Le climat des affaires est pourri en Algérie. L’influent Wall Street Journal le dit, les hommes d’affaires algériens le disent, le trabendiste de cabas le dit, des ministres du gouvernement le disent, en privé. La raison ? On ne sait pas.
C’est-à-dire on ne sait pas ce que ce pays veut. Pas son peuple en rez-de-chaussée, mais son Etat. C’est-à-dire sa Présidence et ses équipes de soutiens. Libérale, dirigiste ou trabendiste ? Bien sûr, et pour être clair, chaque partie a ses raisons dans cet évidence d’un pays réduit à un pipe-line accompagné de factures pro forma, d’un drapeau et d’un peuple pour assurer la bande-son : les étrangers parce qu’ils ne peuvent pas prendre des devises dans leur cabas comme depuis une décennie, les ministres parce que Bouteflika les cuit à petit feu avec de savantes rumeurs de remaniement qui leur enlève de leur masculinité même auprès de leurs épouses, le trabendiste parce qu’il voit de ses yeux. Bien sûr la question est : si on accuse aujourd’hui des Egyptiens et des Libanais d’avoir transféré de l’argent à la pelle à partir de l’Algérie, où était cet Etat pendant dix ans qu’on applaudissait Bouteflika avec ses Temmar et ses Khelil ? Que faire de ceux qui ont crié qu’on ne peut sauver ce pays que par les investisseurs étrangers ?
Le cas précis d’Orascom sert aujourd’hui à une double arnaque : d’abord des Occidentaux qui ferment les yeux sur le cas de ce groupe et ses manières et crient au « risque Algérie » augmenté à cause du retour du dirigisme économique dans cet Etat, mais le cas d’Orascom sert aussi au Régime algérien à faire oublier que c’est lui qui en est le premier coupable/complice et que ce n’est pas une raison pour revenir au Souk El Fellah en écrasant les bons partenaires et surtout le patronat algérien émergent.
Pour ceux qui ont l’oreille fine, aujourd’hui, beaucoup d’hommes d’affaires algériens se comportent comme des militants démocrates traqués par un régime de dictature chilienne : ils ont peur, parlent de rumeurs, attendent leur tour, préparent la valise, donnent des coups de téléphone, essayent de comprendre et de décrypter. La terreur est réelle et pour deux raisons : parce que des patrons algériens sont un produit de l’allaitement artificiel de la rente, dépendent du régime qui sait comment ils se sont enrichis, et parce que, pour les patrons les plus honnêtes, l’actuelle campagne d’épuration ne repose pas sur une conviction collective de l’indépendance de la justice et du traitement du présumé crime par des spécialistes, mais sur la connexion vue comme évidente entre le calcul politique et le besoin d’affirmer un Pouvoir chez le pouvoir par le biais de ses juges et de ses services. L’actuelle équipe qui possède ce pays, fait partie de cette génération pour qui le «privé» est un voleur de sueur, pure création de la spéculation, maladie indésirable de l’Indépendance. «Le message des hommes du pouvoir et de leur idéologie est «pour nous, vous n’êtes rien», on peut vous détruire quand on veut » expliquera un homme d’affaires au chroniqueur.
C’est cette volonté d’affirmer une autorité qui semble aussi expliquer cette destruction massive du patronat algérien par des étalages publics, des mandats dépôt et des attaques directes contre les personnes. Les rares à pouvoir en échapper, sont ceux qui sont bien inscrits sur la tablette VIP de la dernière campagne électorale présidentielle ou ceux qui se sont installés dans une position de force «régionaliste » au point de ne pas se soucier des éternuements d’un Président ou des allergies de l’un de ses puissants ministres. Pour les autres, c’est la peur, l’attente du tour, la faillite.
Il ne fait pas bon donc d’investir en Algérie. Pas pour des Occidentaux ou des étrangers qui crient au loup avec hypocrisie, mais surtout pour les patrons algériens, les Algériens. Le Régime leur en veut par principe, depuis l’Indépendance et surtout avec la rente du pétrole. Le libéralisme en bonne santé et la plus sérieuse menace contre la légitimité par la force. Depuis quelques mois, les ministres du gouvernement fonctionnent comme des boîtes postales narcissiques, les étrangers courbent le dos en attendant de lancer Amnesty International sur la scène et les patrons algériens se posent les grandes questions existentielles de Buddha et de J.P.Sartre: quel est le sens interdit du cosmos ? Que faisons-nous ici ? Y a-t-il une autre vie dans l’espace ?
19 mai 2010
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