Compléments d’informations à travers une version aurésienne
par Djemaâ Djoghlal*
1ère partie
Dans cette bataille d’hommes permettez l’intrusion d’une femme car n’oubliez pas que la transmission du malheur autant que du bonheur s’opère par les femmes.
Premièrement, je ne sers aucune chapelle, ni mosquée, aucun groupe d’intérêts et n’obéis à aucun conseiller ou rédacteur, seul le militantisme de terrain me commande, aucune autre motivation ne m’anime. Deuxièmement, je ne me permettrai pas de porter des jugements sur qui que ce soit car mes compétences historiques sont le fruit d’une mémoire forgée pendant la Révolution et d’une bibliothèque composée de différentes sources qui me permettent de savoir que l’objectivité n’existe pas puisque les documents d’archives et les ouvrages d’histoire sont eux-mêmes rédigés selon la subjectivité de leur auteur ou de son commanditaire. Deux exemples tirés du livre de l’historien Gilbert Meynier, pourtant réputé neutre, nous interpellent par leurs affirmations erronées: en page 197 l’auteur écrit «dans l’été 1957, le chef Nemouchi Abbas Laghrour tenta d’éliminer en même temps ses rivaux et vraisemblablement aussi Mahsas lui-même
» dans les réponses adressées au général-major Benmalem le lecteur trouvera des précisions sur Abbas Laghrour. Idem en page 199 où l’historien soutient que: «au cours du procès de Téboursouk
Il y eut en effet 17 condamnations à mort, dont 2 par contumace Mahsas et Omar Ben Boulaïd réfugié en Italie et 15 exécutions. Sur les condamnés à mort, 5 ou 6 étaient des anti-Soummam conscients. Les autres étaient indifférents ou ignorants: Omar Ben Boulaïd n’avait pas été hostile au congrès et Laghrour Abbas, dans une prison tunisienne, depuis 1956 avait à peine entendu parler des résolutions de la Soummam».
D’autres historiens et auteurs algériens ayant enquêté sur le terrain, auprès d’anciens combattants aurèsiens, déconstruisent ces affirmations. Il faut se méfier de ne pas être atteint du syndrome des «intellocrates» actuels:
Last but not least, qui croient surtout en eux-mêmes comme garants ultimes d’une recherche désintéressée du bien commun. A l’instar de Saint Thomas, ils prétendent ne croire que ce qu’ils voient. En réalité, ils finissent par ne plus voir que ce qu’ils croient . Mas dire que ce sont les Aurès et la Kabylie qui ont porté les combats les plus importants de la Révolution algérienne est une réalité historique que nul ne peut contester mais transformer ces combats et leurs héros en «butin de guerre» à échanger contre un trône ou une prime personnelle est une insulte à leurs mémoires. Noredine Aït Hamouda a le droit le plus absolu et le devoir filial de demander des comptes à qui il veut. La séquestration des ossements des colonels Amirouche et El Haouès salit la mémoire de ceux qui, de loin ou de près, y furent mêlés autant par leurs actes que par leurs silences et tous les Algériens sont en droit de demander des explications, sur ce rapt des deux corps, aux acteurs encore vivants. N’oublions pas, aussi, que le président Chadli n’avait aucune compétence pour réaliser des miracles, si tel était le cas pourquoi a-t-il attendu 1984 pour agir, ne faisait-il pas partie du sérail depuis 1962 voire avant? Quel était le but de son instrumentalisation ? Les Algériennes, militantes de cette époque se souviennent que sans discussion ni remord Chadli avait instauré l’institutionnalisation du «code de l’infamie» malgré leurs multiples marches et pétitions. Ces années-là, Chadli avait pratiqué la politique de Hassan II qui avait livré aux services secrets étrangers Ben Barka , Chadli livra le peuple algérien aux fureurs et aux couteaux des intégristes, en manipulant la foi, la mémoire et la misère du peuple algérien pour servir les intérêts de l’expansionnisme américain et celui de ses alliés.
