Si le Pouvoir est accusé d’être de Tlemcen, avec les évènements de Boukanoun, on est sûr qu’il n’existe plus même à Tlemcen, ni à M’cirda, ni ailleurs. Dans ce village, la presse a rapporté la chronique de graves évènements :
une course-poursuite entre un fuyard et une brigade de douanes se conclut par un accident, un mort et une attaque vendetta de la population locale contre les douaniers, avec des administrations attaquées et des centaines de véhicules incendiés. Selon des témoins, il s’agissait d’un véritable climat de guerre qui a duré toute une nuit et que des Marocains regardaient de l’autre côté de la frontière avec étonnement. La raison ? A l’évidence, la sociologie explique mieux les faits que l’anecdote. Au plus profond, la même chose s’est passée à Berriane ou dans les régions frontalières de l’Est où des citoyens ont fêté en cortège et klaxons la récupération d’une voiture de sous le nez de la gendarmerie. D’un côté, une dérive, un dépassement, une loi appliquée; de l’autre, une population, une populace, des émeutiers ou des justiciers. Qui est absent ? L’Etat. Mais pas seulement. L’Etat algérien n’existe pas, et on le sait. Mais ce qu’on ne savait pas, c’est que même le pouvoir n’existe plus, sauf à Alger, à l’entrée des ports de marchandises ou dans les CTRI ou les centres de décomptes de voix des électeurs imaginaires. D’ailleurs, quelle différence y a-t-il entre un pays et un terrain vague ? Réponse : la notion de frontière. Près des frontières algériennes, on peut retrouver du sucre, du kif, des moutons, des voitures volées, des agents corrompus, des meurtres, des gens calmes et honnêtes, des maquis, des ânes, mais pas l’Etat algérien ni son pouvoir tuteur. Tout ce qui pouvait servir comme intermédiaire entre l’Etat et le peuple a été vidé par l’actuel pouvoir au point de ne laisser que des pneus ou des promesses. Techniquement, lorsqu’un président en arrive à transformer un Sénat en un cadre d’emploi pour vieux, traiter un gouvernement comme une vieille épouse devenue laide et ventrue, repousser les APC vers des rôles de mangeoire et les juges vers celui des Calla-center et zerhouniser la vie publique au point d’insonoriser tout un pays, il est fatal que cela arrive. C’est-à-dire qu’il devient normal de voir une population réduire le pays à deux parties : elle-même et le Pouvoir. Du coup, on se fait justice comme on peut, on ne croit pas à l’Etat ni à son utilité, on ne fait pas confiance à la loi ni à ceux qui la représentent, on mange et on s’arrache, on frappe et on négocie, on paye et on se fait payer. Le plus gros désastre que va gérer le président de la prochaine époque sera la facture en retard de cet immoralisme profond que nous lègue l’actuelle équipe dirigeante. Les évènements de Boukanoun font peur : il ne reste plus de l’Algérie que deux choses : une autobiographie présidentielle et un repas insuffisant. 50 ans après la libération donc, les Algériens ont le même rapport à l’uniforme et à l’agent public, et vice versa : ils se sentent colonisés et réagissent avec la solidarité des colonisés; leurs administrations et leurs institutions se sentent mandatées par un Pouvoir indépendant et agissent, parfois, comme des colons.
25 mai 2010
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