1. Le sommet France-Afrique a, pour puiser dans le jargon footballistique, permis de remettre la balle au centre. La vieille tradition inaugurée par de Gaulle, poursuivie et enrichie par tous ses successeurs, de Pompidou à Chirac,
en passant par Giscard et Mitterrand, qui avaient chacun leurs amitiés africaines, continue cahin-caha. Elle consiste à convoquer dans sa totalité ou presque un continent (53 pays, 1 milliard d’habitants) autour d’un pays, la France, l’ancien maître.En dépit des indépendances, des velléités américaines puis chinoises et même indiennes de mettre la main sur le marché africain et au passage sur ses fabuleuses richesses, les intérêts géopolitiques, diplomatiques, économiques, commerciaux et linguistiques français y demeurent tenaces. L’influence française est loin d’avoir reculé dans l’ancien précarré, la plupart des gouvernements africains continuant à se fondre dans cette architecture postcoloniale qui a sanctionné les indépendances. Rares sont les changements qui ne sont pas, au bas mot, approuvés par Paris. A l’inverse, et concomitamment, il est peu d’hommes au pouvoir dans les pays africains qui aient, à ce jour, une conception de l’indépendance, telle, qu’elle leur permette de s’envisager comme des égaux à part entière de leurs homologues français. Le paradoxe qui en résulte est que le pouvoir français, maître de cérémonie de ce sommet, jure, lui, la main sur le cœur, que les relations entre la France et l’Afrique sont équitables, d’égal à égal, dénuées de toute prédominance et de tout paternalisme. Mais le naturel revient au galop. Il n’était que de voir le président français s’adressant à ses homologues africains au sommet de Nice pour mesurer la prégnance, peut-être au demeurant inconsciente, mais comme fixée dans l’ADN de l’histoire, d’un sentiment de supériorité. L’existence de ce sentiment n’est pas seulement un soupçon aggravé en procès d’intention. Pour s’en convaincre, il suffit de se référer au surréaliste discours prononcé par Nicolas Sarkozy le 26 juillet 2007 à l’Université de Dakar. Extraits édifiants, pas mauvais à rappeler : «Jamais l’homme africain ne s’élance vers l’avenir. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin. Le problème de l’Afrique, et permettez à un ami de l’Afrique de le dire, il est là. Le défi de l’Afrique, c’est d’entrer davantage dans l’histoire. C’est de puiser en elle l’énergie, la force, l’envie, la volonté d’écouter et d’épouser sa propre histoire. Le problème de l’Afrique, c’est de cesser de toujours répéter, de toujours ressasser, de se libérer du mythe de l’éternel retour, c’est de prendre conscience que l’âge d’or qu’elle ne cesse de regretter, ne reviendra pas pour la raison qu’il n’a jamais existé. (…) Le problème de l’Afrique, ce n’est pas de s’inventer un passé plus ou moins mythique pour s’aider à supporter le présent mais de s’inventer un avenir avec des moyens qui lui soient propres (…) Le problème de l’Afrique, c’est de rester fidèle à ellemême sans rester immobile.» Etc. Un continent indéfiniment plombé dans son passé mythique, incapable de sortir de l’immobilité, que peut-on en faire ? C’est le message du président français que même les militants d’extrême- droite n’oseraient peut-être pas tenir dans cette brutale cruauté. Ce discours n’a jamais été désavoué par le gouvernement français. Si on jure que depuis la disparition de Jacques Foccart — ses réseaux africains se sont volatilisés avec lui, — la Françafrique n’existe plus, les intérêts géopolitiques et économiques de la France en Afrique fondent encore, eux, ce sentiment de supériorité. Un chiffre, entre autres : sur les 35 conflits recensés par L’Atlas stratégique de 2008 comme les plus graves du monde, 13, donc plus du tiers, se déroulent en Afrique. Entre 1998 et 2005, la France a été le premier fournisseur d’armes des pays africains. Comme toute la faute ne repose pas uniquement sur