A-t- on oublié que ses meilleurs guides étaient Mitterrand et les conseillers du FMI, ses amis parmi d’autres «amis des richesses du sous-sol algérien»? Le dirigeant du RCD ne se souvient-il pas de nos combats pour éviter à l’Algérie de devenir une théocratie saoudienne ou iranienne et une proie de la Banque Mondiale et du FMI ? Sait-il le nombre d’Algériens qui disent aujourd’hui encore «heureusement que Chadli n’avait pas le pouvoir en 1955, sinon il aurait bradé la souveraineté de l’Algérie en signant comme Mohamed V «l’indépendance dans l’interdépendance », situation de mise sous tutelle politique qui prévaut à ce jour au Maroc.
Saïd Sadi est un responsable politique, il sait combien la direction d’hommes en toutes occasions n’est pas chose aisée, malheureusement, il l’a oubliée en rendant hommage à son idole, il a bâti ses démonstrations au détriment de la population d’une région, qui ne bénéficia pas de la scolarisation française jusqu’en 1962, et qui n’a pas pour habitude d’investir le champ médiatique des attaques pour répondre aux coups reçus. Est-ce sa méconnaissance de l’histoire et des hommes des Aurès qui le font tomber dans un descriptif digne de l’ethnologie coloniale ?
En 1955, les Algériens, en majorité, fonctionnaient encore dans l’appartenance régionale, linguistique ou religieuse, l’appartenance nationale venant en dernier ressort, c’est dans les combats et en immigration que «désormais le Chaouia de l’Aurès se rencontre avec le Grand-Kabyle de Tizi-Ouzou, l’Arabe des Oasis avec ceux des Hauts-Plateaux, le Berbère avec l’Arabe, etc. . ». Alors, écrire en 2010 sur tel fait ou tel personnage de la Révolution en tombant dans l’anachronisme c’est oublier que si l’histoire est accessible à tous, la mémoire l’est forcément moins, parce qu’elle appartient – ou semble appartenir- d’abord au groupe qui la revendique et qu’elle reste hermétique aux autres tant qu’elle ne s’insère pas dans une mémoire collective . Les batailles écrites et contenues dans certains sites internet et émanant de jeunes s’identifiant «kabyle du MAK », «Algériens», «berbères d’autres régions» «berbères de France» etc. prouvent la responsabilité des adultes lorsqu’ils abordent des sujets sérieux telle l’Histoire nationale, car ne pas préciser qu’il s’agit d’une biographie et non d’une vérité historique immuable est un danger pour le vivre-ensemble, surtout pour les populations vivant en émigration.
Les jeunes algériens, en Algérie ou à l’étranger, sont souvent écartelés entre des mémoires familiales et des cultures villageoises ou régionales quelquefois contradictoires, des démonstrations hâtives peuvent conduire au résultat contraire du but recherché, ceci est dommageable pour ces générations qu’elles soient «kabyles» ou non. D’ailleurs, la berbérité n’est pas génétique et elle n’est le monopole d’aucun village, l’ensemble de l’Afrique du Nord porte cette filiation mais les différentes invasions des pays concernés au cours des siècles et l’instrumentalisation politicienne qui en est faite à tous les échelons qu’ils soient politiques ou associatifs, depuis quelques décennies, ont empêché son émergence historique dans les livres d’Histoire Nationale et sa transmission linguistique à grande échelle.
Salem Chaker, reconnaît que le berbère parlé dans les Aurès «contient 30% de moins de mots d’emprunt à l’arabe que le kabyle». Une universitaire américaine a soutenu sa thèse sur la complexité du «mythe kabyle» et des ses conséquences passées et présentes: «de la complexité du legs du mythe kabyle, c’est la mémoire historique qui constitue l’aspect à la fois le plus durable et le moins définissable.
La présence en fut telle que les Français aussi bien que les Algériens en ont ressenti le poids après l’indépendance ».
