Les romanciers se sont inspirés de la culture populaire algérienne, certains ont réussi dans leurs œuvres, d’autres ont échoué. Le débat a été engagé récemment à la faveur du colloque national Rachid Mimouni qui s’est déroulé à Boumerdès, région natale de l’auteur du Fleuve détourné.
Il y a toujours une part de la culture populaire dans les romans algériens. Qu’ils soient écrits en arabe, en tamazight ou en français, ces œuvres portent les traces du patrimoine berbère, arabo-islamique, africain ou méditerranéen. Même s’il paraît assez vague, le thème choisi par les organisateurs du colloque national Rachid Mimouni, qui a eu lieu les 15 et 16 février 2010 à Boumerdès, a permis à plusieurs chercheurs, universitaires et romanciers de tenter d’explorer un domaine encore peu connu. « L’emploi du patrimoine populaire dans l’écriture romanesque algérienne » est un débat qui passionne et qui divise.
Il rassemble aussi. Abdelhamid Bourayou, chercheur associé au Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (CNRPAH), a relevé que depuis le début, le roman algérien était marqué par la présence des références au patrimoine. Il a cité Mouloud Mammeri, Mouloud Feraoun et Mohamed Dib qui ont formé une école dite « ethnique ». « Ils ont présenté dans leurs œuvres leurs identités, les groupes auxquels ils appartiennent, la vie des gens. Cela s’explique par le fait que leur écriture romanesque était apparue durant la période coloniale. Le colonialisme a tout fait pour effacer l’identité algérienne », a-t-il relevé.
Abdelhamid Bourayou, qui connaît parfaitement le sujet puisqu’il est auteur d’un livre de référence, Les contes populaires algériens d’expressions arabe, a noté que les trois romanciers avaient usé d’expressions dialectales retranscrites en français. « Le français de Kateb Yacine est également marqué par l’arabe dialectal de l’Est algérien », a-t-il noté. Selon lui, les romans de Abdelhamid Benhadouga, de Tahar Ouettar, de Merzac Bagtache, de Djillali Khelas ou de Ouassini Laredj n’étaient pas en reste. « Les traducteurs de Mohamed Dib n’ont pas su transférer l’arabe des expressions populaires algériennes francisées par le romancier », a relevé le conférencier. Il a parlé du roman de Zhor Ounissi, Loundja bent el ghoul mais également des œuvres de deux jeunes auteurs, Abdelwahab Benmansour et Hocine Laâlam.
Zhor Ounissi, qui a modéré une partie des débats, a révélé qu’en visite au Liban, elle fut interpellée par un intervenant sur les expressions françaises utilisées par Mouloud Feraoun, Malek Haddad et Kateb Yacine. « Je leur ai dit que les écrits de ces romans n’étaient pas français. Ils défendaient, à travers le support de cette langue, la cause nationale, celle du peuple, de la lutte contre le colonialisme. Mouloud Feraoun, par exemple, n’a écrit ni en arabe ni en français mais avec son sang puisqu’il est mort en martyr », a-t-elle relevé. Pour Zoubida Djenas, responsable au ministère de la Culture, les écrivains maghrébins qui ont usé du français pour s’exprimer ont considéré cette langue comme un butin de guerre. « Ils se sont appropriés cette langue émancipée de toute attache. Ils ont mené un véritable combat en littérature pour cela. C’est une langue qu’ils manipulent comme ils veulent après l’avoir complètement maîtrisée », a-t-elle remarqué.
Ces écrivains ont, selon elles, inscrit leur identité, leur imaginaire, leur façon de penser. « Lorsqu’on prend un roman, on se reconnaît dans ce qui se dit. Il y a la mémoire de la mère, il y a les contes, il y a les proverbes… On écrit en langue française sans être coupable. C’est une langue d’écriture, elle n’est pas politiquement localisée », a souligné Zoubida Djenas. Merzac Bagtache a, lui, avoué avoir eu des difficultés à transférer de l’arabe dialectal de La Casbah d’Alger vers l’arabe classique son roman Khouya Dahmane qui raconte l’histoire de marins d’Alger. « C’est une traduction-réécriture. J’éprouve le besoin de chercher mes mots pour dire en arabe ce qui est raconté en derdja. Je recherche des équivalences. Il y a tout un effort linguistique à faire », nous a-t-il dit en marge du colloque. Il a cité l’expression algéroise de « maândiche wine yguiel ezzaouch » (il se dit de quelqu’un de très nerveux). « La notion du patrimoine est innée dans les romans algériens. Aucun romancier ne peut l’éviter. Mais, elle est rationalisée. Cela lui donne une projection d’ordre politique ou socio-politique.
Rachid Boudjedra et Tahar Ouettar l’ont fait dans leurs écrits », a-t-il ajouté. Selon lui, les écrivains sont toujours en quête de langue médiane. « Je ne veux pas porter de jugement, mais je constate que le style des romans d’aujourd’hui n’est pas tellement réussi. La littérature, c’est d’abord une question de langue. A mon avis, les nouveaux romanciers commencent là où est terminé le roman en Occident. On ne peut pas commencer à peindre par l’art abstrait », a souligné Merzac Bagtache. Les conférenciers ont relevé que dans Hzam el ghoula (La ceinture de l’ogresse), Rachid Mimouni a fait appel à la culture populaire. « Il a montré comment l’homme ordinaire s’est coupé de son patrimoine en raison de mutations sociales et politiques », a relevé Abdelhamid Bourayou. Djillali Khellas a évoqué son roman Odeur de chien (raihatou el kelb). « Une histoire d’un écrivain public qui livre bataille au maire et qui considère le soleil comme un allié de ce responsable. Il veut donc éteindre le soleil mais il échoue, il se brûle et meurt », a expliqué le romancier.
A la fin du colloque, appel a été lancé pour mettre sur pied un centre national spécialisé dans la collecte du patrimoine populaire algérien.El Watan Edition du 06 avril 2010
Par
10 mai 2010
1.Contes, LITTERATURE