Culture (Jeudi 27 Mai 2010)
Cette semaine, l’Algérie, toute l’Algérie littéraire, a enterré un mort, un mort exceptionnel et unique dans son genre. Le mort de notre pays ne ressemble à aucun autre mort !
Avez-vous vu ou assisté à l’enterrement d’un “poète vivant” ? C’est triste de marcher dans un cortège funèbre d’un poète vivant ! Et en présence de ce mort poète qui marche abattu, avec les marcheurs, dans son cortège mortuaire ! Un mort qui marche derrière son cercueil ! Cela est réel dans notre pays ! En effet, la semaine dernière, le poète Adel Sayad a décidé de mettre fin à sa vie poétique. De se retirer de la scène culturelle et littéraire d’une manière suicidaire. Intellectuellement tragique, dramatique. Et quand un poète qui, après deux bonnes dizaines d’années d’écriture poétique, décide d’enterrer ses poèmes, cela signifie l’enterrement de son âme. Cela signifie “la catastrophe” humaine à neuf degrés sur l’échelle de Richter ! Quand un poète, qui a publié deux magnifiques recueils de poésie intitulés les Doigts de la tête, en 2007, et Achhiyane, en 2001, décide de mettre fin à sa vie poétique, cela signifie que les poètes se suicident à leur manière poétique ! Ils s’enterrent vivants ! Le “feu poète” ! Adel Sayad est né en 1968 à Tébessa d’une famille descendante des Aurès. Il a fait ses études à l’université d’Alger. Il a occupé le poste de directeur de la station régionale de la radio de Tébessa. Poète sensible, fragile et transparent ! Que Dieu accueille “l’âme de sa poésie” dans ses vastes paradis consacrés aux grands écrits. Vendredi dernier, le grand jour des musulmans, le poète Adel Sayad a invité ses amis écrivains et poètes, la presse nationale et internationale et quelques membres de sa famille pour assister à l’enterrement de sa poésie, de son âme. Le poète a réuni ses livres de poésie, ses feuilles et ses cahiers pleins de textes et autres projets d’écriture, dans un climat de deuil qui ne ressemble pas aux autres deuils, une tristesse hors pair, la tombe a été creusée dans le jardin de la maison de ses parents. Une vraie tombe, symbole de respect à la poésie et aux morts qui ne ressemblent pas aux autres morts. Et parce que le mort de ce vendredi-là ne ressemblait pas aux autres morts, beaucoup d’amis intellectuels et littérateurs étaient présents à cet enterrement. Des poètes, des romanciers, des journalistes, des membres de la famille et des amis, tous étaient là pour consolider “le mort dans sa mort” ! Et pour lire al Fatiha sur le “feu poète” Adel Sayad qui a rendu l’âme poétique : “à Dieu nous appartenons et à Dieu nous retournerons.” Et quand un poète enterre sa poésie dans une vraie tombe avec une pierre tombale en marbre blanc, sur laquelle a été écrit dans un arabe pur et parfait et une calligraphie épigraphique mortuaire : “Ceci est la tombe de la poésie de Adel Sayad”, quand tout cela arrive, c’est la déception culturelle. L’amertume ! Séisme ! Quand un poète enterre sa poésie, cela signifie qu’une génération de créateurs est en chute libre. Elle a perdu la force et l’énergie “du rêve”. Les poètes ne rêvent plus ! Quand un poète enterre sa poésie devant sa mère et sa famille, que peut-on dire à nos martyrs de la poésie : Tahar Djaout, Youssef Sebti, Saïd Mekbel, Bekhti Benouda, Laâdi Flici et d’autres ? Quand Adel Sayad enterre sa poésie, nous disons à ces martyrs : pardonnez-nous, nous ne sommes pas à la hauteur de votre noble combat, de votre message ! Il y a un tunnel, beaucoup d’obscurité et abondamment d’injustice. A. Z.
aminzaoui@yahoo.fr
27 mai 2010 à 19 07 15 05155
merci