Les adultes doivent veiller en retraçant l’histoire de destins personnels engagés dans des faits historiques nationaux à ne pas tomber dans des contradictions avec d’autres acteurs ou d’autres régions et ainsi éviter aussi le traquenard des répétitions de traditions archaïques. En 2010 en France autant qu’en Algérie, l’air du temps favorise l’oubli, les occultations et le révisionnisme sinon comment interpréter ces informations publiées par un ancien militaire colonial dont on peut se demander qui l’a commandité au regard des multiples contradictions contenues dans son ouvrage lorsqu’elles sont confrontées à d’autres sources, y compris coloniales, émanant d’anciens acteurs des différents services d’intoxications. Quelques exemples informent le lecteur universitaire ou simple citoyen sur ces manipulations:
- En p. 48: «Amirouche écrira aux chefs des autres wilayas, le 3 août 1958» comme preuve l’auteur a inséré dans le texte une lettre censée être rédigée par Amirouche et datée «du 3 avril 1958», bizarre, est-ce qu’Amirouche a rédigé sa lettre à une date et l’a adressée à une autre, l’auteur ne le précise pas. Lorsque le lecteur compare cette lettre du «3 avril 1958» avec celle datée du 3 août 1958 et destinée «au colonel commandant en chef de la W VI, avec copie aux cinq autres wilayas, au CCE de Tunis et la dernière aux archives» reproduite intégralement en annexe du récit de P. A. Léger elle diffère autant par le style que par la taille et l’on se trouve confronté à un mystère qui conduit à s’interroger sur les objectifs de cette manipulation, à qui profite le crime ?
- Il poursuit son travail mensonger en décrivant en page 160 sa version de l’assassinat des deux héros en ces termes: «Le 16 mars 1959, Amirouche se met en route pour Tunis, entraînant avec lui Si Haouès, chef de la wilaya 6.
Ils sortent de Kabylie et passent vers le sud, entre Djelfa et Boussaâda avant de rejoindre la frontière tunisienne. Mais malheureusement pour lui, son itinéraire fut communiqué au commandement français par un opérateur radio aux ordres de Boussouf qui désirait se débarrasser de ces deux contestataires!». Il ne précise pas sa source ni ne fournit de document en annexe, peut-être les garde-t-il pour plus tard ? Certes, les dénonciations n’ont pas manquées tout au long de cette guerre malgré l’instauration du cloisonnement des informations et la collégialité de commandement, mais «à trop vouloir prouver on ne convainc personne»
- Parler d’Août 1955 sans décrire, comme le conseille Mohamed Harbi, les enchainements d’initiatives et les ripostes c’est demander à un unijambiste de marcher sur ses 2 pieds.
Bien sûr, seuls les nazis et leurs semblables peuvent approuver l’horreur de la violence, or juger les massacres du 20 août 1955 qui se sont déroulés dans le quadrilatère Collo-Philippeville-Constantine-Guelma sans se référer à ceux du 8 mai 1945 vécus par les «indigènes» c’est écrire un roman et non un écrit historique. Surtout que cette décision du grand combattant Zighout Youssef était destinée, en partie, à déloger le rouleau-compresseur de l’armée coloniale qui écrasait la WI. C’est aussi ignorer, cette année-là précisément, l’accélération de l’histoire mondiale et nord-africaine qui peut être saisie à travers ces quelques dates: le 20 août 1955, la population de la région berbérophone d’Oued Zem au Maroc se soulève et massacre 49 employés européens, le 6 septembre 1955 le pouvoir colonial permet à Mohamed V de rentrer d’exil et de signer l’accord «de l’indépendance dans l’interdépendance» cité ci-dessus. En Tunisie, Salah Ben Youssef refuse les accords de Bourguiba qui ne correspondent pas à une rupture totale avec le pouvoir colonial français car Bourguiba craignait «les révolutionnaires socialistes» c’est pour cette raison qu’il a accepté l’allégeance aux USA . Ben Youssef ne voulait pas de cette allégeance car elle ne correspondait pas à son désir de libération des pays d’Afrique du Nord et la création de leur union. En 1955, naissance de la police politique de Bourguiba destinée, en premier, à contrôler les 300 000 réfugiés algériens composés de civils ayant fuit les déportations du général Parlange et des djounouds venant se ravitailler en armes, c’est ce système policier qui dure à ce jour.
