Il n’y aura sans doute que les membres du jury du Festival de Cannes pour ne voir dans le film de Rachid Bouchareb Hors-la-loi que ce qu’il est réellement : une fiction. Comme l’écrasante majorité de ceux qui en parlent avec passion ne se sont pas cru obligés d’attendre de le voir, à commencer ce parlementaire français qui a «lancé la polémique»
bien avant sa sortie, en se basant sur des bribes de scénario à la provenance énigmatique, on aurait très bien pu arrêter le… cinéma et ouvrir le débat sur un sujet d’histoire ou, pour être dans l’air du temps, de mémoire. Or ce débat ne semble pas encore possible pour beaucoup de Français, on a eu à le vérifier régulièrement et dans le contexte précis, le député de la majorité ne s’en cache même pas.
Il en fait même son argument majeur puisqu’il n’arrête pas de poser la question s’il était «opportun de sortir un film sur un sujet qui risque de raviver des rancœurs» et malin de financer à moitié une production dont «on savait qu’elle n’allait mettre en évidence que les mauvais côtés de la colonisation». De ce côté-ci de la Méditerranée, on n’a pas fait mieux : des six minutes consacrées dans le film aux événements du 8 mai 1945, on a fait la chose et son contraire.
La partie officielle qui a présenté Hors-la-loi comme une fresque historique dont on s’enorgueillit d’avoir financé la production comme les patriotes de la vingt-cinquième heure qui se sont encore agités pour crier au scandale sous prétexte que l’argent public a servi un film français (!) révisionniste n’ont pas pour ainsi dire préparé le terrain à une sortie apaisée d’un film qui aurait pu rester dans ses limites cinématographiques. Et il se peut bien que ce soit ce «débat» prématuré dans les deux pays qui a aidé Rachid Bouchareb à oser quelque prétention d’historien, même s’il a eu la lucidité de s’en défendre a posteriori.
Hors la loi a fini par la force des choses et la «conjugaison des efforts» par nous offrir une situation plutôt cocasse. Il n’est pas la fresque historique promise, il n’est pas un regard détaché sur des événements historiques et il n’est pas un film d’action inspiré par une tranche d’histoire. Seulement une fiction dont on dit qu’elle est bien partie pour une distinction à Cannes ? Un peu plus quand même. Jusque dans la montée des marches par Djamel Debouze et Chafia Boudrâa, il y avait autre chose, même si le jury va l’ignorer. Ou faire semblant.
23 mai 2010
Contributions