Il y a quelques années, une jeune femme a été assassinée avec préméditation dans le domicile de son fiancé. En dépit du fait que les indices du crime «sautaient aux yeux», l’enquête avait conclu au suicide de la femme,
âgée de 24 ans, et qui se préparait à réaliser le rêve de toute jeune fille: se marier. Abattu, car il s’agissait de sa fille unique, et ne sachant pas quoi faire, le père de la martyre se confia à moi. Son récit contenait des arguments qui réfutaient avec éclat la thèse du suicide. En journaliste, je décidai de lever le voile sur cette sombre affaire pour tenter de comprendre pourquoi un crime a été présenté comme un suicide. Je n’avais pas eu besoin de trop fureter, dans mes investigations, pour établir la preuve qu’il s’agissait bien d’un crime prémédité. Le criminel fut arrêté et jugé ainsi que son frère et ses parents. Perpétuité pour le premier, et prison ferme pour les autres pour complicité et non assistance à personne en danger. Le seul problème est que la Justice s’était acharnée sur moi et j’ai échappé de justesse à 6 mois de prison ferme en écopant d’un mois avec sursis et d’une amende, alors qu’en journaliste avisé et expérimenté j’avais scrupuleusement respecté tous les articles (le 28ème notamment), qui sont des garde-fous qui balisaient mon travail et les autres (les 35 et 36) qui me montraient la ligne rouge à ne pas franchir. Cette histoire pose, en fait, toute la difficulté qu’a le journaliste à exercer normalement son travail. Un travail qui a permis d’arrêter un criminel et de réhabiliter la mémoire d’une jeune et de laver l’honneur de sa famille, des valeurs très importantes dans notre société, dans le cas évoqué. Si je me réfère à l’article 28 de la loi 90-07 relatif à l’information, je suis protégé, sans avoir à subir de représailles, quand je me «consacre à la recherche, la collecte, la sélection, l’exploitation et la présentation d’information ». Ma condamnation à la prison avec sursis prouvait que ce code ne me protégeait pas. Pis, l’article 78 ne prévoit que dix (10) jours à deux (2) mois d’emprisonnement et une amende de 1.000 à 5.000 DA ou de l’une des deux peines seulement à l’encontre de quiconque offense par gestes, propos ou menaces, un journaliste professionnel pendant l’exercice de sa profession. Des peines bien légères en comparaison de celles qui sont prévues contre ce même journaliste, s’il est accusé de diffamation, c’est-à-dire et exprimé dans un langage plus accessible, les offenses, propos ou menaces. Pour que je puisse être fier et continuer à faire de mon pays un pionnier de la liberté d’expression et permettre à mes ministres de s’en enorgueillir quand ils ont en face d’eux ces potentats qui jettent en prison un confrère parce qu’il a évoqué l’Etat de santé de son président, je souhaiterai, en ce 3 mai, qu’aucun journaliste n’ait à écrire en surveillant les «écarts» de sa plume pour éviter de se retrouver derrière des barreaux.
MILOUD HORR JOURNALISTE DE LA VOIX
3 mai 2010
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