Frantz Fanon a expliqué que dans les luttes armées il y a ce qu’on pourrait appeler le point de non-retour. C’est presque toujours la répression énorme englobant tous les secteurs du peuple colonisé qui le réalise. Ce point fut atteint en Algérie avec les 12 000 victimes algériennes (contre100 victimes pieds-noirs) de Philippeville et en 1956 avec l’installation par Robert Lacoste des milices urbaines et rurales. Ben M’Hidi l’a courageusement rappelé aux dirigeants de l’armada militaire de la 4ème puissance militaire de l’époque qui mettaient à égalité les couffins des indépendantistes algériens avec leurs puissants engins de destructions massives y compris sur les populations désarmées. Les premiers bombardements contre les populations civiles eurent lieu dans les Aurès le 10 et 11 novembre 1954.
Ecrire que les actes coloniaux de 1955 et 1956 sont les conséquences de août 1955 c’est bruler les étapes et tomber dans le discours de Camus repris par Benjamin Stora qui écrit le 30 septembre 2007: «Albert Camus, dans son appel pour une trêve civile, préparée secrètement avec le dirigeant algérien du FLN Abane Ramdane(13), il écrit en janvier 1956: quelles que soient les origines anciennes et profondes de la tragédie algérienne, un fait demeure: aucune cause ne justifie la mort de l’innocent», information retranscrite intégralement sur de nombreux sites internet. Camus souhaitait, comme d’autres libéraux pieds-noirs, une émancipation politique des «musulmans» dans un cadre français ils ne désiraient pas l’indépendance de l’Algérie, pour eux il s’agissait de casser l’oppression vécue par «les musulmans» et d’asseoir leur paternalisme. Selon leur pensée «les musulmans sont de grands enfants incapables de diriger car émotifs et fatalistes, ignorant la rationalité et Descartes».
Soutenir qu’en juin 1956 Hamid Zabana et Abdelkader Ferradj furent guillotinés à la prison de Serkadji à cause des faits de 1955 c’est ne pas tenir compte des féroces batailles internationales liées à la guerre froide Est/Ouest et autour du pétrole dont la France voulait une part dans le marché international face aux compagnies anglaises et américaines. Or, le 11 janvier 1956 le pétrole avait jailli à Edjeleh (Sahara). En votant en mars 1956 la loi «des pleins pouvoirs» remis à l’armée coloniale, le pouvoir politique voulait écraser intégralement les combattants du FLN/ALN, plus les découvertes de pétrole et de gaz se développaient plus les tenants de «la 3ème voie» s’activaient.
A partir de 1958, ils proposèrent le partage de l’Algérie en octroyant les parties les plus utiles aux Français (juifs compris) et la rocaille aux «indigènes», tandis que le Sahara demeurerait sous souveraineté française, un sort à la palestinienne ou à l’irakienne. A suivre
* Militante du RCD Immigration de 1994 à 1999
25 mai 2010 à 19 07 17 05175
Compléments d’informations à travers une version aurésienne
par Djemaa Djoghlal *
Suite et fin
Mais aujourd’hui, ce que le pouvoir colonial français proposait n’est-il pas réalisé en Algérie par les américains avec l’aide de leurs alliés de l’intérieur et de l’extérieur se demandent des jeunes Algériens en Algérie et en émigration ? Si en 2010 les nostalgiques de l’apartheid européen contre les «indigènes» attaquent de toutes parts le FLN/ALN, c’est parce qu’ils n’oublient pas qu’il fut le principal ennemi à leur ordre colonial inégalitaire. La guerre terminée Krim Belkacem déclarera «ces arrestations, les rafles de militants algériens dans les villes algériennes du 3 novembre 1954, nous ont fait perdre des collaborations acquises ou promises. Il nous faudra attendre la libération des internés pour reconstituer les réseaux urbains, sauf en Kabylie et dans les Aurès, nous ne reprendrons notre élan qu’après le 20 août 1955».
