Djeha se promène dans les champs et trouve au bord du chemin une poule morte, apparemment très récemment. Il décide alors de lui tâter le derrière pour voir si elle n’avait pas d’œuf. A son grand contentement, il en trouve un et le récupère. Il rentre chez lui avec l’œuf, le cuit en omelette et le mange. C’est après avoir terminé de se sustenter qu’un terrible doute l’envahit : manger un œuf d’une poule morte, est-ce haram ou halal ? (Sachant que la chair des animaux morts non sacrifiés est illicite). Il décide donc d’aller consulter l’imam du village pour lui poser la question.
«Ya latif, ya latif !, lui répond l’imam, tu as commis là un péché horrible, car l’œuf était une partie de la poule, et tu as donc consommé la chair d’un animal mort ! Repens-toi donc !»
Djeha s’en va tout penaud et honteux. Mais loin d’être satisfait entièrement, il décide d’aller voir un autre imam, deux avis valant mieux qu’un.
«N’aie crainte, ya Djeha ! L’œuf ne fait pas partie de la poule, tu n’as donc pas commis de péché !», lui répond le second imam. Djeha se sent alors soulagé d’un grand poids, cet avis-là lui plaisant bien plus que le premier. Cependant, d’ordinaire scrupuleux, Djeha décide d’aller voir un troisième imam à qui il expose son cas.
«Tu as trouvé la poule morte ? Et tu lui as mis la main dans le derrière pour récupérer l’œuf ?
- Oui c’est ça».
Le troisième imam réfléchit longuement, dubitatif, perplexe et circonspect, en faisant les cent pas. Au bout de plusieurs longues minutes, il se retourne vers Djeha et lui déclare d’un air mi-désolé, mi-réprobateur : «Ouech eddek ya bni, ouech eddek ?».
Nos Anciens n’avaient qu’une confiance limitée dans les axiomatiques formelles. Ils savaient bien au fond que les lois sont des indications qui éprouvent la liberté des hommes, pas des prescriptions déontiques intangibles.
Dès lors que nous ne disposons pas d’une théorie valide et complète de l’univers, le mieux est de se replier sur une sagesse, certes contingente, mais qui a fait ses preuves tout au long d’une expérience pluriséculaire, dont le troisième sage – loin de tout principe moderne de précaution, ne nous y trompons pas – est l’héritier.
Il y a la loi et il y a les règles. Et beaucoup de sociétés souffrent de ne pas les voir respectées. Beaucoup des nôtres souffrent parfois de leur inexistence ou de l’inexistence de ceux qui sont payés pour les faire respecter.
Mais il est vain de croire que les lois compensent une absence de discernement et de vision politique. Bien au contraire le plus souvent, l’inflation législative est le signe de l’impuissance politique. Nous sommes, à tout instant, à l’épreuve de notre liberté.
Ni lois, ni pouvoir immanent ou transcendant ne parviendront à couvrir notre responsabilité individuelle et collective. Nous portons peu ou prou le poids de ce qui nous advient. Par ailleurs, il n’est pas interdit d’être intelligent.
16 mai 2010
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