RSS

Qui aura les Dix de der ? Par Djamel Laceb *

25 mai 2010

Non classé


Les interventions, les contributions, les commentaires et autres droits de réponse provoqués par la parution du dernier livre de Saïd Sadi nourrissent la majeure partie des débats et sont la matière principale des polémistes partout, même dans les cafés maures. Souvent on y entend quelques vérités, audacieusement énoncées, devant un parterre crédule, parfois aussi des noms de lieux, de personnalités disparues ou d’événements majeurs de l’histoire récente de notre pays, fusent de quelques tables dans l’espoir de poivrer le débat.


Quand le claquement sec des dominos cesse, quand les cartes de belote se figent et quand l’enchère aux atouts s’arrête, le cafetier lui-même tend l’oreille : quelqu’un prétend savoir de source sûre que …. Encore un tourbillon de mots, le MALG, Nasser, Ben Boulaïd, Krim, Abane, Tunis, Melouza, Rabat, la Bleuite… paroles incomprises; la foule recouvre ses droits, le tintamarre reprend et l’heureux mastroquet relance les commandes. Une cacophonie identique à celle des intervenants dans la presse francophone, arabophone et surtout à celle dans les forums d’Internet. On n’y décèle que le vœu, presque pieux, de certains de diaboliser une région qui souffre déjà beaucoup d’une marginalisation aux conséquences palpables sur tous les nivaux de l’existence. Il apparaît clairement que le principal défaut des héros kabyles est leur lieu de naissance. C’est une qualité qui ouvre droit automatiquement au classement dans la case francophile des nostalgiques, pas de Gide ou de Sartre, ce qui serait bienveillant, mais de Massu et d’Aussaresses. Ce climat malsain ne peut pas déplaire à tout le monde puisqu’entretenu depuis, parait-il, la fameuse crise dite berbériste, au milieu du siècle passé. Le moment de l’analyse est venu ; la majorité des survivants sont au crépuscule de leur vie et nous savons de quoi l’âge orne les affirmations. Surenchérir à la belote exige d’avoir en main quelques atouts et la superstition qui entoure ce jeu fait croire que certaines couleurs peuvent porter chance. Dans cette joute médiatique, passionnée et passionnante, nous les lecteurs de journaux, assistons aux enchères, à l’achat aux annonces et au jeu. Chaque joueur doit montrer de la maîtrise et si possible une connaissance du jeu de l’autre. Les attitudes pompeuses à l’achat peuvent intimider le joueur inexpérimenté, il n’y a que le tapis sur lequel les cartes s’abattent une à une pour juger de la valeur et désigner le vainqueur. Comme disait Mohia, nous les courtauds, citoyens lambda (nekni si kerrucen agi) n’avons qu’à subir, écouter les dernières sentences et les prendre pour vérité absolue. Quand un chef de parti, médecin, ex-candidat aux présidentielles est sommé de se taire pour incompétence en matière d’histoire ou pour fortune de jeunesse, que dirait-on à un simple enseignant tout droit venu de haute montagne ? Que pèserait son avis dans un débat aussi houleux ? Au risque de déplaire, participons à l’enchère et demandons l’atout de cœur. Un atout porte bonheur. Quelques cartes du jeu sont chiffonnées à force d’utilisation répétées à l’exemple des chiffres d’Ageron qui recouvre en réalité les victimes de purges s’étalant sur toute la période de la guerre et sur tout le territoire national. Mais ne voyons que notre main : Amirouche ne pouvait pas être l’ogre que voulait nous faire accepter une rumeur persistante jusqu’à ce jour. Le débat actuel a au moins le mérite de soulever la chape de plomb pesant sur un sujet devenu tabou. Discuter d’Amirouche, même ici, en haute montagne, est devenu pénible à cause de quelques mots qui, même ceux qui les prononcent ne savent et ne peuvent approfondir. Il suffit de dire «Melouza» pour ternir la beauté d’un poème chanté par nos grands-parents. Le mot «Bleuite» à lui tout seul chapardait toutes les couleurs d’une épopée légendaire. Des accusations graves se chuchotent, sans preuves, sans consistances mais dévastatrices et jetant une sorte de voile pudique sur la face d’un héros national, comme s’il devait, et nous tous avec, s’excuser d’être ou d’avoir été. Pourtant il faisait partie de ceux qui voulaient donner une «dimension résolument moderne et laïque à la guerre de Libération nationale». À la fin du siècle dernier, lors d’une embellie passagère du militantisme culturel amazigh, des associations se sont mises entre autres à la collecte et à la transcription de la poésie orale. Il se trouve dans ce répertoire une large partie consacrée à la guerre de libération et spécialement dédiée au colonel de la Wilaya III. Amirouche, que tout le monde appelait par son prénom, sans particule sanctifiante ni pseudonyme solennel, était et reste le principal sujet d’odes au courage et à loyauté. Dans le livre ; Amirouche, une vie, deux morts et un testament, pour la première fois il est décrit enfant et déjà responsable, comme dans le conte : La vache des orphelins. (p.52), l’auteur se joue de nous en parlant de mariage, on s’attendait à quelques douceurs, prévisibles dans ce cas de figure où les liens du cœur se tissent, mais judicieusement, les fils se tendent vers la patrie, la dame de cœur, l’épouse éternelle. Des parallèles de cet acabit foisonnent dans ce chef-d’œuvre de construction. Ainsi en page 123 l’incident de la mule est si savamment mixé qu’il suggère l’existence d’êtres humains encore plus têtus que