Le prix du journal télévisé le plus barbant, pour reprendre l’expression du cru, devrait être attribué au JT du 1er mai de l’ENTV. Il s’agissait, me semble-t-il, de démontrer encore par l’image, et par sa durée, l’incontestable forme olympique, et pourquoi pas olympienne, de notre grand timonier. Le jeu consistait, en effet, à démentir, et prévenir aussi, les rumeurs sur l’état de santé de Bouteflika, donné chaque jour pour mort, et qui nous fait le coup du phœnix, toujours gagnant.
On a vu donc le président signer des ballons, distribuer médailles et bisous à une troupe nombreuse, aussi bien militaire que civile, puisque la grande muette se laisse prendre aussi aux clameurs du stade. Ce qui nous donne un nombre impressionnant de joues à embrasser, de mains à serrer, et de mots à prononcer. Tout cela, sous le cadrage d’une caméra, rivée à son objectif, et insouciante du fait que l’acteur principal semblait s’ennuyer à mort, au centre de ce ballet ininterrompu. En comptant chichement, et sur la base des deux rencontres de coupe d’Algérie, Bouteflika a vu défiler devant lui au moins cent cinquante personnes, sans compter les officiels d’avant et d’après matchs. Il n’y a rien de plus pénible pour un président que de s’ennuyer lors de l’exercice d’une de ses prérogatives officielles. Pis encore, lorsqu’il s’agit de montrer qu’on a bon pied, et surtout bon œil et que les leviers sont entre des mains solides. Que dire alors de nous, pauvres téléspectateurs, émergeant à peine de la morosité du vendredi et qui restons subjugués par cet exercice d’une rare fascination en oubliant que nous aussi, nous détenons le pouvoir de zapper. Mais il faut croire que l’ennui est le seul bien qui soit équitablement partagé dans ce pays qui agonise et qui n’a pas l’assurance de ressusciter par la vertu des caméras de télévision. L’ennui, après le football, s’impose ici comme élément intangible et expression authentique de la solidarité nationale. Après les jeux du stade, il fallait bien enchaîner sur cette Fête du travail et des travailleurs. Ces derniers n’ont pas été oubliés puisque le journal télévisé leur a accordé suffisamment de temps avec la lecture du message présidentiel à leur adresse. Je suppose que ce message saluant les conquêtes de la classe ouvrière et de nos dirigeants politiques bien sûr a dû ennuyer aussi bien celui qui l’a lu à la télévision que celui qui l’a rédigé. Soyons solidaires, dans l’ennui, avec l’un et l’autre ! Pour échapper à la grisaille de notre télévision nationale, il nous reste heureusement une panoplie de journaux qui offrent autant de sujets à débats et à polémiques. Encore une fois, la sortie d’un livre sur la fin controversée du colonel Amirouche met à nu nos rancœurs et notre intolérance. Saïd Sadi est dans son droit lorsqu’il avance la thèse du complot pour expliquer la fin du prestigieux combattant de l’ALN. Les acteurs et les témoins vivants de cette période sont aussi fondés à démentir les accusations du dirigeant du RCD. Au lieu de cela, on répond par des brûlots à un livre reçu comme un brûlot, ce qu’il est effectivement. En attendant que des témoins publient, dans la sérénité, leurs contributions au débat, on glorifie l’un pour disqualifier l’autre. Les thuriféraires de Boumédiène ressortent leurs arquebuses, comme chaque fois que le nom de l’ancien président est prononcé à charge. Celui qui avait incontestablement la stature d’un homme d’État est paré de toutes les vertus. Il était tellement grand qu’il n’aurait pu s’abaisser à commettre une mauvaise action, disent ses partisans. Il en est même, parmi eux, qui continuent à l’encenser, alors qu’ils protestent à longueur d’année contre le système qu’il nous a laissé en héritage. Notre confrère Ennahar- Aldjadid a si bien fait dans ce sens qu’il nous a proposé, mercredi 28 avril, un fac-similé du livret d’épargne de