19 Mai 2010 – Page : 24
Ce film raconte la tragique perte (pour les Algériens aussi) d’hommes de foi, qui n’ont pas été épargnés par la barbarie sanguinaire.
Un paisible monastère, des moines tout à leur foi vivant en bonne intelligence avec une population locale qui a souvent recours à leurs services pour remplir un formulaire, écrire une lettre et surtout soigner les maux du quotidien…Jusqu’au jour où tout bascule, avec l’assassinat des treize Croates, par les hordes terroristes… On cible les étrangers aussi! Le monastère de l’Atlas (qui est situé «au Maghreb» dans le film) reçoit la première visite d’un groupe de barbus dirigé par un certain Fatiatya…C’était la veille de Noël.
Les moines s’en tirent à bon compte. Les autorités locales interviennent, c’est un civil, campé par Miloud Khetib, pas encore sorti d’un autre film, apparemment, (Le Thé d’Ania), tente de les persuader de quitter les lieux, pour au moins un temps, à défaut d’accepter une protection armée. Les moines refusent, du moins officiellement. Mais à l’intérieur de la petite communauté cistercienne, le débat a lieu.
Il durera. Il ne s’agit pas de savoir «qui-tue-qui?», mais plutôt qui voudrait partir ou rester? En attendant de trancher la question. Le film s’étire entre prières, contemplations et visites régulières des habitants du village au monastère. Et c’est là que, cinématographiquement, cela commence à patiner. Le surplace se fait, malheureusement, sentir….Michael Lonsdale, malgré sa religiosité avérée (dans la vraie vie), peine à tirer le film vers le haut…
On est loin de Thérèse d’Alain Cavalier. Le chef du groupe, Frère Christian (Lambert Wilson) aurait pu attirer l’histoire vers lui – en attendant le turn point décisif, dans le scénario…Mais là aussi, les choses ne tournent pas dans une certaine concentricité, mystique, même si Christian a sauté de joie lorsqu’un moine de passage lui a apporté le livre sur le soufisme qu’il espérait tant!
Les scénaristes auraient pu trouver du grain à moudre dans le passé du vrai Christian, un appelé pendant la Guerre d’Algérie, et à qui un Algérien a sauvé la vie d’une mort certaine. Le Frère avait alors décidé de dater à partir de cet épisode, sa «vraie rencontre avec l’Islam»…
Des Hommes et des Dieux ne trouve alors plus, dans ce titre, une résonance, particulière, au risque même d’un métalinguisme laïc…
Et l’image finale de cette colonne de prisonniers, (les moines) et de leurs geôliers (les terroristes du GIA) marchent dans la neige, dans l’immensité de la montagne, ponctué, en voix off, du testament de Frère Christian de Chergé en fait qu’accentuer l’anachronisme éditorial.: «L’Algérie et l’Islam, pour moi c’est autre chose, c’est un corps et une âme. Je l’ai assez proclamé, je crois au vu et au su de ce que j’en ai reçu»….
Et même, si au générique de fin, y est ajoutée une phrase, sur écran noir, disant le «mystère sur l’identité des auteurs» de ce crime perpétré dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, et qui aura coûté la vie aux sept moines de Notre-Dame de l’Atlas, à Tibhirine, il restera ce discernement à la hauteur du geste sacrificiel de ces hommes et qui se trouve aussi dans le testament de Christian de Chergé: «Je sais le mépris dont on a pu entourer les Algériens pris globalement. Je sais aussi les caricatures de l’Islam qu’encourage un certain islamisme.
Il est trop facile de se donner bonne conscience en identifiant cette voie religieuse avec les intégrismes de ses extrémistes.».
Reste que Xavier Beauvois a pris le risque de ne pas abonder dans la thèse qui absoudrait de manière implacable les hordes terroristes, dont certains de leurs sinistres méfaits ont été énoncés, dans le film. Et cela va sans doute brouiller la lecture cinématographique de ce film qui raconte, tout avant la tragique perte (pour les Algériens aussi, doit-on le rappeler?) d’hommes de foi, qui n’ont pas été épargnés par la barbarie sanguinaire qui a emporté dans sa démence, aussi bien le Père Claverie que le Cheikh Bouslimani et tant d’autres imams anonymes.
P. S.: Si l’Algérie avait accueilli, à la place du Maroc, ce tournage, cela aurait été déjà un (bon) début de réponse…
De notre envoyé spécial Saïd Ould KHELIFA
19 mai 2010
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