La polémique ne fait qu’enfler. Un succès, éditorial mais d’abord politique, pour le livre de Saïd Sadi, dont une deuxième édition est attendue dans les prochains jours. Subversif à plus d’un titre, Amirouche,
une vie, deux morts, un testament est moins destiné à éclairer l’opinion publique sur un chapitre controversé de l’histoire de la Révolution – chose à laquelle tant d’historiens et de témoins se sont déjà attelés, chacun selon sa perception –, qui a suscité des remous et provoqué des défiances au sein de la «famille révolutionnaire», chez qui les vieux clivages claniques et régionalistes demeurent vivaces. Saïd Sadi innove dans sa démarche d’historien, en présentant des «preuves irréfutable» et choquantes sur les péripéties ayant conduit à la mort des deux colonels, Amirouche et Si Houès, dans la fameuse bataille de Djebel Thameur le 28 mars 1959, sur leur route vers la Tunisie. Des documents, publiés en annexe, attestent que les deux chefs de la révolution ont été «balancés» par Abdehafidh Boussouf et le chef de l’état-major de l’Ouest, Houari Boumediene. Des historiens ont déjà fait allusion à l’existence d’une pareille conjuration, pour corroborer ce que la vox populi a toujours véhiculé depuis cette époque, notamment en Kabylie, mais ne sont jamais allés jusqu’à citer des noms et présenter des «preuves» comme l’a fait le chef du RCD. Ces «révélations» n’ont pas suffi pour convaincre tout le monde. Mais l’important dans le livre de Sadi est dans sa démarche, éminemment politique. C’est donc sous cet angle qu’il faut analyser cette sortie inédite, mûrie depuis des mois. Par le choix d’un symbole de la Révolution – en Kabylie, Amirouche demeure un mythe –, Saïd Sadi cherche visiblement à marquer définitivement son parti sur la voie de la régionalisation que d’aucun décrivent comme synonyme de balkanisation. Un discours qu’il a commencé à adopter depuis notamment sa défaite à l’élection présidentielle du 9 avril 2004. Mais plus romantique, en parlant crânement d’un pouvoir «anti-kabyle», Sadi voudrait revenir à l’ambiance de la crise de 1962, où le clan au pouvoir, celui d’Oujda en l’occurrence, devait affronter une alliance d’opposants regroupés essentiellement dans le «clan de Tizi». Politiquement, il cherche une voie de salut pour son parti, qui peine à se remettre de ses débâcles électorales successives. En radicalisant son discours de cette façon, le leader du RCD risque, toutefois, de se voir apporter de l’eau au moulin des extrémistes du MAK, lesquels ont l’avantage de poser le problème en des termes crus, en appelant à l’autonomie de la Kabylie. D’ailleurs, les activistes autonomistes se sont faits plus bruyants lors de la dernière célébration du «Printemps berbère». Cela dit, la question aujourd’hui pour les démocrates algériens est de savoir si cette polémique provoquée par Saïd Sadi peut réellement faire avancer le débat sur la démocratie. Pour les plus sceptiques, cette controverse fait, au contraire, une sorte de diversion sur les vraies questions qui préoccupent la population. Et si tous ces déballages quotidiens sur les journaux et les sites Internet peuvent amuser un certain lectorat, avide de sensationnel et de polémique, on constate que cela ne fait que raviver les rancœurs et l’esprit régionaliste chez tous les intervenants dans le débat politique, car de Mourad Benachenhou à Ali Kafi, en passant par les thuriféraires traditionnels de la pensée unique et tous les «anciens amis de la presse» de Saïd Sadi, les réactions au récit de ce dernier, qui pêchent par leur caractère révulsif, ne font qu’exacerber les sentiments de haine et de division. Alors que l’écriture de l’histoire est l’instrument par excellence pour consolider l’unité nationale. M. A.
10-05-2010
10 mai 2010
Histoire