La thèse du jeune chercheur français Mathieu Rigouste, soutenue en 2007, met à la disposition du public des documents d’archives qui expliquent comment la pensée de «l’ennemi intime» a été construite et instaurée à partir du colonisé pendant les conflits de décolonisation, pensée dont les descendants des anciens colonisés ont héritée dans les banlieues françaises : «malgré le caractère explicitement anticolonialiste de la conférence de Bandung de 1955, le courant qui s’impose dans la pensée politico-militaire est celui qui présente les soulèvements au sein des colonies françaises en Afrique comme une internationale arabo-islamique en formation manipulée par le monde communiste »
- Germaine Tillon, les Aurès et les années 30
Sans prétention, je peux écrire que ma proximité passée et présente avec elle me permet de savoir que cette grande patriote française a vécu plusieurs vies avec l’Algérie et les Algériens, elle est décédée en emportant dans sa tombe des secrets d’Etat qui pouvaient déranger plus d’une personne, des deux côtés de la Méditerranée. Limiter cette femme aux vies multiples à la période des années 30, qui fut celle de la sublimation de la colonisation, est une erreur de jugement. C’était aussi le temps du développement de l’ethnologie coloniale dont certains chercheurs ont gardé mentalement une proximité qui se manifeste encore à travers leurs écrits et leurs déclarations, doit-on tenir pour vérité scientifique et historique les écrits de Jean Morizot concernant la Kabylie, à l’heure des travaux sur le postcolonial au niveau des Sciences Humaines et de l’Histoire dans des laboratoires français et étrangers, telle la thèse de Patricia M. E. Lorcin, citée ci-dessus.
En 1955, Germaine revient dans les Aurès dont la population venait de subir 5 ans de famines et de discriminations en matière de rationnement, elle fut si horrifiée de découvrir leur état de dégradation sociale qu’elle ne put le décrire que par le terme de «clochardisation». A diverses reprises Germaine expliquera que lors de ces «rencontres» avec cette population, durant ses séjours d’études entre 1936 et 1940, elle avait découvert des gens vivant dans l’autosuffisance, en 1955 il n’y avait aucun concept pour décrire leur misère. Germaine vivra plusieurs vies et statuts et les Aurèsiens de même, ni l’une ni les autres ne furent figés telles les statues de la période antique.
- Amirouche, ses amis et ses ennemis
Les récits des Résistantes et Résistants français, issus de différents groupes, retracent des vécus aussi compliqués et complexes que ceux des résistants algériens, ils permettent de comprendre qu’aucune lecture «exacte» de la Révolution algérienne ne peut être faite lorsque l’aigreur et la rancune personnelle prennent le pas sur l’impartialité.
Plongé dans un fauteuil, un verre de thé ou une tasse de café fumant à la main, un téléphone mobile dans la poche et un GPS dans la voiture il est aisé de prêcher les qualités d’Amirouche ou de condamner ses actes, ce procédé est une insulte sans mesure vis-à-vis de ce héros national. Procédé que lui-même aurait fermement refusé et condamné car il savait que le culte de la personnalité, le zaïmisme de Messali, avait conduit l’Etoile Nord-Africaine au chaos et le MNA par son aide aux forces coloniales en Algérie et en France avait saigné en hommes et en matériel la Révolution allant jusqu’à retarder l’issue de la guerre. Donc pour situer le parcours d’Amirouche entre les récits de combattants aurèsiens survivants qui l’accusent «d’avoir cassé l’Aurès et les Chaouias» et les écrits de ses compagnons qui parlent le mieux de lui la neutralité est exigée. D’abord, le témoignage de Djoudi Attoumi qui situe la responsabilité d’Amirouche en tant que chef local dans les combats menés contre les campagnes d’intoxications en Kabylie, «On ne peut parler d’Amirouche en occultant «le complot des bleus en sa qualité de chef de la wilaya III» p.161. Et selon l’expression populaire un autre maquisard enfonce le clou avec cette précision en page 170 de son témoignage: «toujours est-il que l’affaire des bleus a connu sa fin, avec celle d’Amirouche. Nous avions constaté que le lien entre Amirouche et la bleuite était malheureusement indissociable .» De même, Hamou Amirouche dans son ouvrage remarque, effrayé et révolté, qu’Amirouche avait ordonné l’exécution d’un djoundi qui avait reproché à des paysans kabyles, devant leurs femmes, d’avoir du tabac à chiquer alors que lui-même possédait une boite dans sa poche, l’auteur compare avec la situation des maquisards des Aurès où lors d’un passage il avait constaté que le tabac n’était pas interdit dans ce maquis, p. 156.
