Dans la culture policière du communisme, on appelait ça une période de gel. Contraire d’une période de dégel qui s’annonce généralement avec des mesures de réforme, libération de prisonniers, «ouverture» vers la presse et mesures de démocratisation
périphérique. Aujourd’hui, chez nous, on parle de phase de gel. Une sorte de crispation dangereuse dont on peut faire les frais, y aller en prison pour une facture d’eau, en payer l’addition parce qu’on est du mauvais côté. Pendant que le peuple attend ses augmentations de salaire, lit ses journaux ou surveille les chaussures chinoises des enfants, la grosse partie de l’élite algérienne d’affaire ou d’administration haute, est plongé dans l’appréhension. Elle ne comprend pas ou ne sait pas. La grosse campagne cahoteuse contre la corruption ou contre l’allaitement illégal des rentes, n’est pas claire : si le Pouvoir n’y a pas accédé, on aurait crié au recel, lorsqu’il le fait, on parle de règlement de compte. Entreprise nationale floue, la lutte contre le «mal économique» a cristallisé ce que l’on sait du pouvoir et ce que l’on ne sait pas : il n’est pas unique mais polythéiste, il souffre de luttes internes, il règle ses comptes avec ses alliés ou se prépare un «après» avec ses démonstrations de force.
Ce que l’on sait sur ce qui se passe dans le pays, c’est qu’on ne sait pas qui le fait. Qui lutte contre la corruption ? Qui en a les moyens ? On ne sait pas ensuite si c’est une entreprise d’assainissement ou une démonstration de force. Qui veut démontrer et à qui ? Qui utilise tout un pays comme des syllabes gigantesques ? Tout ça bien sûr a été dit et redit. Tous nés dans un pays doublé par lui-même, personne n’arrive à croire que ce qui se passe est un redressement sain : un Algérien adhère mieux à la thèse des extraterrestres qu’au spectacle d’un homme qui se lave les mains pour manger. C’est l’absence du fondement moral de l’Etat qui fait qu’on n’arrive pas à croire au phantasme humain du Zorro national. Ceci étant dit, il faut peut-être une autre révolution et une autre indépendance pour que ce peuple puisse croire à la bonté et au sens du devoir de l’Etat. Le Pouvoir étant un volant flou, muni de dents et capable de conduire avec les pieds ou avec les yeux, toute l’opération « mains blanches» et d’assainissement est frappée d’une suspicion de base. C’est le péché originel du sens du bien en Algérie.
Pour le reste, la facture est lourde : un immobilisme total du haut encadrement administratif et surtout, une peur bleue chez les chefs d’entreprises algériennes et les patrons privés. Il y a dans l’air, un air de transition et une volonté de démonstration de force qui font paniquer les élites. Quelqu’un est en train de dire «c’est moi qui commande !». Ce n’est peut-être pas vrai mais, dans la culture algérienne, le maquis est une voix off qui peut donner la vie ou ravir, un «haut» peuplé d’anonymes souverains. Le pays est dans la phase de gel et de rééducation politique, des mises sous mandat de dépôt, des retraits de passeports, des enquêtes de CTRI, des suspensions provisoires et un doigt accusateur qui poursuit la lecture d’une liste fantastique.
9 mai 2010
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