérie. En substance: pas de préjudice physique, pas de pension. Le tribunal avait considéré que le viol, en 1959, de Kheïra, la mère de Mohamed, dans un camp de regroupement en Algérie, n’avait entraîné aucun préjudice physique pour son fils.

Pas d’accord, a répondu la cour d’appel, s’appuyant sur l’un des arguments soulevés par l’expert psychiatre Louis Crocq: les coups reçus, les violences subies par Kheïra lors de sa grossesse et qui visaient à la faire avorter constituent des «violences f?tales» ayant entraîné un dommage physique à l’encontre de Mohamed Garne. Cette décision est capitale, car elle ouvre une brèche pour les enfants nés d’un viol pendant la guerre d’Algérie. Leur nombre se situerait entre 3 000 et 4 000…

Retour sur deux vies brisées. Août 1959. Le général Challe bombarde le massif de l’Ouarsenis, non loin d’Alger. Kheïra, une jeune fille de 15 ans, apeurée, s’enfuit et trouve refuge dans un arbre calciné. Des militaires français l’aperçoivent et l’emmènent au camp de regroupement de Theniet el-Haad, situé à 70 kilomètres au sud-ouest d’Alger. On en compte un millier sur tout le territoire, où vivent 1 million de musulmans, dans des conditions souvent tragiques, selon le rapport d’avril 1959 d’un jeune inspecteur des finances, Michel Rocard.

Commence, pour Kheïra, l’enfer. Violée à plusieurs reprises, elle tombe enceinte. Les geôliers du camp, qui s’aperçoivent de sa grossesse, veulent qu’elle avorte. Ce ne sont que coups, tortures à l’eau et à l’électricité, pour qu’elle perde son enfant. Pourtant, le 19 avril 1960, naît Mohamed. C’est un bébé rachitique, immédiatement séparé de sa mère par les autorités militaires et confié à une nourrice.

Le 29 mai 1961, Mohamed, âgé de 1 an, est transporté d’urgence à l’hôpital Saint-Cyprien des Attafs, près d’Alger. Diagnostic: anorexie, somnolence et fracture du crâne. La nourrice semble y être pour quelque chose… Après dix-sept jours d’hospitalisation, l’enfant est placé dans une famille d’accueil, où il reste jusqu’en 1965, date à laquelle il est adopté par un couple d’intellectuels algériens – elle, écrivain célèbre; lui, metteur en scène – qui habite à Paris. Jusqu’à ce qu’en 1975 le mari, devenu alcoolique, lance à l’adolescent: «Tu es le fils d’une pute!» Le choc. Epouvantable. Doublé d’un autre: ses parents adoptifs divorcent et Mohamed doit repartir pour Alger, à l’orphelinat Saint-Vincent-de-Paul, où il séjournera dix ans. Jusqu’en 1985.

Commence une longue dérive: tentatives de suicide et vols. Désormais, une seule chose l’obsède: partir à la recherche de sa mère. Mohamed, âgé de 25 ans, se rend aux archives de la ville d’Alger pour obtenir un extrait de naissance. S’il apprend le prénom de sa mère, Kheïra, en revanche, rien sur son père: il est inconnu. Grâce à des voisins, en septembre 1988, Garne retrouve sa mère, surnommée «la Louve», car elle habite une grotte aménagée, à côté des tombes, dans le cimetière de Sidi Yahia! Nouveau traumatisme pour Mohamed. Au début, les retrouvailles sont difficiles, Kheïra ayant toujours une hache à la main! Mohamed, qui rend souvent visite à Kheïra au cimetière, ne cesse de l’interroger: qui est mon père? Réponse: «C’est Abdelkader Bengoucha, un héros de la guerre d’indépendance.»

Mohamed Garne engage en mars 1991 une procédure en recherche de paternité devant le tribunal de Theniet el-Haad. Au cours d’une audience dramatique, Kheïra avoue qu’Abdelkader Bengoucha, avec qui elle avait été mariée, n’est pas le père de Mohamed. Et pour cause: il était stérile.

Mohamed poursuit son combat, partant cette fois à la recherche de son père. Nouvelles procédures. Devant la cour d’appel d’Alger, puis devant la Cour suprême, le 22 mars 1994. Nouvel aveu de Kheïra: «J’ai été violée au camp de Theniet el-Haad par des militaires français, en 1959.»

Une juridiction civile pratiquement inconnue

En 1998, Garne quitte l’Algérie pour s’établir à Paris, où il va travailler comme manutentionnaire dans un grand magasin. Pour lui, les choses sont désormais claires: l’Etat français doit lui rendre des comptes, puisqu’un militaire français est forcément son géniteur. Un soir de 1998, il se rend chez un avocat parisien, Me Jean-Yves Halimi, et lui raconte son histoire. D’abord incrédule, Me Halimi va déployer toute son énergie pour aider Mohamed Garne à obtenir réparation. Une mission quasi impossible. Les faits commis pendant la guerre d’Algérie sont soit prescrits, soit amnistiés.

Astucieux, Me Halimi contourne l’obstacle en saisissant le tribunal des pensions, une juridiction civile pratiquement inconnue. Le 14 mars 2000, ledit tribunal déboute Mohamed Garne. Immense déception. Garne fait appel devant la cour régionale des pensions. L’audience se déroule le 9 novembre 2000. Le 21 décembre, la cour désigne un expert psychiatre avec pour mission de déterminer si les troubles psychiques dont souffre Mohamed Garne ont un lien avec les sévices subis par sa mère durant sa grossesse. Une sommité, cet expert. Il s’agit du Pr Louis Crocq, consultant à l’hôpital Necker, spécialisé dans le suivi psychologique des victimes d’attentats, comme celui du RER Saint-Michel, en 1995. Sa nomination sonne comme une lueur d’espoir pour Me Halimi et Mohamed Garne.

Ses conclusions? Elles ne souffrent aucune ambiguïté. Le Pr Crocq estime que «la séparation précoce mère-enfant imposée par les autorités et appliquée à l’âge de 6 mois, dans des conditions pathogènes et traumatisantes, constitue la cause certaine et directement déterminante de ses troubles, tant physiques que psychologiques». Ces troubles, toujours selon l’expert, ont «une cause fragilisante directe: les mauvais traitements physiques infligés à la mère pendant les derniers mois de la grossesse et transmis ipso facto au f?tus». Il conclut: «Chacune de ces causes est imputable à la responsabilité de l’Etat français.»

L’audience d’appel se déroule le 11 octobre 2001. Me Halimi plaide longuement, s’appuyant sur les conclusions du Pr Crocq. Le 22 novembre, la cour accorde à Mohamed Garne, à titre de réparation, une pension – limitée à trois ans, de novembre 1998 à novembre 2001 – de 945 francs par mois. Une misère. Mais, aux yeux de Me Jean-Yves Halimi, l’essentiel est ailleurs: «Les crimes de l’armée française, confie- t-il à L’Express, n’avaient, jusqu’à présent, ni responsables ni coupables. On sait maintenant qu’ils ont fait une victime.»

 

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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