Il précisera qu’Amirouche «envoyait les élèves kabyles de la WIII à Tunis dans un centre créé personnellement par Amirouche» p. 157, d’autres auteurs précisent «centre crée par Amirouche en 1957 et qu’il finance avec l’argent de la WIII». Pourtant dans les autres wilaya et au sein de la Fédération de France, les dirigeants du FLN interdisaient formellement aux militants de combattre, sous quelle forme que ce soit, uniquement dans leur douar, et pour les émigrés avec leur région d’origine.
Si même les proches d’Amirouche engagent sa responsabilité en Kabylie, elle est aussi engagée dans les conséquences désastreuses que vécurent les Aurès après le congrès de la Soummam.
- Les Aurès tribalistes ou nationalistes ?
Les dirigeants de l’Aurès qui ont tiré les premières balles de la Révolution sont en majorité issus de l’OS donc ils furent préparés militairement, c’est ce mérite qui fera naître l’indépendance, car de 1830 à 1954 à travers leurs nombreuses révoltes ils eurent le temps d’expérimenter les limites du politique et de ses conséquences.
Depuis 1948, les structures de l’OS des Aurès qui, contrairement aux autres régions, n’ont pas été dissoutes malgré l’ordre du Zaïm et les recherches des services de police et de l’armée coloniale. En 1952, l’opération «Aiguille» avait causé la mort de Aïssa Mekki mais elle ne réussit pas la destruction totale de l’OS locale, qui «il faut rappeler à toutes fins utiles que Ben Boulaïd faisait des prouesses pour entretenir ces moudjahidines d’avant l’heure, et ce grâce à la générosité des populations aurèsiennes. Bien plus, les structures de l’OS ont été renforcées par quelques maquisards du Djurdjura qui ne pouvaient plus demeurer en Kabylie tant la répression était féroce et les patriotes poursuivis. C’est à cet égard que Ben Boulaïd, en accord avec le parti et Krim Belkacem, accepte d’accueillir les frères kabyles et les prendre en charge ». Dans ce récit d’Aïssa Kechida, témoin direct des débuts de la Révolution algérienne, il raconte comment «dès août 1954, Laghrour Abbas l’un des lieutenants de Ben Boulaïd qui avait la responsabilité du secteur de Tébessa, signala à Si Mostefa des mouvements suspects des forces françaises à la frontière tunisienne». Ces quelques phrases éloignent le lecteur de la version donnée sur les oppositions ancestrales aurèsiennes telles qu’enseignées par l’ethnologie coloniale et leurs adeptes d’aujourd’hui. Ecrire les biographies de certains combattants et de certains lieux hors de tout contexte historique national et international uniquement en inscrivant des faits dans une chronologie événementielle conduit à raconter la vie de Robin des Bois, et même dans ce cas un auteur sérieux ne peut limiter le héros à sa forêt.
A celles et ceux qui voudraient en savoir plus sur les bandits d’honneur, Aïssa Kechida décrit, en page 50 et suivantes, les exploits de ces précoces révolutionnaires qui ne sont pas des parcours de «primaires coupeurs de route» mais bien des réfractaires à l’ordre colonial injuste et raciste. Une bande dessinée algérienne éditée en 1984 retrace l’épopée de ces hommes, elle cerne plus précisément leurs personnalités, leurs motivations et aussi leur nombre. Les récits et berceuses relatant leurs exploits ont bercé les enfances aurèsiennes pendant plusieurs décennies.
