Au début du XVIe siècle, les deux grands remèdes ordonnés par les médecins sont la saignée et le clystère.
Rôle des apothicaires au Moyen-Age
Les apothicaires étaient chargés d’aller chez le malade donner le coup de lancette ou de clypsopompe. Cette dernière opération, dont Molière s’est tant amusé, prendra une importance considérable dans la vie des gens aux XVIIe et XVIIIe siècles. Comme elle est fort délicate, surtout avec les dames, des brochures expliquent aux apothicaires novices comment ils doivent s’y prendre : «Le malade doit quitter tout voile importun ; il s’inclinera sur le côté droit, fléchira la jambe en avant et présentera tout ce qu’on lui demande, sans honte ni fausse pudeur. De son côté, l’opérateur, habile tacticien, n’attaquera pas la place comme s’il voulait la prendre d’assaut, amis comme un tirailleur adroit qui s’avance sans bruit, écarte ou abaisse les broussailles ou les herbes importunes, s’arrête, cherche des yeux, et qui, lorsqu’il a aperçu l’ennemi, ajuste et tire : ainsi l’opérateur usera d’adresse, de circonspection, et n’exécutera aucun mouvement avant d’avoir trouvé le point de mire. C’est alors que, posant révérencieusement un genou en terre, il amènera l’instrument de la main gauche, sans précipitation ni brusquerie, et que, de la main droite, il abaissera amoroso la pompe foulante, et poussera avec discrétion et sans saccades, pianissimo.» Tout cela n’est-il point dit de façon exquise ?
Naturellement, l’apothicaire prépare des remèdes à usage externe qui sont des poisons violents. Il possède déjà l’armoire aux toxiques des pharmaciens modernes. Or, les empoisonnements, surtout aux XVIe et XVIIe siècles, sont chose si courante qu’une ordonnance royale stipule aux apothicaires «qu’au moment où ils vendent du poison à un client, ils doivent lui montrer en même temps une grosse corde avec un n?ud coulant, laquelle doit se trouver toujours à portée de la main dans un tiroir». Ainsi, les clients animés de mauvaises intentions sont prévenus du risque qu’ils courent… Ce qu’on trouvait dans les boutiques des apothicaires
Longtemps, les officines des apothicaires furent des antres enfumés qui ressemblaient à des cabinets d’alchimistes. On y trouvait des fourneaux, des cornues, des chauves-souris piquées aux murs, des crocodiles empaillés accrochés au plafond, et, traînant sur le sol d’énormes in-quarto dans lesquels le maître apothicaire coiffé d’un étrange bonnet carré allait de temps à autre puiser une recette. Car, tout comme le pharmacien du XXe siècle est tenu de posséder (depuis 1818) un Codex, l’apothicaire de la Renaissance devait avoir une pharmacopée, où toutes les préparations étaient indiquées.
Les limites de leurs initiatives s’y trouvaient également notifiées. Le règlement lui interdisait d’user, par exemple, du quiproquo, sans l’avis du médecin. Ce quiproquo n’était pas une plaisanterie mais le remplacement dans une préparation, d’un médicament par un autre. A cette époque, les apothicaires devaient être constamment approvisionnés en produits étranges et parfois répugnants. La graisse humaine, notamment, entrait dans une foule de préparations. Et l’on rapporte que, lors des massacres de la Saint-Barthélemy, on jeta à la rivière des corps des protestants tués «à la réserve des gras qu’on abandonna aux apothicaires qui les demandaient pour en avoir la graisse»…
Evolution de la pharmacie à partir du XVIe siècle
Dès le milieu du XVIe siècle, les officines deviennent de véritables salons. On commence à y trouver, alignés sur des rayonnages, ces pots à onguents et ces piluliers si joliment décorés qui font maintenant la joie des collectionneurs. Mais, à ce moment, les apothicaires sont fortement concurrencés par les charlatans qui ont installé leurs tréteaux sur le Pont-Neuf pour y vendre une drogue prétendue miraculeuse appelée Orviétan. Ce nouveau remède, qui est vanté de façon pompeuse ou humoristique par des bateleurs, connaît bientôt une vogue extraordinaire. «Avec l’Oviértan, ce mirifique remède, entendait-on, vous guérirez toutes les maladies sans exception et notamment les morsures de serpents et les brûlures les plus horribles. Moi-même, braves gens, qui m’écoutez, j’en ai éprouvé les bienfaisants effets lors de ma descente aux enfers !»… Plus tard, d’autres bateleurs feront devant les micros de la radio une publicité à peine moins risible pour des spécialités pharmaceutiques…
Essor spectaculaire au XVIIIe siècle
Au XVIIIe siècle, on assiste à une métamorphose soudaine et spectaculaire. Les apothicaires, transforment brusquement leur antre en laboratoire, se signalent par d’extraordinaires découvertes : l’oxygène, le chlore, l’acide arsénique, le baryte, le phosphore, la glycérine, l’acide lactique du lait, l’acide phosphorique, l’iode, la présence du sucre dans la betterave, etc. et par des inventions : la porcelaine, la taxidermie, l’aérostation, etc.
Survient la Révolution française. Les apothicaires, qui par instinct professionnel ont horreur des pots cassés, se mêlent peu aux émeutes. Ils ont, d’ailleurs, d’autres préoccupations. L’ennemi à abattre n’est pas pour eux la monarchie, mais la syphilis qui, depuis vingt ans, fait d’effroyables ravages, et tous cherchent le remède souverain. L’un d’eux invente un chocolat qui guérit le coup de pied de Vénus.
Dans un prospectus publicitaire, il vante les qualités de son produit et précise que le mari puni par là où il avait péché peut facilement, par exemple, «prendre son chocolat en présence de son épouse sans que celle-ci soupçonne de mystère ; elle peut même en user sans se douter de boire un antivénérien et, par cet innocent moyen, la paix et la concorde subsistent dans le ménage». Puis, les échafauds se dressent et les aristocrates craignent plus pour leur tête que pour «tel membre placé à l’opposition d’icelle», nous dit un auteur du temps. Les apothicaires semblent bien loin, alors, des soucis qui hantent les révolutionnaires. Pourtant, Robespierre va, sans le savoir, collaborer, pendant la Terreur, à la pharmacie de son temps. On voit, en effet, des potards acheter aux aides du bourreau les graisses et le sang des guillotinés pour préparer des drogues très recherchées… Enfin, le 21 Germinal An XI (1803), l’Assemblée vote, une loi relative à l’enseignement et à la profession de la pharmacie. Ce jour-là, les apothicaires parviennent à devenir les dignes pharmaciens que tout le monde connaît maintenant…
(Suite et fin)
R. H.
28-04-2010
28 avril 2010
Histoire