Un volcan au nom imprononçable qui entre en éruption sans crier gare, un nuage qui enveloppe les cieux d’Europe et de l’Atlantique, une bonne partie du trafic aérien mondial à l’arrêt pour, dit-on, éviter d’éventuelles catastrophes dues à des
réacteurs endommagés par la cendre et des dizaines de milliers de gens bloqués ici et ailleurs qui râlent, ne comprennent pas ou finissent par se résigner. Ce fut le scénario des jours qui viennent de passer. Il y a eu des voyages annulés, des retrouvailles reportées, des rendez-vous qui auront lieu plus tard quand tout reviendra à la normale. Retour à la normale Dans quelques semaines, on aura vraisemblablement oublié cet épisode sauf pour ceux qui auront vu leurs vacances gâchées ou sauf si d’autres volcans islandais se mettent de la partie. Ouvrons une parenthèse. Pauvre Islande. Depuis deux ans ce petit pays est devenu l’un des maillons faibles de l’économie globalisée ; sa population est endettée sur plusieurs générations et sa classe politique discréditée pour avoir fait l’autruche quand la crise bancaire s’annonçait. Et voilà que la géologie se met de la partie pour conforter cette île dans son statut de nuisance mondiale Parenthèse fermée.
Retour à la normale donc. Et c’est bien là le problème. Ce qu’une partie de l’humanité vient de vivre devrait pourtant nous interpeller. Soyons clairs : il ne s’agit pas de sombrer dans un délire millénariste et de prédire de futures catastrophes pour le simple plaisir d’effrayer le lecteur et de lui gâcher son week-end. Néanmoins, il est important de réfléchir à ce qui vient d’arriver. Une simple colère de la nature, comparable à des centaines d’autres qui se sont déroulées durant les années et les siècles précédents – il paraît même que le volcan islandais Laki, en 1783, serait à l’origine de la révolution française de 1789 en raison des bouleversements climatiques que son éruption a provoqué – et voilà l’humanité bousculée, désarçonnée, son économie soudain déréglée, ralentie. Il y a nécessairement des leçons à tirer de tout cela.
Parlons de la vitesse et du temps. Nous avons pris l’habitude de l’instantané, de la connexion immédiate, de l’internet à haut débit, du voyage (quand il est possible, n’oublions pas la ligne de séparations et de divisions créées par les visas) intercontinental facile pour ne pas dire intempestif, du « navettage » ou commuting aérien ou ferroviaire quasi-quotidien. Tout doit aller très vite, le moindre ralentissement devient insupportable qu’il s’agisse d’un réseau téléphonique saturé, d’un retard d’avion ou de train. Un volcan qui fume et tout s’arrête : c’est n’importe quoi, fulminait une passagère retenue dans un aéroport du sud de la France.
Et bien si, madame. Un volcan qui se met en colère et nous voilà démunis. Voilà du poisson que l’on exporte par avion qui va pourrir dans ses caisses ; Voilà des fleurs coupées au Kenya qui ne seront pas sur les étals du marché de Sarcelles ; Voilà des centaines de congrès annulés faute de participants ; voilà mille et un mécanismes économiques bien huilés qui se dérèglent brutalement et qui génèrent une facture de plusieurs millions de dollars, peut-être même des milliards.
Il ne faut pas se cacher la vérité. L’éruption du volcan islandais n’est qu’une répétition avant d’autres accidents, peut-être plus graves, plus étalés dans le temps. Des ordinateurs qui flanchent aux quatre coins du monde ; l’internet qui devient inaccessible, l’électricité qui manque pendant plusieurs jours ou encore le système de paiement par cartes bancaire qui tombe en panne. Sommes-nous prêts à faire face ? Sommes-nous préparés ? Sûrement pas. Certes, il paraît que certains Etats, peut-être aussi de grandes entreprises, le sont. Mais il ne s’agit que d’une minorité. La majorité de la planète continue de vivre et de croître comme si tout cela ne relevait que de mauvais scénarios de science-fiction. Et pourtant
Mais peut-on arrêter la mondialisation ? Quel homme politique, quel leader, quel mouvement populaire est capable de dire stop, ralentissons, tout cela va trop vite ! Il ne faut pas trop y croire. La machine s’est emballée et elle continuera de tourner à plein régime jusqu’au prochain dérapage. Il y aura des dégâts, des rustines seront appliquées, on relèvera la bicyclette et son conducteur se remettra en route à pleines pédales. Bien sûr, il y a, ça et là, on entend ou lit des éloges de la lenteur. On célèbre le mouvement du « slow food » ou de la « slow motion » comme si quelques riches bobos étaient capables d’inverser la tendance d’un monde qui ne cesse de vouloir aller de plus en plus vite.
Il ne s’agit pas de revenir en arrière mais juste de ne pas se voiler la face. Et écoutons ce que nous dit le philosophe et urbaniste Paul Virilio. Pour lui, il faudrait créer une nouvelle discipline, une, « université du désastre » où l’on enseignerait une « science qui s’interrogerait sur les désastres dus au progrès fondée par une attitude profondément rationnelle » (*). Et de prendre pour exemple l’exemple du crash test.
« Là où on fabrique des voitures, explique-t-il, on fabrique également des accidents pour éviter les dégâts. Il serait temps que la science et la philosophie s’entendent au lieu de s’exclure, non pas pour régresser aux chèvres et à la voiture à cheval, mais pour aller plus loin et de l’avant. »
Des crash-test Pour apprendre à anticiper les catastrophes que nous allons nécessairement provoquer ou subir. Exemple : réfléchissons à ce que serait une semaine sans internet dans le monde entier.
Des crash-test pour imaginer l’impensable. Cela signifie de l’humilité et la fin d’une certaine idée positive du progrès. Cela exigerait que l’humanité reconnaisse sa faiblesse et sa vulnérabilité face à cette nature que nous ne cessons de maltraiter mais aussi face au progrès que l’Homme crée sans cesse et qui risque tôt ou tard de se retourner contre lui.
Comment traduire cela en terme de doctrine politique ? C’est toute la question à laquelle il est urgent de répondre.
(*) «Un accident systémique», L’Humanité, 19 avril 2010.
22 avril 2010
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