- La mort de Bachir Chihani
Alors que des combattants aurèsiens et des auteurs algériens commencent à lever le voile sur les faits réels qui se sont déroulés lors de la célèbre bataille de Djorf et qui sont la cause véritable de son exécution le 23 octobre 1955, de jeunes étudiants algériens sont soumis à un véritable lavage de cerveau. Ils subissent l’enseignement d’un tissu de mensonges dont l’exemple le plus consternant est cet entretien de Jacques Simon avec Jean Moreau: «Ben Boulaïd a appelé à la révolution au nom de Messali Hadj. Par la suite, n’ayant reçu aucune arme du Caire, il comprendra que Boudiaf l’avait manipulé. Il rejoindra alors le MNA et sera assassiné, comme Chihani Bachir, le chef précédent des Aurès par Adjoul Adjoul et Laghrour Abbas, en liaison étroite avec Krim Belgacem et Abanne Ramdane, selon les sources du MNA ». Grossiers mensonges que démentent les sources françaises les plus colonialistes.
-Le congrès de la Soummam et ses conséquences dans les Aurès
Au moment du congrès de la Soummam, qualifié par de nombreux militants Algériens, des auteurs Français et des auteurs Etrangers de «coup d’Etat kabyle», le président de séance était Larbi Ben M’hidi , en lisant cette information on peut se demander comment a-t-il accepté lui qui s’exprimait uniquement en arabe et difficilement en français: que «les travaux du congrès se déroulaient en français ou pire dans certaines situations en kabyle». Comment Sadi, un leader politique national ne trouve-t-il pas choquant, aujourd’hui, que des travaux engageant le devenir du pays se déroulent dans deux langues qui ne sont pas comprises, surtout à l’époque, par l’ensemble des congressistes ? Hamou Amirouche, simple combattant, savait qu’en déplacement avec d’autres kabyles chez les Aurèsiens: «il était hors de question de communiquer en kabyle au sein d’autres berbérophones ».
Abderrezak Bouhara dans ses mémoires tait certaines informations concernant ce congrès et la plus importante, donnée par Mohamed Harbi, et qui explique le déroulement du congrès et ses suites : «au moment de la tenue du Congrès les participants n’ignorent pas la mort de Ben Boulaïd » Lors de la parution des mémoires de A Bouhara, fut édité le livre de Mohamed Larbi Madaci, peu médiatisé, pourtant il apporte un nouvel éclairage sur les luttes prétendument «tribalistes des Chaouias».
L’auteur a mené une enquête de terrain auprès de combattants aurèsiens ayant survécu à la guerre d’indépendance, leurs témoignages décrivent les facteurs ayant conduit ces combattants qualifiés de «mouchewchine» à se révolter.
Ils étaient en fait des dissidents des Aurès-Nememtchas qui s’insurgeaient contre les mesures disciplinaires édictées par Amirouche.
- Ces survivants citent quelques causes, parmi d’autres:
1- La contestation des décisions du congrès de la Soummam prises sans l’apport des dirigeants de la W1 et de la Délégation Extérieure volontairement évincés comme le prouvent les récits contenus dans le livre de Madaci, les informations données par l’historien Mohamed Harbi et les nombreuses mémoires publiées par d’anciens combattants à l’intérieur ou à l’extérieur du pays;
2- La remise en cause, par Amirouche, du fonctionnement aurèsien bâti sur un minimum de consultation dans la désignation des chefs sachant que depuis le début de l’insurrection le commandement était assuré par une direction collégiale de combattants, règle édictée par les dirigeants du FLN/ALN;
3- Le désarmement des «Chaouias» par Amirouche fut une atteinte sans nom à leur honneur, comme dans toutes les sociétés patriarcales méditerranéennes le fusil est le symbole de leur honneur, leur capital le plus important. Désarmer un aurèsien c’est lui enlever la ceinture qui retient son pantalon !!
