Le secteur ou ce que nous appelons le grand quartier de Sid el Houari est un lieu unique doté d’une architecture variée
et un urbanisme remarquable.
Il offre la possibilité d’une ville qui est censée ne pas négliger son site et prendre fortement en compte l’aspect paysager dans la formalisation d’un quelconque projet. Epouser la philosophie du lieu est resté une spécialité des anciennes villes, que l’urbanisme moderne, algérien pour ce qui nous concerne, certes n’a malheureusement jamais su reproduire dans l’esprit que le savoir-faire de l’ancien incarnait. En ce sens, nous fûmes consternés de tout temps, avouons-le, de voir nos étudiants de cinquième année, proposer des ensembles d’habitations calqués sur le modèle des ZHUN dans un lieu aussi pittoresque comme la Calera; un quartier dont la démolition a commencé dès 1973 et fut commandée de manière définitive et sans état d’âme par un architecte d’Oran dans les années 1980, et dont le crime est resté impuni(1). Il est désolant, de constater que même dans nos départements d’architecture, un grand quartier aussi distingué comme Sid el Houari ne serve pas de leçon, de source d’inspiration et que l’on s’enferme délibérément dans la médiocrité. Sid el Houari évoque une mémoire, où chaque pierre le composant est quasiment une valeur en soi, et où chaque immeuble, place, jardin ou statue méritent de notre part une attention particulière. Il exige l’excellence dans le faire, de tenir compte de chaque relief, de ne pas négliger les vues, et d’élaborer un projet de quartier dans une vision globale de la ville. Ceci pour dire aussi, qu’actuellement, les autorités locales et encore moins les organismes du bâtiment installés dans ce quartier ne créent pas l’exception.
Oran selon le modèle d’Alger
LESPES cite CAYLA (ingénieur) qui pensait qu’Oran sur son ancien site pouvait ressembler à Alger si l’on avait réalisé certains projets, comme celui d’un front de mer sur arcades dominé d’un ensemble urbain richement décoré et rigoureusement aligné avec des percés visuelles vers l’intérieur finement étudiées. Les percements avaient pour objectif de supprimer les culs-de-sac, considérés dès les premiers plans d’Oran comme source importante d’insalubrement.
Ce projet d’Oran comme Alger fut abandonné. La mairie d’Oran de l’époque ne possédait pas les moyens nécessaires à sa réalisation. LESPES, dans ce sens rapporte les grands axes du projet de CAYLA pour Oran. Il note qu»: «en créant un boulevard qui se développerait principalement sur le front de mer, «serait appelé à un grand avenir et ne saurait être mieux comparé qu’au boulevard de la République à Alger ou à la promenade des Anglais à Nice.» L’auteur (c’est-à-dire CAYLA) était obligé de reconnaitre que, pour la première section de cette nouvelle voie, il avait dû écarter, comme trop coûteuse, la plus belle solution: reproduire au dessous de la Promenade de LETANG le grand balcon d’Alger avec des voûtes et des terrasses, et le raccorder, à l’Est du ravin d’Ain Rouina, à la rue Paixhans et la rue de la vieille mosquée.»(2).
Nous évoquons cette question juste pour dire que dès les premières tentatives de sa modernisation, l’on a porté un grand intérêt à cette ancienne partie d’Oran, et qu’il n’est pas étonnant de la voir encore faire l’objet de projets visant à redorer son image. Oran a toujours manifesté la convoitise des riches et la jalousie des habitants qui aspiraient à le conserver. Ceci nous amène à dire que le travail sur l’histoire de cette partie de notre ville est plus qu’indispensable; l’épaisseur historique que l’ancienne ville incarne, nécessite de notre part un effort considérable, pour (re) constituer tous ces processus qui ont, à titre d’exemple, amené les populations à résider dans ce grand quartier pendant et après la colonisation et à mesurer à partir de là leur degré d’attachement à ce quartier en question.
L’épaisseur historique est dans cet aspect des choses, et sa compréhension peut aller jusqu’à nous aider à expliquer les raisons de la négligence des autorités locales et nationales, et des habitants, pour ne pas s’enfermer dans les arguments techniques axés autour des discours assommants sur la gestion du foncier et de l’immobilier et l’usage des formules fourre-tout dans le domaine de la patrimonialisation des héritages historiques.
Une ville est loin d’être seulement une décision politique
Parcourir l’ouvrage de LESPES est un bonheur, il nous apprend qu’une ville dans le vrai sens du mot, est loin d’être uniquement l’affaire d’une décision politico administrative. La ville est un projet dans lequel chaque décision, chaque geste, chaque contribution, a ses conséquences. Ainsi donc, LESPES rapportait en note de bas-de-page que: «La création de cette route (la route du port), cependant nécessaire et indispensable au trafic du port avec l’intérieur (la ville basse), avait soulevé déjà des récriminations, alors qu’elle n’était qu’en projet.»(3). Nous pouvons comprendre par-là que les gens ont réagi contre ce projet parce qu’ils savaient qu’il provoquerait l’abandon de leurs quartiers au profit d’autres sur la haute plaine d’Oran.
