Roman éloquent et fort descriptif. Dans Les Figuiers de Barbarie, Rachid Boudjedra nous renvoie en pleine gueule la guerre de Libération nationale, avec ses affres et déchirures, ses secrets mal digérés et ses triomphes alambiqués. Au bout du «doute»,
le malaise s’irise et provoque des remous en ses lecteurs dont nous-mêmes, symbole d’une nouvelle génération qui n’a pas vécu la guerre mais qui croit ce que racontent ses aînés. L’histoire de Les Figuiers de Barbarie est celle de deux personnages Omar et Rachid, unis par les liens du sang. Mais aussi par l’expérience traumatisante de la guerre d’Algérie et le souvenir torride de leur adolescence, leur amourette de vacance, de combat et de correspondance…Ils ont partagé tout ou presque, Omar et Rachid. L’un est devenu aujourd’hui un brillant architecte – il a été l’assistant d’Oscar Niemeyer – et l’autre un vaillant chirurgien. L’histoire de ce roman est truffé de noms célèbres ou honnis, de ceux qui ont fait la guerre, combattu contre l’ennemi ou de son côté, laissé des traces héroïques ou de crimes crapuleux, marquées à tout jamais dans notre mémoire collective. «Une histoire douteuse», en somme, écrit à la page 30, l’auteur de Les désordres des choses. Entre mensonge et véracité, comme le père d’Omar, ayant occupé un poste de commissaire divisionnaire à Batna ou encore, son petit frère soupçonné d’appartenir à l’OAS, nous sommes comme ballotés par le bon vouloir de l’écrivain, obsédé par la vérité. «L’histoire n’oublie jamais, elle fait juste semblant.» Elle est même «une accumulation de futilité». Sentencieux, parfois grave, Rachid Boudjedra interroge l’histoire, pose des questions essentielles. Pourquoi la résistance, pourquoi ces dépassements, ce gâchis? L’auteur reste cependant neutre. Dans Les Figuiers de Barbarie il ne fait le réquisitoire ni des uns ni des autres, sauf qu’il dévoile des vérités souvent tues. Dans l’avion qui les mène d’Alger à Constantine, en à peine une heure, les deux comparses remuent le passé, douloureux et épineux mais aussi ces bonnes choses qu’on regrette toute notre vie. C’est pourquoi ces cousins-là resteront célibataires toute leur vie. Ils ont partagé le bon comme le mauvais souvenir d’alcôve et de musique de cheikh Raymond à Constantine…Mais Rachid nourrit une certaine jalousie pour Omar et sa famille car la tienne transporte mille et un problèmes. Les Figuiers de barbarie est traversé de flash-back et de phrases courtes, concises comme un poème. Rachid Boudjedra a commencé sa carrière par la poésie, croit-on savoir. Si «le colonialisme est une ma-ladie chronique», «tout pouvoir est répressif et injuste», souligne dans le roman l’auteur de La Fascination. Dans Les Figuiers de Barbarie, le beau côtoie le laid. On passe du joyeux insouciant à l’innommable. Le livre dégage des senteurs de souffre, de sang et d’enfumade mais aussi le goût des baisers salés des jumelles que Rachid et Omar ont bien connues dans leur jeunesse. Désenchantement ou nostalgie? Les Figuiers de Barbarie est tout ça en même temps. Un livre puissamment lyrique, sensuel et fécond.
O. HIND
21 avril 2010
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