4- L’imposition de chefs déserteurs de l’armée française (DAF) dont les maquisards, pas seulement «Chaouias» se méfiaient comme l’écrit Bouhara dans ses mémoires: «l’intérêt accordé par les services de sécurité pour des militants FLN et de l’ALN, qui ont servi dans l’administration française ou dont les familles étaient considérées pro-françaises est une réalité. Que ces services inscrivent dans leur réflexion sur les techniques d’infiltration des rangs de l’ALN, la manière d’utiliser des militaires issus de leur armée apparaît comme une certitude, qui entre dans la logique des choses». Hamou Amirouche parlant des maquisards de la Kabylie écrit « La plupart d’entre nous entretenions des préjugés que je trouve aujourd’hui ridicules, contre les déserteurs de l’armée française (DAF) qui « n’avaient quitté l’armée française que lorsqu’il devint clair que l’Algérie marchait inéluctablement vers l’indépendance .»
5- Dans les Aurès Amirouche, établira son ordre, il fait et défait ce maquis selon ses idées personnelles se servant des maquisards locaux selon ses propres décisions. Mustapha Benamar, ancien maquisard relate cet épisode qui prouve le fonctionnement d’Amirouche «au PC de la wilaya III, nous fîmes la connaissance d’Abdelkader el Bariki que l’on nous présenta comme l’officier chargé de superviser les cheminements d’armes entre les wilaya I et III. Très brun de peau, vêtu d’une tenue de léopard et coiffé d’une casquette à visière comme celles portées par les seuls officiers de la WI, el Bariki paraissait jouir de la totale confiance d’Amirouche, ne serait-ce que pour l’avoir escorté lorsqu’il revenait de Tunisie quelques semaines plus tôt ». En page 46028 une autre version est donnée par Mohamed Harbi et Gilbert Meynier sur la façon dont les militaires et civils en kabylie traitaient les combattants aurèsiens qui leur convoyaient des armes, d’août à octobre 1957, sur décision de Kaci, Amirouche et Ouamrane après le congrès de la Soummam. Amirouche place et nomme à sa guise et les conséquences seront désastreuses pour les maquis des Aurès voire pour l’ensemble de la Révolution, au procès des colonels de la WI, Lamouri écrira: «A l’intérieur de la wilayaI, nous avons dû combattre Omar Benboulaïd et ses hommes parce qu’il était sectaire et régionaliste. J’étais alors à l’époque accusé par lui et ses hommes d’être un kabyle. Plus de 200 djoundis sont tombés pour réduire cet homme ( ) Il est malheureux d’être obligé de citer combien de kabyles détiennent des postes de responsabilités dans la WI» Mohamed Harbi précise que l’antagonisme entre kabyles et Chaouias qu’on retrouve dans la discours d’Omar Benboulaïd et Abdallah Nouaoura sert à masquer la nature réelle des problèmes algériens qui sont d’ordre politiques et non régionaux.
L’historien confirme que quand Lamouri essaye de mobiliser le sentiment régionaliste contre Krim il n’entraine pas l’ensemble des «Chaouias» derrière lui. L’historien précise que l’anarchie «tribaliste Chaouia» est à refuser puisque les hommes qui dirigeaient la wilaya1 et qui n’étaient pas installés par Amirouche ont adressé, le 11 avril 1962, un message du Conseil de la Wilaya I au GPRA et au Chef d’Etat-major: « vous informons que wilaya1 ne peut recevoir de cadres de l’extérieur souhaitons relations fraternelles compréhension mutuelle et esprit révolutionnaire règnent à tous les échelons.» Par devoir familial et pour le respect des mémoires des combattants de l’Aurès j’apporte ces quelques compléments d’informations qui sont une vérité d’aujourd’hui, vérité qui sera certainement remise en cause lors de la confrontation des archives algériennes et françaises, lorsque cela sera possible.
*Militante du RCD Immigration de 1994 à 1999
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