Journaliste et romancière, l’irakienne Inaâm Kachachi a animé, samedi, un débat à Alger sur son dernier roman, El Hafida al amrikiya (La nièce américaine).
La guerre a tout asséché, tout aspiré », a regretté la romancière irakienne, Inâam Kachachi, qui fut, samedi 29 mai, hôte de Dar Abdelatif, siège de l’Agence algérienne pour le rayonnement culturel (Aarc) à Alger, à l’invitation des éditions Barzakh. Ces mêmes éditions ont publié à Alger, avec la collaboration de la maison libanaise Al Jadid, El Hafida al amrikiya (La nièce américaine), roman à succès de Inaâm Kachachi, traduit en anglais et en français. Pendant 90 minutes, l’écrivaine a parlé de l’Irak d’hier et d’aujourd’hui lors d’un débat animé par le critique littéraire, Mohamed Sari. Elle fait remarquer que cinq millions d’Irakiens vivent actuellement à l’étranger. « Le peuple irakien n’a jamais connu la migration. On avait une vie paisible. Le phénomène migratoire a commencé dans les années 1980 avec la guerre », a-t-elle dit. Elle a relevé aussi que les Irakiens, connus pour leur sérieux, sont devenus de grands inventeurs de blagues.
« L’humour irakien inonde internet ! Tout est mélangé. On a même l’impression que la morale n’a aucune valeur », a-t-elle dit. Dans Saouaki el kouloub (Les ruisseaux des cœurs), son premier roman, elle a raconté l’histoire des Irakiens de la diaspora. Comme celle de Batoul, secrétaire irakienne de l’ambassade de France à Baghdad, devenue comtesse française, ou de Sari, soldat efféminé, qui a obtenu l’accord de Saddam Hussein pour subir des opérations de changement de sexe à l’étranger. « Des histoires vraies, même si beaucoup de personnes ne veulent pas le reconnaître. On m’a dit comment le système viril de Baghdad permet à un militaire de se changer en femme ! Pourtant, j’ai rencontré à Paris ce jeune Ahmed devenu Sarah », a-t-elle noté. Mohamed Sari a relevé que le langage de Saouaki el kouloub est très fleuri, d’où le choix d’un narrateur homme. « En Irak, un gros mot est placé entre deux autres mots. L’injure est un phénomène sociologique.
C’est le reflet du mal-vivre. Reprendre des expressions salées n’entame en rien la valeur d’une œuvre », a expliqué la romancière. Interrogée sur la présence dans son livre de Tribil, le point frontalier entre l’Irak et la Jordanie, elle a raconté toutes les souffrances endurées par les passagers. « Pour passer, il faut donner de la rachoua. Cela va du porteur au plus haut gradé. Si vous ne payez pas, on peut facilement vous accuser d’être atteint du sida ! », a-t-elle dit. Le souci de connaître des motivations d’Irakiens revenus au pays à bord de chars américains a conduit Inaâm Kachachi à faire des recherches et écrire finalement El Hafida al amrikiya. « Je voulais savoir comment on peut accepter de venir avec des troupes qui occupent son propre pays. Depuis qu’on était jeune, on nous parlait de la cause palestinienne, comme cause centrale. Lorsque Djamila Bouhired était venue en Irak lors de la guerre de libération algérienne, nous étions nombreux – à l’époque j’étais encore petite – à l’accueillir comme une héroïne sur la route de l’aéroport. C’était une journée historique. Cette culture ne peut s’adapter avec l’occupation », a-t-elle souligné.
Elle a avoué qu’elle est fille d’un officier de l’armée irakienne mis à la retraite anticipée en 1959 après un soulèvement à Mossoul. L’histoire de Zeina, une Américaine d’origine irakienne, revenue au pays en tant qu’interprète de la US army, a été un prétexte pour Inaâm Kachachi d’évoquer l’occupation de l’Irak depuis 2003. Elle a mis en valeur l’opposition entre Zeina, la revenante, et Rahma, la grand-mère, veuve d’un officier irakien. Rahma a estimé que Zeina est « mal éduquée ». Elle décide alors de la prendre en charge en lui racontant le passé de ses parents. En fait, la romancière s’est inspirée de l’histoire véridique d’une ancienne copine de classe, partie jeune aux Etats-Unis. « J’ai fait des recherches et j’ai trouvé son mail. Je lui ai dit que j’allais écrire un roman sur son histoire, mais je vais être contre ce qu’elle fait. Elle a accepté de répondre à mes questions », a confié l’invitée de Dar Abdellatif. Critiquant la mauvaise distribution des livres dans les pays arabes, elle a relevé que El Hafida al amrikiya a eu un grand retentissement après sa sélection dans la short list du Prix international El Boukr pour le roman arabe. Elle a confié avoir commencé par la poésie.
« A l’adolecense, tous les Irakiens en font autant avant de s’occuper d’autres choses », a-t-elle dit. « J’aime le journalisme. Et je suis heureuse de l’être toujours après quarante ans ! La dégradation de la situation en Irak m’a encouragée à tenter l’écriture littéraire », a-t-elle dit, inspirée par les histoires racontées par des personnes rencontrées au fil de ses reportages. Elle a commencé par une biographie sur Lurna Salim, épouse de l’artiste peintre irakien, Jawad Salim, publiée à Beyrouth par les éditions Al Jadid en 1998. A la fin des années 1950, Jawad Salim avait débuté la conception du célèbre monument de la Liberté qui se trouve à la place Etahrir, à Baghdad, mais n’avait pas pu poursuivre son œuvre puisque emporté par une crise cardiaque à l’âge de 40 ans. Lurna Salim devait achever le monument. Inaâm Kachachi l’a rencontré des années plus tard à Londres. Elle a publié ensuite Paroles d’Irakiennes. « Lors de la première attaque américaine contre l’Irak, j’ai constaté que les médias occidentaux présentaient mon pays comme s’il n’était qu’un arsenal militaire et des puits de pétrole. Selon ces médias, il n’existait aucune civilisation en Irak », a-t-elle observé.
Durant les périodes de guerre (contre l’Iran, puis les deux attaques américaines), les femmes n’ont pas cessé de raconter leurs histoires, ce qu’elles vivaient. « Alors que le langage des hommes est rempli de termes guerriers, les femmes usent des expressions de tous les jours en racontant la peur, l’exil, les coupures électriques, la valeur du dinar. Des femmes ont abandonné leurs emplois car elles ne pouvaient plus sortir faute d’habits décents. Elles n’avaient plus de moyen d’acheter de nouveaux vêtements », a-t-elle témoigné en revenant sur son livre Paroles d’Irakiennes. Inaâm Kachachi est pessimiste sur l’avenir de l’Irak. « Ils ont détruit le pays et ses infrastructures, volé son histoire, pillé les musées et incendiés les œuvres du patrimoine. J’ai peur pour l’avenir. Ils ont actionné le tribalisme et accentué les divisions ethniques. Y a-t-il de l’espoir pour que les troubles cessent dans mon pays ? Difficile de le savoir. La destruction de l’Irak et des grands pays arabes est voulue », a-t-elle dit.
Par
31 mai 2010
LITTERATURE