La Manucure est un roman de bonne facture dont nous n’avons pas à juger de la forme puisqu’il s’agit d’une traduction du grec.
A la lecture, nous ressentons pleinement ce côté méditerranéen qui nous a longtemps bercés. A l’exemple de tous les romans psychologiques qui nous rappellent l’œuvre d’un autre Méditerranéen, Emile Zola, d’origine italienne, l’auteur met en scène un héros atypique autour de qui gravitent des personnages issus du monde réel et choisis à dessein pour les effets de contraste recherchés. On n’arrive au bout de l’intrigue qu’en faisant l’effort de comprendre pourquoi Christos a voulu produire un roman de type post-moder,e. Cet auteur a pris la précaution de replonger son personnage principal dans le milieu scolaire qui a été le siens et dont il semble avoir gardé des souvenirs précis : le registre d’appel où Philippe Dostal se trouve toujours inscrit en dernier de liste, l’arrivée glaciale du maître dans la salle de classe suivie d’un silence total, la description fidèle des lieux. L’école a fait de cet homme exceptionnel un manucure hors du commun, travaillant dans un salon ordinaire et à domicile. Polarisation des regards sur un héros singulier Le Manucure a, en plus, du talent, de tailler les ongles et de les soigner, le don de classer les doigts selon les catégories de personnes, en en faisant aussi des indicateurs d’informations sur le psychisme des clients. «Philippos, dit l’auteur, exerce son métier avec une grande conscience professionnelle. Il regardait vos mains avec attention, expliquant ce qui en faisait l’harmonie d’ensemble et la créativité.» Même le décor, dans ce roman, agit comme un participant actif, en tant qu’ensemble d’éléments d’une longue histoire. Il est personnifié de manière originale comme dans ce courts passage : «Philippos Dostal aima cette ville. Parce que c’est une ville indifférente, qui ne se préoccupe pas des gens qui l’habitent. Dévouée à ses clochers, ses tours noircies et ses parcs sombres et humides qui, chaque hiver, s’ensauvagent. ? La ville se tait, silencieuse.» Les détails sont là pour apporter un plus à la connaissance des personnages. «Philippos hésitait beaucoup à laisser quiconque pénétrer dans son antre. Pour lui, la maison était un refuge et tous supposaient qu’il y conservait les vestiges de sa vie. Des débris de souvenirs. Des ruines à moitié écroulées.» Les souvenirs du passé, le présent, l’avenir, la ville tout entière, ses rues et ses habitants sont à l’image du paysage humain. Le héros dans son excès de singularité devraient être en parfaite harmonie avec le reste de l’univers. Et même si sa vie contenait une part obscure, la trace qu’elle laissait n’était nullement en contraste avec la moitié éclairée : «Philippos à son travail restait toujours souriant et aimable.» Le héros bizarre dans son attitude quotidienne est amoureux de la solitude. Son univers doit se situer dans une impasse où une miniature de soleil vient se glisser dans une ambiance de musique insistante. Cela signifie que Philippos reste la plupart du temps cloîtré lorsqu’il n’est pas avec sa clientèle. Mais l’enfermement n’est pas total puisque ici et là, des interstices permettent d’avoir quelque regard sur sa vie intime que vient perturber une personne, amante qui tente de faire une incursion mais vainement. Ce qui nous autorise à parler de personnage principal à la fois narcissique et maladif. Une mire en forme qui brouille les pistes Il faut faire l’effort de comprendre les irrégularités dans la mise en forme à l’image de l’imprévisibilité dans le comportement du personnage. Pourtant, lui le grand solitaire n’est point insensible aux mains très blanches qu’il appelle mains de marbre, tendres, douces qui réveillent des désirs. Au fil des pages, l’auteur nous fait la surprise de passer de la prose à la forme poétique, comme si l’amour des mains le rend aveugle au point de composer en vers alors qu’il avait commencé en prose. Il fait voir les mains dans un langage singulier dans la chorégraphie, les gestes de l’évêque, les hommes de loi au tribunal. La main, un moyen d’expression pour tous. Boumediene Abed Christos Chrissopoulos : le Manucure, roman, ed. Socrate, Alger 2009, , 105 pages 12-05-2010
12 mai 2010
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