Pline, historien romain reconnu, raconte qu’un jour, un ibis qui souffrait de constipation eut l’idée ingénieuse de prendre de l’eau de mer avec son long bec et de se l’introduire dans le fondement.
Dans l’Egypte antique Cette singulière opération qu’a rapportée le grand historien latin devait donner l’idée du lavement aux Égyptiens qui, émerveillés, confectionnèrent bientôt le premier clystère au moyen d’un tube de roseau attaché à une vessie de porc. L’art de guérir venait de faire un pas immense grâce à un oiseau astucieux. Les médecins des pharaons n’avaient pas attendu, toutefois, la thérapeutique acrobatique de l’ibis pour atténuer les douleurs de leurs malades. Depuis longtemps déjà, ils avaient constitué, tout comme les Sumériens d’ailleurs, les éléments d’une pharmacie primitive, et utilisaient des onguents, des cataplasmes, des pilules et des tisanes. Mais leurs médicaments étaient des plus étranges. On y trouvait par exemple, «les excréments de l’oiseau Keunut», «le sang du serpent Sanit», et même, détail savoureux, «la bile et les os d’un médecin». Pour les préparations, les pharmaciens mettaient dans leurs mortiers de la chair vive, du fiel de bœuf, du sang d’antilope, le cœur d’un oiseau, du poil de cerf, de la cervelle de tortue, et du vieux papyrus bouilli dans l’huile… Tout cela convenablement dosé, pilé et mélangé faisait, paraît-il, un excellent remède contre les troubles digestifs. Il faut dire qu’à ce moment, les théories les plus extravagantes servaient parfois de base aux travaux des hommes qui cherchaient à guérir leurs semblables. En Chine et dans la Grèce ancienne En Chine, au XXXVIe siècle avant Jésus-Christ, on croyait que tout l’art de la médecine consistait à utiliser des médicaments ressemblant aux organes malades. C’est ainsi que les haricots servaient à soigner les affections rénales, que les vers luisants entraient dans la composition des collyres, qu’on usait de boutons de rose pour les maux de tête et de racines pour les cors aux pieds. Les Grecs, qui possédaient les meilleurs médecins de l’antiquité, avaient, eux aussi, une curieuse pharmacologie : c’est ainsi qu’Esculape, dont le nom est encore vénéré par les savants modernes, guérissait les verrues au moyen d’un baume composé de crottes de chien blanc et d’huile rosat. Contre les hémorroïdes, il ordonnait un petit remède très simple pour l’époque, dans lequel se trouvaient de la sueur de vache, de la cendre de tête de chien, du miel rosat, et de la peau de serpent macérée dans du vinaigre. Hippocrate, que l’on considère, aujourd’hui, comme le fondateur de la médecine scientifique, utilisait, lui aussi, des produits animaux. Il préparait de délicieuses potions à base d’urine de taureau, de graisse d’oie, de cornes de cerf et de crottin de mulet dont les malades, parait-il, se régalaient. Les débuts de la pharmacie chez les Romains A Rome, les pharmacopoles composaient des drogues non moins appétissantes avec du fiel de hérisson, de la graisse de tortue «recueillie le 15 de la lune», et des yeux de grenouilles. Parmi les médecins grecs installés à Rome, Xénocrate d’Aphrodisie devint riche et célèbre en faisant préparer par ses aides des remèdes fort originaux qui plaisaient aux « snobs » de l’époque. Pour les maux d’estomac, par exemple, il ordonnait une potion qui contenait du sang menstruel, de la cervelle d’homme et des ongles râpés. D’autres ordonnaient des remèdes dans la composition desquels on trouvait des choses étranges. Bref, on tâtonnait encore… Les remèdes chez les peuples gaulois En Gaule, où existait une civilisation que les Romains devaient étouffer, les Druides soignaient alors par des moyens beaucoup moins barbares. Ces prêtres, initiés à une source qui nous est inconnue, avaient une connaissance profonde des vertus médicamenteuses des plantes. Ils utilisaient, entre autres, le sélage, la jusquiame, le samolus, la verveine, la primevère, le trèfle, la sauge et naturellement le gui dont certains médecins, suivant en cela les disciples de Rudolph Steiner, reconnaissent aujourd’hui, après trois mille ans d’ironie, les extraordinaires