l’innocent solipède. En page 220, une description du pays, à faire revenir tous les haragas, donne un aperçu de toute l’attention portée au style. Il existe des poèmes où la carrière d’Amirouche est décrite avec minutie car, dans notre culture à l’oralité féconde et ancestrale, l’Histoire avec un grand H se chante encore. Les voix, presque inaudibles, de nos poétesses, confondues dans le vacarme assourdissant des télévisions, ne sont plus suffisantes. L’amnésie ambiante, la surenchère des forts en gueule et la décimation naturelle des rares survivants imposent l’écriture. À propos de décimation naturelle et de disparition, celle du séduisant Dr Laliam (p.181) est un grand deuil. Lui qui recommandait la sincérité au crépuscule de la vie reconnaissait qu’il fallut toute l’habilité de la psychanalyse pour le faire parler. Un As. Un livre où on trouve noir sur blanc, toutes les accusations murmurées. Elles étaient chuchotées pour suggérer l’horreur et exciter l’imagination «d’un peuple déjà porté à la violence pour avoir subi une colonisation de masse». Il n’y a rien de mieux que le mystère pour inspirer l’horreur, et nous, dont le subconscient draine des réminiscences d’un passé sanglant, sommes prêts à croire, à absoudre et pourquoi pas, au cas où, laisser faire ou laisser refaire. C’est un livre, noir sur blanc, oui, mais pas en noir et blanc, loin de la vision manichéenne des simplets, il met en lumière des erreurs et même des fautes. En ce temps-là «Les initiatives aléatoires toujours guidées par la bonne foi» (p.173) se devaient d’être toujours «assumées avec courage et panache». Un livre qui commence par un erratum ne peut présager que de réparation et il est vrai que le préjudice le demande. La tragédie grecque ne commença réellement à se structurer et prendre forme qu‘avec Antigone de Sophocle. Une œuvre majeure portant le sentiment filial aux nues, elle racontait justement la privation de sépulture. Nos voisins égyptiens furent les premiers à édifier des cénotaphes monumentaux dressés pointes vers le ciel, ils briguent l’éternité depuis des millénaires. Depuis l’aube des temps, le tombeau est considéré comme le seuil d’une vie auprès de Dieu. Amirouche et Haouès furent privés de tombe. Leurs corps, comme dans une célèbre chanson de Reggiani, furent longtemps introuvables. En réalité, ils hantaient des esprits jaloux de prestiges historiques. D’autres sont à ce jour privés d’Histoire, oubliés parce que non conformes à des idéologies idiotes, c’est le cas de M’barek Aït Menguelat, de Benaï Ouali et d’Amar At Hamouda. (p.99). Les Hellènes anciens croyaient qu’on ne pouvait pas aller aux «Champs Elysées» sans sépulcre, aujourd’hui l’Eden grec est à Paris et Hadès règne en Afrique. Orphée viendrait peut-être charmer avec sa Lyre, mais le Styx est plus aisé à traverser l’aller. Surtout, qu’aujourd’hui Charron dans sa frêle felouque a affaire à une Méditerranée en houle. Boris Vian, faisant parler le directeur de prison, serinait la même question : où est le corps ? Dans un texte d’un humour sublime chanté avec brio par un Serge au sommet de son art. Ce n’est qu’à la fin de la chanson qu’on comprend que ceux dont les corps ont disparu sont au paradis. Dans ce livre, on découvre un Amirouche humain, veillant sur tout, capable d’émotion et de justice. L’infatigable marcheur offrait ses chaussures. Le court dormeur ordonnait à ses hommes de se reposer et restait debout à échauffer ses membres engourdis par le froid : son manteau servant de couverture à son jeune secrétaire. En page 211, Amirouche pleure. En page 232, il écoute et suit le conseil d’une vieille femme. Un Roi de cœur. Amirouche ne pouvait pas être l’ogre que nous décrivait l’histoire susurrée, quand un homme, un demi-siècle après sa mort, arrive à émouvoir ses subalternes encore en vie, c’est qu’il fut hors du commun en bonté et en humanisme. Ce livre nous révèle un brillant tacticien qui, sans sortir de West-Point ou de St Cyr (p.248), savait improviser de judicieuses défenses et de fulgurantes ripostes. Un As de cœur. Une lecture qui permet de replacer définitivement un héros national dans le camp des justes. Le contraire ne se peut pas pour un homme qui respectait le bien public jusque dans des détails imperceptibles (p.231) et surtout demandait justification du moindre acte ou… dépense ; forcément dérangeant. Amirouche qui envoyait d’importantes sommes d’argent vers la Tunisie (p.169), des sommes récoltées par ses soins pour financer le centre des étudiants, ne pouvait pas détester les lettrés tout en les subventionnant. On sait désormais que le seul moyen de réintégrer l’humanité, c’est d’accepter de débattre de tout, de parler de nous, entre nous, de reconnaître nos errements loin de l’humanité, nos erreurs et nos fautes et de continuer à poser la même question : «Arthur, où t’as mis le corps ?» Les corps ne disparaissent pas comme ça ! Et puis, un demi-siècle, c’est largement suffisant pour apprendre la belote. Atout cœur, et en avant, quand on a en main des As, des Rois et du cœur la partie ne peut être que belle, malgré le bruit, la catharsis est salutaire. Il est seulement regrettable que la belote soit si injuste, car dans ce jeu bizarre, il arrive que des valets cassent des As. Quant à la chanson de Serge, elle se termine sur un retour fracassant d’Arthur qui annonce dans un rire tonitruant : Belote, Rebelote et Dix de Der.
D. L.
*Enseignant

Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/05/25/article.php?sid=100622&cid=41

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

Voir tous les articles de Artisan de l'ombre

S'abonner

Abonnez-vous à notre newsletter pour recevoir les mises à jour par e-mail.

2 Réponses à “Qui aura les Dix de der ? Par Djamel Laceb *”

  1. Artisans de l'ombre Dit :

    A la belote le dix de der est le nom donné aux dix points supplémentaires que remporte l’équipe qui gagne le dernier pli.

    Dernière publication sur 1.Bonjour de Sougueur : Mon bébé, Justin, me manque beaucoup

  2. Artisans de l'ombre Dit :

    Dix de der

    de Didier Comès

    [Bande dessinée]

    Editeur : Casterman
    Publication : 3/10/2006
    Résumé du livreSuite…

    Décembre 1944, quelque part dans les Ardennes belges, lors de la grande offensive des armées d’Hitler. Au pied d’un calvaire mutilé par les bombardements alliés, au fond d’un cratère d’obus, un très jeune soldat totalement inexpérimenté, tout juste arrivé d’Angleterre, découvre qu’il n’est pas seul dans ce lieu désolé, ouvert à tous les dangers. Trois fantômes l’habitent déjà : deux tués de la guerre de 1914, un Français et un Allemand, flanqués d’un ancien alcoolique mort d’une cirrhose du foie entre les deux guerres. Sous l’oeil de corbeaux ironiques et insolents, cet improbable trio s’est lancé dans une partie de belote dantesque, à laquelle il manque désespérément un quatrième joueur…

    Dernière publication sur 1.Bonjour de Sougueur : Mon bébé, Justin, me manque beaucoup

Académie Renée Vivien |
faffoo |
little voice |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | alacroiseedesarts
| Sud
| éditer livre, agent littéra...