23 Mai 2010 – Page : 24 L’Expression
Dans l’attente du Palmarès du 63e Festival du cinéma de Cannes, qui, peut-être, consacrera notre compatriote, nous avons improvisé une petite discussion avec Rachid Bouchareb, dont le film Hors-la-loi fait ici, événement, en France.
L’Expression: Fébrile par rapport au palmarès?
Rachid Bouchareb: Ne parlons pas de palmarès. Je ne vais pas attendre le palmarès. Je prends demain l’avion pour voir mon fils. C’est quand on a trop d’attente qu’on est déçu. Le film est là. Formidable. La projection s’est faite malgré toutes les oppositions. Les autorités françaises ont fait un travail formidable. Elles ont garanti la liberté d’expression. On est très heureux nous avec les acteurs en plus d’être logés dans un superbe hôtel ici, et il fait beau. J’ai eu le grand prix du film, ça y est. J’ai été membre du jury, je sais ce que c’est. Ce sont des sensibilités de plein de gens. Il y a ce jury qui va décerner un prix. Vous en prenez un autre. Il va attribuer d’autres prix. Ce film est là, c’est déjà un grand prix. C’est déjà formidable d’être là. C’est une grande fête. Il n’y a pas meilleur prix que ça. Le prix qu’on peut nous donner, on l’a déjà gagné. Cela ne veut pas dire que je rejette ça, mais il ne faut jamais se mettre dans cette attente. Il faut se dire tout le temps qu’on est comblé. Dès qu’on a fait un film, on est déjà comblé.
Que vous inspirent ces mouvements de manifestation tenus par les harkis?
Oui, au départ ils on dit qu’ils allaient manifester durant 15 jours. Ensuite pendant une semaine, après ils ont dit qu’ils allaient déposer une gerbe de fleurs. C’est bien, car les autres ont droit aussi à la liberté d’expression, mais ils doivent respecter celle des autres. Les autorités françaises ont fait que cela se passe comme ça. Chacun a le droit de s’exprimer. Il y a des gens qui osent utiliser ce genre d’opportunités, mais on sait pour quel but. Je suis à moitié surpris. Mais à chacun sa liberté.
Cette polémique a été assez stressante tout de même…
Oui, mais on a gagné la partie. Ça y est. Tout a été dit. Maintenant pour se rattraper pour la dernière nouvelle qui sort, c’est «on a coupé 25 minutes du film avant la projection». Mais les français ne sont pas idiots. Même le monde entier n’est pas naïf. Tout le monde a compris autour de quoi ça tournait. Pour moi, c’est le passé. Maintenant, il faut que le film fasse son voyage à travers le monde entier et qu’il soit vu. La polémique est derrière. Elle s’est arrêtée hier. C’est fini. Ailleurs, on n’est jamais rentré dedans. Djamel est venu hier sur le plateau de Canal+ avec un extincteur et il est venu comme il a dit: éteindre l’incendie. Il s’est éteint hier soir.
Pourquoi toujours les mêmes acteurs? Une habitude installée à l’américaine ou c’est le talent qui parle?
On travaille surtout avec des acteurs. On est une famille. J’aime bien aussi certaines idées chez les cinéastes américains comme Scorsese, Ridley Scott, Tim Burton de travailler avec les mêmes acteurs. Mais c’est vrai que ça crée quelque chose. Notre but est de faire du cinéma. Alors on a une culture cinématographique et à chaque fois on veut aller vers une voie. Les prochains films qu’on va faire ensemble, c’est aller encore plus loin dans le cinéma. Le sujet aurait pu nous amener à ce qu’a été la Bataille d’Alger qui est un film formidable. Notre passion et notre métier est de faire des films. Quand je discute avec Sami (Bouajila) ou Jamel (Debbouze), ils me disent des choses sur le scénario. Chacun propose des idées. Ce n’est pas commun dans le cinéma français parce que eux, ils ont quelque chose qui est crédible à la première seconde. Quand ils jouent des soldats de la Seconde Guerre mondiale ils sont comme Mel Gibson, Tom Hanks et tous les autres. Je ne sais pas pourquoi. C’est comme ça et personne ne dit que c’est ridicule. Avec eux, Il était une fois l’Amérique, on y croit. Cela, on va l’utiliser jusqu’au bout et on va aussi réaliser un autre film sur ça. Un moment, on va se libérer de notre cinéma et de notre culture cinématographique pour inventer ensemble notre création, nos films, notre cinéma. Moi, je m’exprime comme un cinéaste français d’origine algérienne qui a grandi en France. C’est là où on est nés et où on a grandi qui déterminent la sensibilité de notre regard. Je sais que quand je suis avec mes comédiens on va faire un truc formidable.
Dans Litlle Sénégal, vous faites rencontrer une Américaine avec un Africain, dans London River, une Anglaise un peu conservatrice face à un écrivain, un choc entre deux cultures, nettement plus violent et plus prégnant dans Indigènes et Hors-la-loi…C’est quoi votre cinéma en fin de compte? De revendication, de liberté pour l’altérité?
Un cinéma de polémique surtout. Je suis entouré ici de trois des gardes généraux qui sont là et je ne suis pas Whitney Huston!
Finalement, c’est formidable. On ne se pose pas de questions. Avec Jamel on a un projet qui, quelque part, va dans ce même esprit.
Votre objectif à travers le cinéma c’est finalement quoi? La réhabilitation de la vérité historique?
Non, pas du tout. C’est d’ouvrir le débat sur des sujets dont il faut débattre, voilà. Si le Maghreb s’unit, on peut faire un Hollywood. Il existe des talents. Il existe des techniciens. Il y a des gens professionnels. Avec ça, on peut faire un cinéma international formidable. Aussi, Hors-la-loi c’est Jamel Debbouze, d’origine marocaine et de nationalité française, Sami Bouajila, d’origine tunisienne et français et Roshdy Zem pareil, sans parler de moi et Chafia Boudraâ d’origine algérienne. Le fait d’être né en France et de s’être réunis dans cette idée du Maghreb, c’est super. Demain on pourra faire même des histoires au Maroc avec des acteurs tunisiens qui vont interpréter des rôles marocains et vice versa. En ce moment, je produis l’histoire de Omar Haddad, réalisée par Rochdy Zem. L’acteur qui est censé être marocain sera un Tunisien. J’ai des projets de films aux Etats-Unis, financés par l’Europe, en toute indépendance. Mais pas de financement américain. Pas de financement de la part de l’Algérie non plus. L’histoire se situe aux USA. Ça va, les pauvres ils ont cassé la tirelire. Je vais les laisser tranquilles quelques années.
Vous dites vouloir aller complètement dans l’histoire pour la faire connaître à la nouvelle génération d’une part, et d’autre part, vous plaidez pour l’oeuvre de fiction…
Le film est maintenant ouvert au débat. Quand je dis ce matin dans la presse que l’ancien secrétaire d’Etat (français) à la Défense dit qu’il faut faire une approche apaisée, avec un travail de la mémoire, eh bien, voilà ce que le film propose.
De notre envoyée spéciale O. HIND
23 mai 2010
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