propriétés thérapeutiques. Les Druides savaient également préparer les collyres à base de peroxyde de fer, d’oxyde noir de cuivre et de carbonate de chaux, ainsi que le prouvent les débris de cachets découverts au cours des fouilles effectuées en différents endroits. Après leur disparition, l’utilisation des plantes médicinales se poursuivit de façon empirique pendant «les mille ans qui furent nécessaires à la Gaule pour se remettre de l’occupation romaine». C’est si vrai qu’à l’époque de Charlemagne, la pharmacie était redevenue un ensemble de pratiques plus proches de la superstition que de la science. Elle se teintait même d’un certain mysticisme. C’est ainsi que les médecins ordonnaient des médicaments contenant de la poussière recueillie dans le tombeau d’un saint ou un mélange d’eau et de vin ayant servi à laver l’autel… L’essor de la pharmacie chez les musulmans Pendant ce temps, les Arabes, qui sont les véritables créateurs de la pharmacie, utilisaient le mercurochrome, le nitrate d’argent, l’acide acétique, les arsenicaux, etc. Leur science et leurs prescriptions seront acceptées jusqu’à la Renaissance, et ils nous laisseront tout un vocabulaire pharmaceutique encore utilisé aujourd’hui : camphre (kafour), sirop (shirah), alcool (alkoal), etc. Au XIIIe siècle, les vendeurs de remèdes sont nombreux en France. Chaque ville en possède au moins un. Comme ils vendent également des épices, on les appelle des «apotécaires» (dont on fera plus tard : apothicaires), soit des épiciers… Ils forment bientôt une corporation puissante et possèdent des armes qui sont : «Couppée d’azur et d’or, sur l’azur à la main d’argent tenant des ballances d’or, et sur l’or deux nefs de gueules flottantes aux bannières de France accompagnées de deux estoiles à cinq poincts de gueulles» avec cette devise : «Lances et pondera servant. (Ils observent les poids et les balances)». Pendant trois siècles, les deux corporations s’entendent à merveille, puis les «apothicaires en médecine» décident de ne plus rien avoir de commun avec les épiciers. Furieux, ceux-ci se révoltent, car si on leur interdit de vendre des remèdes, les apothicaires entendent bien conserver, ex, le droit de vendre des épices. La guerre entre les deux professions dure longtemps. Finalement, chacun s’en va de son côté, en conservant toutefois les mêmes armes. C’est pourquoi, Lances et pondera servant, la balance et les deux nefs sont, aujourd’hui, à la fois au fronton du syndicat de l’Épicerie française et sur les bâtiments de la faculté de pharmacie. (A suivre) R. M.
26-04-2010
28 avril 2010 à 18 06 35 04354
Histoire de la pharmacie
Une évolution lente mais sûre (II)
Au début du XVIe siècle, les deux grands remèdes ordonnés par les médecins sont la saignée et le clystère.
Rôle des apothicaires au Moyen-Age
Les apothicaires étaient chargés d’aller chez le malade donner le coup de lancette ou de clypsopompe. Cette dernière opération, dont Molière s’est tant amusé, prendra une importance considérable dans la vie des gens aux XVIIe et XVIIIe siècles. Comme elle est fort délicate, surtout avec les dames, des brochures expliquent aux apothicaires novices comment ils doivent s’y prendre : «Le malade doit quitter tout voile importun ; il s’inclinera sur le côté droit, fléchira la jambe en avant et présentera tout ce qu’on lui demande, sans honte ni fausse pudeur. De son côté, l’opérateur, habile tacticien, n’attaquera pas la place comme s’il voulait la prendre d’assaut, amis comme un tirailleur adroit qui s’avance sans bruit, écarte ou abaisse les broussailles ou les herbes importunes, s’arrête, cherche des yeux, et qui, lorsqu’il a aperçu l’ennemi, ajuste et tire : ainsi l’opérateur usera d’adresse, de circonspection, et n’exécutera aucun mouvement avant d’avoir trouvé le point de mire. C’est alors que, posant révérencieusement un genou en terre, il amènera l’instrument de la main gauche, sans précipitation ni brusquerie, et que, de la main droite, il abaissera amoroso la pompe foulante, et poussera avec discrétion et sans saccades, pianissimo.» Tout cela n’est-il point dit de façon exquise ?