En tout cas, c’est ce que LESPES s’évertuait à expliquer dans de nombreux passages sur des questions similaires. Actuellement nos autorités ouvrent des routes et des boulevards partout, ce qui est sûr, sans planification sérieuse, sur des sites vierges, et provoquent ainsi non seulement l’abandon incessant des anciens quartiers, dits historiques, mais aussi des quartiers créés récemment. Elles suscitent par ce manque d’intérêt pour la question de la protection de l’environnement l’excès de l’urbanisation anarchique et son étalement continu au nom d’un progrès fondamentalement destructeur. La mémoire urbaine du coup se dilue, se désintègre continument, sans garantie de mûrissement certain, car dès que la ville s’installe quelque part, elle s’apprête déjà à se déplacer ailleurs. Dans l’urbanisme algérien, la ville est devenue le projet du non projet. C’est-à-dire qu’il n’y a jamais derrière un véritable projet de ville idéalement en devenir. Elle est toujours l’ombre d’une étape déjà écoulée, d’une terre subitement consommée, d’une action irréfléchie. Pour une philosophie de la ville. La ville avant d’être un projet, une interprétation circonstancielle que l’on s’empresse de figer dans un morceau de papier avec une échelle qui n’est jamais en commun accord avec la réalité, elle est d’abord, selon KAHN (Louis I.), une idée d’espaces merveilleusement ordonnés, où il fait bon vivre et où tout le monde se sent heureux. «A propos des premières colonies grecques en Espagne, je lisais que quelques hommes, des marins, des aventuriers, attirés par la beauté, la merveille de toutes choses alentours, voulurent aller plus loin, faire d’autres découvertes. Leur bateau était une école, une école formidable. Ils arrivèrent en un lieu magnifique, merveilleux et décidèrent de s’y installer.
L’un possédait un talent, un autre en possédait un autre; ils acceptèrent de les échanger.»(4). En effet, pour KAHN, la ville (il prend pour exemple l’hôtel de ville) «est l’endroit où l’on désire échanger ses talents pour les développer. Nos hôtels de ville sont à l’enseigne de la détresse: on y paie ses impôts, on y sent partout la coupure entre la population et ceux qui gouvernent.»(5). Un urbanisme de ce type, c’est-à-dire celui de la coupure peut facilement s’illustrer par la période de l’urbanisme moderne (ou celui de la production en masse du logement) des années 1980-à nos jours, durant laquelle l’on a voulu procéder à la (ré) organisation des périphéries par le moyen de l’autorité sans tenir compte des désirs des habitants, des modèles sociaux et culturels, au nom de l’urgence et de la priorité des besoins réduits(6). Enfin, ce qui nous semble être certain, pour revenir à LESPES, l’urbanisme de la période coloniale, au-delà des considérations idéologiques et ressassées de nos dirigeants est nettement meilleur que celui de l’indépendance.
Il se matérialisait sur fond de débats. Il suffit juste de compter le nombre d’extraits de procès verbaux municipaux auxquels LESPES fait référence pour faire la différence avec l’urbanisme de nos autorités qui est celui de l’opacité, de la prétention dans la médiocrité et de la rétention de l’information.
*Architecte, maître de conférences B au département d’architecture d’Oran.
Notes
1- LESPES (René), Oran, Etude de géographie et d’histoire urbaines, Editions Bel Horizon, 2003 (déjà publié chez Alcan, Paris, 1938), p. 190.
2- LESPES (René), Oran, Etude de géographie et d’histoire urbaines, Editions Bel Horizon, 2003 (déjà publié chez Alcan, Paris, 1938), p. 192.
3- KAHN (Louis I.), Silence et lumière, choix de conférences et d’entretiens 1955-1974, traduction de l’américain par Mathilde Bellaigue et Christian Devillers, 2e édition revue et corrigée, Editions du Linteau, 52 rue de Douai, 75009 Paris, p. 201.
4- KAHN (Louis I.), Silence et lumière, choix de conférences et d’entretiens 1955-1974, traduction de l’américain par Mathilde Bellaigue et Christian Devillers, 2e édition revue et corrigée, Editions du Linteau, 52 rue de Douai, 75009 Paris, p. 202. Aussi, KAHN pense que «Dans une ville, il faut un forum, un lieu entre la place du marché et l’université. Il ne doit être mêlé à rien de politique, ni à rien de ce qui concerne les lois actuelles de la propriété qui interfèrent souvent avec un bon urbanisme. Le forum est une nouvelle institution qui se trouve entre le marché où se situe la profession d’architecte, et l’université où l’on éprouve l’esprit de l’architecture.», p. 203.
5- A propos de cette question, nous renvoyons nos lecteurs au texte de RAYMOND (Henri), Habitat modèles culturels et architecture in : Architecture d’Aujourd’hui n° 174, juillet-août 1974.
Dans ce texte en question RAYMOND affirme que ce sont les mêmes membres de la classe dirigeante «qui disposent de leurs espaces d’une manière conforme à leur culture et à leurs modèles, qui tentent de réduire les autres à la simplicité du besoin.».
28 avril 2010
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