« Le colonialisme est une mauvaise chose que nous connaissons bien. L’indépendance est une bonne chose que nous ne connaissons pas. »
Entre 1952 et aujourd’hui l’Afrique a connu près de quatre-vingts coups d’Etat, le premier ayant inauguré ce bal étant l’Egypte, avec Mohammed Naguib. La pratique du coup d’Etat est un phénomène de postindépendance qui a secoué de jeunes nations aux frontières incertaines et aux Histoires mal assumées. Les guerres de libération, les révoltes, les luttes politiques pour parvenir à une souveraineté nationale constituaient durant la nuit coloniale l’unique chemin d’affirmation d’une identité étouffée pour les besoins de confiscation des richesses au seul bénéfice du colonisateur. Tout le jargon né durant la traversée de ce chemin était puisé dans les dictionnaires du socialisme fidèle à sa vision anticoloniale du fait que l’impérialisme y était considéré comme « le stade suprême du capitalisme. Mais une fois indépendants, les Etats africains ou du moins les militarismes qui les ont gouvernés et qui les gouvernent encore, ont fait plus de dégâts dont le plus important, l’instabilité politique et l’enfermement du pouvoir entre les mains de groupes opposés dans leurs intérêts. La première réussite des pays démocratiques n’a pas été, contrairement à ce que l’on pense, la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Ce n’est là qu’un modèle français qui a donné naissance à la laïcité dans un contexte historique particulier. La première réussite a été de séparer le militaire du civil pour construire la paix et l’institution. Les militaires font la guerre qui a son mode de gestion et ses stratégies de destruction de l’ennemi. Les civils maintiennent la paix qui a aussi son mode de gestion et ses stratégies de construction. De construction. Or dans les pays africains la confusion entre militaire et civil née des résistances contre le colonialisme n’a permis que la primauté du militaire sur le civil. Le Congrès de la Soummam était à ce titre prémonitoire en plaçant ses revendications au cœur des objectifs de la guerre et des textes fondateurs. La confusion n’a mené qu’à une domination de l’armée et des services de sécurité qui lui sont rattachés sur l’ensemble de la vie publique. Il peut se trouver que des militaires hauts gradés se convertissent à la vie civile et y exercent des responsabilités politiques pour une période, avant de se retirer, une fois atteint l’équilibrage d’un pays. Cela a été le cas du Général De Gaulle en France ou du colonel Ely Ould Mohamed Vall en Mauritanie. En France les institutions ont gagné en développement, l’armée restant dans ses casernes ou dirigée vers à des missions particulières qui exigent de gros moyens. En Mauritanie, une fois passé le cap des youyous et de la normalisation, la mouche piquante des coups d’Etat a sévi à nouveau. En Algérie, une fois passée la première guerre civile qui a opposé l’armée des frontières suréquipée et bien reposée dans les camps d’entrainement, à l’armée de l’intérieur fatiguée et sous-alimentée ; une fois passée la guerre des sables, les regards se sont dirigés vers l’appropriation des ressources et leur allocation comme instrument du pouvoir. Car la mainmise sur les ressources est le véritable enjeu du pouvoir et de son exercice. La démocratie et l’ouverture du champ politique deviennent secondaires quand les militaires gouvernent. L’ordre et la discipline enclenchent des réflexes et des comportements que les civils ne peuvent pas comprendre. C’est ce qui se passe en Afrique. C’est ce qui explique que les militaires s’ennuyant en temps de paix, s’aventurent à organiser des coups d’Etat. Profitant de périodes de mécontentements populaires par manque de satisfactions de besoins élémentaires, les militaires africains se sentent interpellés en prévision de révoltes qui risquent de les emporter dans leurs mouvements. Octobre 88 en est une illustration. Mais au fond n’est-il pas courant que les peuples eux-mêmes réclament une dictature militaire ? Certes cette attitude peut paraître contradictoire avec les principes de la démocratie, mais n’oublions pas que le tissu social des nations africaines est dominé par le tribalisme, la prédominance de l’ethnie, de la région, y compris dans les appareils militaires. Si l’on considère que la dictature est le seul moyen de parvenir à la démocratie, peut-on alors un jour voir d’abord une dictature s’affirmer et attendre que la démocratie lui succède ? Très peu probable avant des générations. Alors que veulent dire les indépendances et les discours glorificateurs qui les accompagnent sans le passage à un mode réellement civil de gouvernement ? C’est probablement pour cela que les peuples ne ressentent pas les bénéfices de la libération des pays. De là à parler de l’indexation ou de la désindexation du prix du gaz sur celui du pétrole il ya tout de même une indépendance à reconquérir sans les militaires. En les gardant dans leurs casernes ou en les destinant à des missions qui exigent de gros moyens. Le drame c’est que par contagion les civils se sont militarisés aussi pour mieux taire l’appropriation des ressources.
22 avril 2010
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