Après s’être assurés de la domination sur les territoires de l’Afrique du Nord, les Fatimides rêvaient d’imposer leur suprématie sur les terres orientales de l’Islam. Ils s’apprêtaient à quitter le Maghreb, comptant sur la fidélité des Berbères et les qualités militaires de leur général, Djawhar Es-Siquilli qui leur était dévoué.
En route pour l’Egypte
C’est également Djawhar Al-Siqilli qui occupa l’Égypte, en 969, et qui a pu fonder la ville du Caire où il établit la domination fatimide dans la vallée du Nil. Minutieusement préparée, la conquête de l’Égypte est facilitée par la désorganisation d’un pays alors en proie aux troubles et à la famine. Pour s’assurer la sympathie de la population, Djawhar se conduisit libéralement et concentra ses efforts dans la lutte contre la famine. Il prépara, ainsi, l’installation de son maître al-Mouizz, qui arriva sur les bords du Nil en 973.
Comme au Maghreb, les Fatimides vont affronter en Orient des adversaires redoutables. Outre les chrétiens – Francs et Byzantins –, ils doivent faire face aux sunnites, représentés par les Abbassides, les Hamdanides et les Seldjoukides, et même aux chiites bouwayhides, qui contestent leurs origines alides. Ces forces constituent autant d’obstacles à la domination de tout le monde musulman. Aussi, les Fatimides ne peuvent-ils pas, malgré plusieurs tentatives, réaliser cet idéal. Leur autorité ne dépasse guère le cadre de la province d’Égypte. C’est à peine s’ils établissent une suzeraineté disputée sur les villes saintes, La Mecque et Médine, jusqu’au calife Al-Moustansir (1036-1094), sur le Yémen de 987 à 1039, sur l’émirat d’Alep, en Syrie, en 1015 (pour cinquante ans à peine) et sur une partie de la Palestine jusqu’en 1153. Ils perdent même leur autorité sur le Maghreb, dirigé depuis leur départ, en 972, par les Zénatas, qui sont des Berbères comme les Sanhadja. En 1051, l’un de ces derniers, Mouizz ben Badis (1016-1062), rejette la suzeraineté fatimide pour lui substituer celle des Abbassides. La Sicile se détache, également, des Fatimides, pour entrer, jusqu’à son occupation par les Normands, dans l’orbite de l’Ifriqiya.
Mais, si les Fatimides ne réalisent pas leur rêve de dominer tout le monde musulman, ils parviennent tout de même à constituer en Égypte un État et une administration judicieusement organisés ainsi qu’à relever la situation économique de tout le pays.
L’administration fatimide
Le pouvoir appartient en principe au calife, l’imam, de la secte ismaélienne, considéré, en tant que descendant du Prophète Mohamed (QSSSL), comme infaillible. L’imam, choisi par son prédécesseur, n’est pas forcément le fils aîné. Aucune condition d’âge n’étant requise, le trône peut revenir à un enfant : le pouvoir est alors exercé par un régent, la réalité de ce pouvoir appartenant aux généraux et aux vizirs, qui continuent à le détenir après la majorité du calife.
Fondé par le deuxième calife égyptien, Al-Aziz (975-996), le vizirat constituera une institution fort importante. D’abord simple agent d’exécution de la volonté du calife, le vizir ne tarde pas à obtenir les pleins pouvoirs pour devenir le véritable maître du pays. Cette puissance du vizir date de l’époque d’al-Moustansir. Pour rétablir l’ordre, ce calife fait appel au commandant des troupes de Syrie, qui prend le titre de «vizir de plume et de sabre». Dès lors, les vizirs, appelés vizirs de sabre, exercent la réalité du pouvoir au détriment du calife.
L’administration, organisée sous les deux premiers califes par Yaqoub ibn Killis, un juif converti à l’Islam, est fort complexe. Fortement hiérarchisée et centralisée, elle dépend étroitement d’abord du calife, puis, à partir d’Al-Moustansir, du vizir. Ses divers départements, appelés diwans, sont groupés, depuis l’éclipse du calife, au palais du vizir. Les finances sont spécialement bien organisées et permettent à l’État de se procurer des ressources substantielles.
L’aspect économique et social
L’agriculture, que favorisent les crues du Nil, fournit le pays en produits variés (blé, orge, légumes) et permet, grâce aux cultures industrielles (lin, coton, canne à sucre), le développement de l’industrie. Celle-ci est fondée sur le travail du lin, de la soie, du bois, du cristal, du verre, du fer, du cuivre et de l’ivoire. Elle assure la construction de navires, la production de tissus, de papiers, du sucre et divers autres produits de luxe. Le secteur le plus important reste celui du textile, que favorise le faste de la cour fatimide.
Sous les Fatimides, l’Égypte entretient des relations commerciales avec de nombreux pays, notamment l’Inde, l’Abyssinie et les villes d’Italie (Amalfi, Pise, Gênes, Venise). L’Inde lui fournit des épices, qu’elle exporte avec ses tissus en Europe. Celle-ci lui vend en échange du blé, du fer, du bois, de la laine et de la soie. Cette situation d’intermédiaire entre l’Europe et le Moyen-Orient assurera la prospérité de l’Égypte jusqu’à la découverte de la route des Indes à la fin du XVe s.
Toutefois, cette prospérité ne profite qu’à une minorité de privilégiés. Le faste des fonctionnaires richement dotés contraste avec la misère de la grande majorité de la population. Écrasé par l’impôt, le peuple égyptien reste à la merci des famines, dont l’Égypte souffre périodiquement dès que l’inondation du Nil est insuffisante et qui s’accompagnent, comme en 1054-1055 et de 1065 à 1072, de troubles et d’épidémies.
La fin d’un rêve
Dans ces conditions, l’État fatimide était loin de jouir pas de l’appui de la population, dont la grande majorité reste fidèle au sunnisme. Ainsi, privé d’assises sociales, affaibli par les révoltes populaires et les troubles militaires qu’accusent les rivalités sociales au sein d’une armée composée de Berbères, de Turcs et de Noirs, l’Empire fatimide décline-t-il pour succomber dans la seconde moitié du XIIe siècle sous les coups des croisés chrétiens. Le maître de Damas, Nour Al-din, envoie à son secours une armée dirigée par Chirkuh et Saladin (Salah Al-Din). Chirkuh obtint en 1169 l’évacuation du pays par les Francs et devient le vizir des Fatimides. A sa mort, la même année, son neveu Salah Ad-Din (Saladin) lui succède à la tête de l’empire. En 1171, il décide de mettre fin au califat fatimide, devenu une pure fiction, pour restaurer dans la vallée du Nil le sunnisme et la suzeraineté abbasside.
Au-delà de ces évènements politico-militaires, les Fatimides laissent une réputation de constructeurs (fondation de deux capitales : Mahdia en Ifriqiya et Le Caire en Égypte) et de tolérance en matière religieuse (plusieurs juifs et chrétiens purent accéder au poste de vizir). Mais le rêve séculaire de constituer un empire alide unique dans les territoires de l’Islam s’était évanoui, les Fatimides ayant connu les vicititudes de l’histoire et de l’usure du pouvoir à l’instar de tous les empires dans l’histoire humaine.
(Suite et fin)
R. H.
03-05-2010
3 mai 2010
Histoire