l’ancien colonisateur, la plupart des gouvernements africains, constitués souvent de putschistes, dictateurs au petit pied, illégitimes, prédateurs, adeptes de la loi du plus fort, endossent leur part de responsabilité dans le retard du continent et dans son asservissement. Alors pour ou contre le sommet France-Afrique ? Il paraît, que calqué sur le même modèle, il y a un sommet Chine- Afrique. Ce qui est gênant dans ce type de sommet, c’est la rencontre entre l’un et le multiple. Si l’un est unique, les éléments du multiple, eux, sont interchangeables. Une rencontre est un acte de paix. A ce titre, c’est toujours bon à prendre. Mais peut-être faut-il en revoir les règles et même l’appellation…
2. Israël aussi a mis la balle au centre. Et quelle balle ! De l’art de marquer contre son camp et de crier victoire avec ça !… Je ne reviendrai pas sur l’agression scandaleuse de l’armée israélienne contre des militants humanitaires le 31 mai dernier dans les eaux internationales au large de Ghaza. Pas besoin d’évoquer comparativement le sort des Juifs qui avaient embarqué à bord de L’Exodusen 1947. Ils se sont fait, eux aussi, tirer comme des lapins par l’armée britannique. Inutile de revenir sur l’indignation internationale soulevée par l’action indigne d’Israël. Tout cela est déjà connu, de même que le fait que cette action constitue un tournant dans le conflit moyen-oriental. Depuis un moment, d’ailleurs, Israël multiplie les faux pas qui finiront par lui être fatals. Une guerre inutile au Liban en 2006 dont Israël ne peut tirer aucune gloire. L’attaque contre le Hamas en 2008-2009. Le Dubaïgate, en 2010. Et maintenant, cette attaque contre la flottille humanitaire ! Quel est le prochain pas dans la dérive ? Ce qui est époustouflant, c’est d’entendre les arguments des défenseurs d’Israël. La difficulté en l’occurrence à justifier l’injustifiable les pousse à dire n’importe quoi. Exemples : 1) Qui nous dit que les pacifiques humanitaires n’étaient pas armés ? 2) Le fait d’affubler les passagers de la flottille de l’étiquette islamiste absoudrait l’armée israélienne de son crime car la connotation terroriste s’imposerait comme une évidence. 3) Pourquoi s’indigne-t-on de cet acte de «légitime défense» alors que l’on ne s’indigne jamais des tirs de missiles contre Israël ? Etc. Bref, ils ne savent plus où donner de la tête. Cette fois, en tout état de cause, le Rubicon est bien franchi. Les habituels défenseurs d’Israël se terrent dans un silence inquiet ou bien se démarquent en considérant, comme le journaliste Alexandre Adler, dans une tribune publiée dans Le Figaro, que «l’actuel gouvernement israélien a définitivement montré son incompétence et son abandon à des solutions militaires aussi dérisoires qu’improductives». Contrairement à l’adage, qui aime bien ne châtie pas bien puisque, à aucun moment, Alexandre Adler n’appelle l’acte israélien par son nom : un crime. Sur ce point, les critiques les plus lucides viennent d’Israël même. L’éditorialiste du quotidien Ha’aretz prédit : «Ghaza sera notre Vietnam». Il démonte le mécanisme qui a poussé Israël à «ruer dans les brancards, commettre des bévues, faire de l’obstruction et enrager». Une donne nouvelle, soulignée par le quotidien El Hayat, vient chambouler la configuration du conflit moyen-oriental. Jadis Israël bénéficiait de l’impunité de l’enfant gâté parce qu’il jouait le rôle de pion dans le jeu de dominos moyen-oriental entre l’Ouest et l’Est. Depuis la chute du Mur de Berlin, la fin de la guerre froide a amoindri considérablement ce rôle. Reste à Israël cette ultime carte qu’il est en train de dilapider : assimiler toute résistance à l’islamisme. Ça aussi, c’est en train de se casser la gueule !
Par Arezki Metref
arezkimetref@free.f
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/06/06/article.php?sid=101147&cid=8
7 juin 2010
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