Le roman colonial et les ressorts de l’acculturation auront été âprement discutés par de nombreux universitaires lors d’une rencontre que vient d’abriter la maison de la culture de Mostaganem.
La nécessité d’investiguer en toute sérénité cette littérature colonialiste aura été soulignée par les participants qui appelleront à un autre regard envers des textes aux relents misérabilistes, voire cruellement racistes. Grâce à des débats clairvoyants, malgré quelques sournoises réminiscences, le clivage entre arabophones et francophones est sur la voie de la décrispation. La maison de la culture de Mostaganem vient d’abriter, deux jours durant, un colloque consacré à l’acculturation dans la littérature coloniale. Initiée par le Dr Hmida Kada, la rencontre aura drainé un grand nombre d’universitaires et d’intellectuels, ainsi que plusieurs dizaines d’étudiants de la faculté des lettres. Rehaussé par la présence du romancier Amine Zaoui et du chercheur Ahmed Cheniki de l’université d’Annaba, le colloque aura enregistré la participation de pas moins de 11 conférenciers, ainsi que la projection du documentaire Les Zoos humains, de Pascal Blanchard, qui relate cette hideuse pratique occidentale de la fin du XIXe au début du XXe siècle. Le film d’une durée de 52 minutes retiendra en haleine le public qui le suivra dans un silence religieux jusqu’à l’ultime image de l’enterrement dans son Afrique du Sud natale de la Venus Hottentote.
Un film bouleversant qui retracera cette ténébreuse période durant laquelle les colonialistes feront déplacer, par vagues, des populations africaines entières pour les exhiber à un public occidental à la recherche de sensationnel, au même titre que les animaux sauvages qu’ils côtoieront souvent dans les ménageries de Paris, Hambourg, Londres ou Moscou. Cette projection viendra ponctuer une série de conférences, où de talentueux intervenants feront un procès sans fard à la littérature coloniale d’expression française. C’est Amine Zaoui, le premier, qui interviendra pour souligner l’impérieuse nécessité de dépasser les tensions entre arabophones et francophones et songer sereinement à une réconciliation du pays avec ses intellectuels d’ici et d’ailleurs. Il sera relayé par Med Boudaoud et A. Mouats, de l’université de Mostaganem, qui parleront respectivement de « Louis Bertrand à travers une lecture de Rabah Belamri » et « d’Albert Camus ou la prière de l’Absent ». Selon Med Boudaoud, Louis Bertrand « ne se souciait nullement de l’extrême indigence des populations autochtones, s’arrêtant longuement sur les mérites des colons », alors que « ces Arabes paresseux et sales encombrent les fossés et les routes » de son « heureuse Algérie » ; « une image peu amène », dira le conférencier, « qui continue malheureusement de ressurgir dans la littérature algérienne ». Son collègue articulera sa conférence autour de l’absence d’Albert Camus lors de la répression d’août 1955 dans le Nord constantinois et durant la guerre d’Algérie.
Inscrire la manifestation dans la durée
De son côté, le dramaturge Bouziane Benachour abordera la question du discours militant dans le théâtre algérien des années 40, soulignant l’extrême dénuement des décors ; il mettra en exergue le formidable foisonnement de la société durant cette époque où les luttes politiques commençaient à prendre un réel ascendant sur la société musulmane. « Les mythes obscurs d’un algérianisme à rebours et les scribes attitrés de la colonisation » serviront de trames à l’intervention du professeur Cheniki. Mansour Benchehida et le jeune universitaire de Mascara, Abdelkader Sadouki, feront une lecture studieuse de deux auteurs français. Le premier parlera d’acculturation à travers le livre Affrontement culturels dans l’Algérie coloniale d’Yvonne Turin. Il fera également une digression chez Pierre Péan et son ouvrage Mains basses sur Alger, pour rappeler que la colonisation fut d’abord une affaire de rapine financière. Son jeune collègue fera une brillante lecture de l’œuvre de Guy de Maupassant, dont il n’aura aucune peine à dévoiler la face peu glorieuse d’un auteur raciste et méprisant. Pour leur part, Soumia Mouard de Constantine et Amar Belkhodja de Tiaret parleront respectivement du « Cinéma colonial et ses désirs illusoires » et des « Théories racistes » que l’enfant terrible du Sersou ne cesse de pourfendre au travers de ses nombreux écrits. Intervenant en langue arabe, Hocine Allem de l’université de Mostaganem fera une brillante communication sur la définition du romancier colonial ; s’appuyant sur une rigueur scientifique éprouvée, il ne laissera aucune place à l’improvisation. La rencontre aura été largement suivie par des étudiants qui auront fait montre d’une assiduité peu commune.
Cette littérature est aussi un butin de guerre
Avant la clôture, les participants lanceront un appel afin que cette manifestation soit davantage soutenue et encouragée. Ils en appellent aux pouvoirs publics afin que la littérature coloniale fasse l’objet d’une profonde et régulière investigation de la part des universitaires et que ce premier colloque permette aux institutions universitaires et culturelles de fédérer leurs efforts pour que ces rencontres puissent se renouveler à l’avenir. Inscrire ce type de rencontre dans la continuité et alimenter les fonds documentaires avec l’ensemble des ouvrages sans exclusion serait, de l’avis des participants, les meilleurs gages pour que cette littérature serve à donner la véritable image de la colonisation française de l’Algérie. Enthousiasmé par cette proposition, un chercheur chevronné dira qu’« il serait temps de dépasser nos futiles pulsions et de s’attaquer à cette funeste période coloniale avec les armes de l’adversaire ». Le procès récurrent des auteurs algériens d’expression française, qu’un conférencier aura vainement tenté de ressusciter, s’est vite retourné contre son auteur lorsqu’un contradicteur lui demandera de donner seulement la preuve de la moindre allusion assimilationniste dans les œuvres de Med Dib, Kateb Yacine, Mouloud Mammeri ou Feraoun. A contrario, de nombreux intervenants souligneront l’impérieuse nécessité de réhabiliter les intellectuels et penseurs français qui n’ont pas ménagé leur plume ni leurs forces pour soutenir le juste combat libérateur du peuple algérien. « A quand un lycée Francis Jeanson ou un théâtre Jacques Berque ? », martèlera un intervenant ! « Pourquoi pas un centre culturel Jean Sénac ou Colette Grégoire, dite Anna Greki », renchérira un autre. « ça serait la meilleure manière de marquer à jamais notre reconnaissance à ces précieux combattants de l’ombre, à ces visionnaires, à ces humanistes ; pour nos enfants, ce serait leur indiquer la voie vers l’esprit d’ouverture, et surtout de fidélité envers ces Français », conclura-t-il.
Par
22 avril 2010
Colonisation