Naturellement, l’apothicaire prépare des remèdes à usage externe qui sont des poisons violents. Il possède déjà l’armoire aux toxiques des pharmaciens modernes. Or, les empoisonnements, surtout aux XVIe et XVIIe siècles, sont chose si courante qu’une ordonnance royale stipule aux apothicaires «qu’au moment où ils vendent du poison à un client, ils doivent lui montrer en même temps une grosse corde avec un n?ud coulant, laquelle doit se trouver toujours à portée de la main dans un tiroir». Ainsi, les clients animés de mauvaises intentions sont prévenus du risque qu’ils courent… Ce qu’on trouvait dans les boutiques des apothicaires
Longtemps, les officines des apothicaires furent des antres enfumés qui ressemblaient à des cabinets d’alchimistes. On y trouvait des fourneaux, des cornues, des chauves-souris piquées aux murs, des crocodiles empaillés accrochés au plafond, et, traînant sur le sol d’énormes in-quarto dans lesquels le maître apothicaire coiffé d’un étrange bonnet carré allait de temps à autre puiser une recette. Car, tout comme le pharmacien du XXe siècle est tenu de posséder (depuis 1818) un Codex, l’apothicaire de la Renaissance devait avoir une pharmacopée, où toutes les préparations étaient indiquées.
Les limites de leurs initiatives s’y trouvaient également notifiées. Le règlement lui interdisait d’user, par exemple, du quiproquo, sans l’avis du médecin. Ce quiproquo n’était pas une plaisanterie mais le remplacement dans une préparation, d’un médicament par un autre. A cette époque, les apothicaires devaient être constamment approvisionnés en produits étranges et parfois répugnants. La graisse humaine, notamment, entrait dans une foule de préparations. Et l’on rapporte que, lors des massacres de la Saint-Barthélemy, on jeta à la rivière des corps des protestants tués «à la réserve des gras qu’on abandonna aux apothicaires qui les demandaient pour en avoir la graisse»…
Evolution de la pharmacie à partir du XVIe siècle
Dès le milieu du XVIe siècle, les officines deviennent de véritables salons. On commence à y trouver, alignés sur des rayonnages, ces pots à onguents et ces piluliers si joliment décorés qui font maintenant la joie des collectionneurs. Mais, à ce moment, les apothicaires sont fortement concurrencés par les charlatans qui ont installé leurs tréteaux sur le Pont-Neuf pour y vendre une drogue prétendue miraculeuse appelée Orviétan. Ce nouveau remède, qui est vanté de façon pompeuse ou humoristique par des bateleurs, connaît bientôt une vogue extraordinaire. «Avec l’Oviértan, ce mirifique remède, entendait-on, vous guérirez toutes les maladies sans exception et notamment les morsures de serpents et les brûlures les plus horribles. Moi-même, braves gens, qui m’écoutez, j’en ai éprouvé les bienfaisants effets lors de ma descente aux enfers !»… Plus tard, d’autres bateleurs feront devant les micros de la radio une publicité à peine moins risible pour des spécialités pharmaceutiques…
Essor spectaculaire au XVIIIe siècle
Au XVIIIe siècle, on assiste à une métamorphose soudaine et spectaculaire. Les apothicaires, transforment brusquement leur antre en laboratoire, se signalent par d’extraordinaires découvertes : l’oxygène, le chlore, l’acide arsénique, le baryte, le phosphore, la glycérine, l’acide lactique du lait, l’acide phosphorique, l’iode, la présence du sucre dans la betterave, etc. et par des inventions : la porcelaine, la taxidermie, l’aérostation, etc.
Survient la Révolution française. Les apothicaires, qui par instinct professionnel ont horreur des pots cassés, se mêlent peu aux émeutes. Ils ont, d’ailleurs, d’autres préoccupations. L’ennemi à abattre n’est pas pour eux la monarchie, mais la syphilis qui, depuis vingt ans, fait d’effroyables ravages, et tous cherchent le remède souverain. L’un d’eux invente un chocolat qui guérit le coup de pied de Vénus.
Dans un prospectus publicitaire, il vante les qualités de son produit et précise que le mari puni par là où il avait péché peut facilement, par exemple, «prendre son chocolat en présence de son épouse sans que celle-ci soupçonne de mystère ; elle peut même en user sans se douter de boire un antivénérien et, par cet innocent moyen, la paix et la concorde subsistent dans le ménage». Puis, les échafauds se dressent et les aristocrates craignent plus pour leur tête que pour «tel membre placé à l’opposition d’icelle», nous dit un auteur du temps. Les apothicaires semblent bien loin, alors, des soucis qui hantent les révolutionnaires. Pourtant, Robespierre va, sans le savoir, collaborer, pendant la Terreur, à la pharmacie de son temps. On voit, en effet, des potards acheter aux aides du bourreau les graisses et le sang des guillotinés pour préparer des drogues très recherchées… Enfin, le 21 Germinal An XI (1803), l’Assemblée vote, une loi relative à l’enseignement et à la profession de la pharmacie. Ce jour-là, les apothicaires parviennent à devenir les dignes pharmaciens que tout le monde connaît maintenant…
(Suite et fin)
R. H.
28-04-2010
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