Boumediène. Le quotidien claironne en une que l’ancien président a vécu sans rien gagner et qu’il est mort sans rien laisser, selon l’expression consacrée. D’après le livret en question, Boumediène n’aurait laissé à ses héritiers que la somme de six cent quatre-vingt-dix dinars, ce qui est sans doute vrai. Cette plaidoirie spécieuse laisse de côté tous les milliardaires et rentiers repus, que le défunt nous a légués à sa disparition. Et si le fils de Chadli Bendjedid, montré du doigt justement par le même journal, est impliqué dans une affaire financière scabreuse, il doit quelque part sa position à Boumediène. Ce dernier est très certainement mort sans rien laisser derrière lui personnellement, mais un livret d’épargne, ça trompe ! Il faudrait peut-être compulser les «livrets d’épargne» de ses compagnons pour notre édification. Encore une fois, ceux qui tentent de blanchir exagérément Boumediène en rappelant l’assassinat de Abane, voire celui de Jugurtha, contribuent à recouvrir d’un voile épais le crime de notoriété publique : comment peut-on garder durant des années au secret les dépouilles de deux martyrs de la Révolution pour des motifs de basse politique ? Peut-on admettre encore aujourd’hui que des hommes puissent commettre des crimes d’État, c’est le cas en l’occurrence, au nom de la raison d’État ? Faudrait-il incriminer uniquement un chef d’État décédé, en exonérant ceux qui ont été, de près ou de loin, les complices ou les témoins muets de ce forfait politique ? Ce qui est incompréhensible, dans le cas d’espèce, c’est que des hommes sensés puissent absoudre un crime d’État, simplement parce que son auteur s’appelle Boumediène. Un jour, peut-être plus proche qu’on ne le pense, des historiens diront si la thèse du complot visant à tuer Amirouche était vraie ou fausse. Mais ils noteront aussi que ce livre aura permis de relancer le débat sur la question de la gestion des crises par nos gouvernants. Qu’il s’agisse de la dissimulation des corps des colonels Amirouche et Haouès, de la répression des maquis du FFS en Kabylie, ou de l’exécution sommaire du colonel Chaâbani. En attendant les historiens, si nous parvenons à en former quelques-uns, il est inutile pour l’heure de s’interroger sur les causes et les responsables de nos déboires actuels. La semaine dernière, j’avais évoqué la nomination d’un entraîneur adjoint, chargé de l’exorcisme, à la tête de l’équipe nationale de football. Le quotidien Ennahar-Aldjadidconfirme nos appréhensions puisqu’il a annoncé, lundi dernier, la construction prochaine d’un grand centre de rokia à Relizane. Cette clinique, précise le quotidien, proposera à la fois des actes médicaux modernes et des actions d’exorcisme. Cette pratique étant réservée à ceux qui ont été victimes de sorcellerie ou «palpés» par des mains démoniaques. Elle interviendra aussi au cas où les thérapies classiques auraient échoué. Ce qui est souvent le cas, aujourd’hui, puisque des médecins assermentés recommandent la rokia à leurs patients avant même d’avoir fait l’effort de les guérir. La clinique sera dirigée par l’exorciste en chef, «Cheikh-Errokate», Elhadj Belahmar qui compte déjà quelques personnalités politiques célèbres parmi ses clients. Je vous ai gardé le meilleur, ou le pire suivant les cas, pour la fin : cet établissement sera construit, en partie, avec des fonds publics. Le wali de Relizane s’étant déclaré enchanté par ce projet, d’après notre confrère. Du temps de Boumediène, de telles initiatives auraient coûté son poste à son auteur, mais ses héritiers n’en ont cure. Comme quoi, le défunt président n’avait pas que des défauts.
Par Ahmed Halli
halliahmed@hotmail.com
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http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/05/03/article.php?sid=99609&cid=8
3 mai 2010
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