Qu’ils soient députés du RCD, du PT ou même de ce MSP, allié du pouvoir, tous viennent de faire le même constat amer dans les colonnes du quotidien El Watan(jeudi 22 avril). Et celui-ci ressemble à un chœur de pleureuses se lamentant de «l’immobilisme » (sic!) qu’on leur impose, de la «censure» (re-sic!) qu’on leur inflige et de la désertion du pouvoir exécutif qui plombe la vie politique du pays et les contraints, eux, au «chômage».
Mordante et frondeuse, comme à son habitude, Louisa Hanoune ne se contente pas de l’amertume de la critique de ses collègues. Elle rappelle la solution qu’elle avait proposée en 2009. Et celle-ci se résume dans un mot : «La dissolution. » La potion magique qui, selon elle, permettra la «dynamisation de l’institution (…) et la réhabilitation de l’Etat». Une thérapie tout à fait semblable à la méthode Coue qui se contente de l’autosuggestion. Car enfin, dans un Etat où, sans exception, les institutions sont frappées de paralysie, en quoi les renouvellements anticipés seraient utiles alors que l’on sait qu’elles reconduisent les mêmes relations de sujétion d’un Parlement vis-à-vis du pouvoir exécutif ? Comme par le passé, le pays ne pourra pas changer de dialectique dans ce domaine tant qu’il n’a pas soldé, ou plutôt dissous, le système qu’il s’est donné en 1963. En effet, c’est à travers les avatars de notre parlementarisme que l’on peut, le mieux, mesurer le malentendu historique dont l’Algérie paye, à ce jour, le prix. Les élites des premières années de l’indépendance se souviennent de ce qu’il advint du premier président de l’Assemblée nationale ainsi que de certains députés tout aussi prestigieux. Opposés aux accoucheurs d’une Constitution-croupion, ne connurent-ils pas les pires représailles ? Ferhat Abbas, envoyé au goulag saharien d’Adrar, qualifiera cet épisode décisif de «confiscation» de l’indépendance. De son côté, Aït Ahmed, qui partageait avec le premier les mêmes scrupules démocratiques, sera poussé à la résistance armée qui le mènera aux geôles d’El- Harrach. Malgré toutes les thèses qui se sont efforcées de relativiser la violence d’un pouvoir dictatorial en gestation, il reste cependant que le destin des libertés publiques et de la séparation des pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) s’était joué à ce moment-là. Depuis cette époque, peu d’aspects ont évolué dans la dépendance du législateur et de la justice vis-à-vis du pouvoir politique. C’est ainsi que chaque succession fut incarnée par un homme dont l’unique souci était de maintenir le contrôle qu’il héritait. Une hostilité à l’égard de l’exercice des libertés qui a fini par faire système. L’Etat immobile, dont parlent justement ces députés, s’est de nos jours pétrifié à travers l’inactivité inquiétante du président de la République et l’absence de relais de substitution ayant l’autorité de s’adresser à l’opinion. D’une certaine manière, l’Etat, au sens où il est évidemment perçu habituellement, est devenu un «état de fait» qui a surgi du coup d’Etat constitutionnel du 12 novembre 2008 ! Un carcan de plus pour continuer à se moquer avec beaucoup de morgue de l’utopie d’un Etat de droit. Dévitalisé politiquement, le pays n’existe que par ce théâtre d’ombres appelé «représentation nationale». À travers ces fameuses chambres (Sénat et APN), un pluralisme de pacotille a séduit une nouvelle clientèle politique courant derrière les privilèges sans craindre la déplorable contrepartie qui leur sera imposée. Au cœur du tourment «moral» qui les ronge et du discrédit qui les étiquette, ces députés qui se confessent ne font que découvrir ce qui a toujours été ainsi. De Ben Bella à Bouteflika en passant par Boumediène, Chadli et Zeroual, rien n’a changé en vérité dans la façon de concevoir l’exercice de la fonction de président. Après un demi-siècle de souveraineté, les mêmes procédés ont toujours cours. Ceux qui n’ont eu de cesse de contraindre le Parlement à le soutenir en toute circonstance et bruyamment. Ce que l’on appelle trivialement la chambre à claques même si, parfois, on lui concéda le droit d’être critique. Quand bien même il serait aventureux d’établir des comparaisons entre les chefs de l’Etat qui se sont succédé, ils ont, néanmoins, en commun la parenté du système. Une sorte de filiation dans la conception doctrinale du pouvoir qui n’a pas échappé aux politologues. C’est qu’il ne faut pas ignorer, rappellent ceux-là, que certains acteurs des premières années de l’indépendance sont toujours présents dans les rouages de l’Etat. Une longévité étonnante qui, loin de valoriser leur rôle historique, montre le haut niveau clanique qui les soude, et par conséquent, leur inaptitude à remettre en question les «fondamentaux» d’un Etat totalitaire dont ils sont issus. La saine séparation des pouvoirs demeure, en effet, leur crainte principale. Bouteflika ne déroge pas à la démarche de ses prédécesseurs même si l’usure de son omnipotence commence à être perceptible depuis au moins un an. Ainsi, dans les faits, l’Algérie n’a jamais eu de véritable Parlement hormis la courte parenthèse qui vit siéger les Ferhat Abbas et Aït Ahmed. Seuls ces vénérables hussards de la démocratie parvinrent à ce moment de l’histoire à donner à cet hémicycle quelques lettres de noblesse. Evoquant ce tournant fatidique, un historien maghrébin écrivit ceci : «… En septembre 1963, les débats portèrent sur la rédaction de la Constitution. Quoiqu’un tiers des 196 membres de l’Assemblée nationale fût constitué de chefs de guérilla ayant reçu un minimum de scolarité, certains membres prééminents tels que Ferhat Abbas et Aït Ahmed se proposèrent de rédiger le texte eux-mêmes et d’exiger le contrôle du gouvernement. Or, déjà à cette date, le gouvernement de Ben Bella tranchait toutes les questions importantes sans jamais consulter l’Assemblée. La crise était évidente…» Et le parlementarisme mort-né, ajouterons-nous. Depuis, jamais plus l’appareil législatif ne quitta l’orbite du pouvoir. Une ancienneté devenue une coutume politique et que découvrent, soudain, de «bons et loyaux» députés qui, précisément, avaient voté les amendements de la Constitution en novembre 2008. C’est-à-dire applaudi au plus néfaste coup de canif donné à la loi fondamentale. Mais de cette trahison, eux ils n’en parleront sûrement pas.
Par Boubakeur Hamidechi
hamidechiboubakeur@yahoo.fr
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http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/04/24/article.php?sid=99047&cid=8
24 avril 2010
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