Gilbert Gatoré. Ecrivain : Les auteurs africains n’ont plus à justifier leur intelligence
Le jeune auteur Rwandais Gilbert Gatore retranscrit les ombres d’un passé récent qui a meurtri le Rwanda et bouleversé le continent. Les éditions Chihab viennent de rééditer son roman bouleversant intitulé Le passé devant soi.
Votre roman Le passé devant soi est violent, à mi- chemin entre la fiction et le réel. Comment réussir l’équilibre ?
Les images de violence décrite dans mon roman confrontent plusieurs idées. Par exemple, comment est-il possible qu’un voisin ou un ami puisse se transformer du jour au lendemain en bourreau ? Le roman met en relief la double capacité de l’homme à être dans la plus grande générosité et à se transformer en une machine à tuer.
C’est le cas de votre second personnage, Niko ?
Tout à fait. C’est le cas de Niko. Au début de la lecture, il paraît sympathique, puis petit à petit, l’histoire dévoile sa véritable nature. Le lecteur à ce moment précis se demande s’il doit continuer à lire ou pas. A mesure qu’on plonge dans le récit, on se rend compte que c’est la question que se posent les Rwandais aujourd’hui. Que faire maintenant après tout ce qui s’est passé ? Je voulais décrire ce sentiment puisque moi-même je n’ai pas encore de réponse. Je ne sais pas si je dois condamner ou passer à autre chose. Je ne pense pas qu’un jour cette funeste histoire sera digérée. C’est une affaire trop grave pour que cela soit possible. Cela n’empêche pas que le pays puisse se développer, allant vers des opportunités et des projets économiques, sociaux et culturels.
Comment avez-vous réussi à reconstituer les faits, alors que vous aviez perdu vos carnets lors du génocide ?
Il n’y a rien de pire que de perdre des textes, encore plus dans de telles circonstances. Au début, j’ai voulu reconstituer le contenu de mes carnets. Cela a duré deux ou trois ans. A force d’écrire et d’écrire, j’ai attrapé le virus de l’écriture. Je me suis rendu compte tout simplement que j’aimais écrire. Imaginer des situations ou des actions, et les restituer à travers des personnages m’a semblé très intéressant. Parfois, il ne faut pas s’acharner sur des choses perdues d’avance, il faut continuer son chemin.
Et c’est le roman de fiction qui était le plus approprié à la mise en scène de vos notes…
Ce genre était indispensable, puisqu’il permet de dire les choses et de décrire des situations difficiles, les atrocités commises. Le travail était centré sur la retranscription des images que j’avais en tête, de ce que j’avais écris sur mes carnets à l’époque du génocide, même si j’ai dû m’en séparer à un moment où il fallait fuir et commencer une nouvelle vie loin du Rwanda.
Vous avez volontairement mélangé les thèmes tragiques du désespoir, de la vengeance, de la solitude…
Les histoires qui me touchent sont les tragédies, car la tragédie, où il y a une forte structure et une conception des personnages entre le réel et la fiction, où le destin opère sans pitié, est incontestablement adaptable à l’écriture.
Comment la critique internationale a-t-elle reçu votre roman ?
Mon roman a eu un écho des plus favorables en France. Mais quand on est Africain et écrivain, ce n’est pas si facile, car les attentes sont plus concentrées sur les traditions orales africaines. Il y a cette vision folklorique ou exotique qui est ancrée.
Le boom de la nouvelle génération d’écrivains africains évoluant à l’étranger est-il positif ?
Oui. Alain Mabanckou est un écrivain talentueux. Les médias français aiment ce son un peu différent, donc attrayant. Grâce à Abdourahmane Waberi, Ahmadou Kourouma, Leonora Miano ou beaucoup d’autres, lire la littérature africaine d’expression française ne semble plus un scandale. Nous ne sommes plus dans un contexte de justification d’intelligence et de revendication, mais dans une réelle reconnaissance de production, au même titre que les autres littératures.
Que prévoyez-vous prochainement ?
Je poursuis l’aventure littéraire avec l’écriture des prochains tomes, puisque Le passé devant soi fait partie d’une série intitulée Figures de la vie impossible. La publication sera pour l’année prochaine.
Bio express : | Gilbert Gatore est peut-être né en 1981 (son acte de naissance a disparu) au Rwanda et vit aujourd’hui à Paris. Encore enfant, son père, qui lui lisait du Molière, lui offrit le Journal d’Anne Frank. Bouleversé, Gilbert s’identifia à Anne, et tint son petit journal de la guerre civile au Rwanda. A l’âge de 8 ans, alors qu’il fuit la guerre avec sa famille, il se voit confisquer ses journaux intimes par les douaniers. Il tente alors de les reconstituer, vainement, puis décide d’évoquer la guerre au Rwanda par le biais du roman. |
Par
30 avril 2010
LITTERATURE