Ce n’est pas droit d’hommiste. Il ne s’appelle pas Benchicou. Il n’est pas sur la liste des berbéristes actifs ou des autonomistes en exil. Il n’a pas écrit «Amirouche, une vie, deux morts, un testament». Il n’a pas pris tout le pays sous prétexte qu’il avait pris le maquis. Ce n’est pas un éditeur de journal dit indépendant sauf de la pub. Il n’est pas écrivain et ne connaît pas Yasmina Khadra.
Il n’est pas journaliste, ni chroniqueur, ni démocrate, ni opposant. Il n’est pas Mellouk bien qu’il a eu le même courage de cet homme. Ce n’est pas un ancien ministre reconverti en critique littéraire du système qui l’avait employé. Il n’a jamais touché Benflis de la main. Il avait subi Zeroual qui avait subi les autres jusqu’à démissionner. Lui, il n’a pas démissionné mais a fait ce que Zeroual n’a pas fait : révéler et dire et raconter.
D’ailleurs, il n’est même pas connu des «Services». Il n’est pas fiché. Ou biométrisé avant la biométrie. Il ne s’appelle pas Oultache. Ni est un parent de Tounsi. Ce n’est pas un indicateur assimilé ou un anonyme rapporteur. Les RG ne s’y intéressent pas et il n’a pas fait le voyage vers le Soudan sauf avec le cœur, comme presque nous tous. Il n’a pas eu le prix Sakharov. Ni celui de la plume d’Or ou du Pen internationale. Aucune ONG ne le connaît de près ou de loin. Les démocrates le regardent à peine quand ils parlent de démocratie. Pour le FLN, c’est un «châabi» anonyme.
Aucun parti n’ira le mettre tête de liste. Ni en bas de page. Il ne fait pas partie d’un comité de soutien ou sauf à son insu. C’est qui ? Il s’appelle lui-même. Si certains s’en souviennent, c’est un gardien de but qui ne s’appelle même pas Chaouchi. Son acte ? Il a donné un long entretien à un journal sportif dans lequel il a dit ce que tout le monde sait : le foot, c’est pire que Sonatrach. On y vend des matchs. On y achète des scores plus importants que ceux des élections. Il y existe plus de corruption que dans n’importe quel projet de relance national. On y compte plus de courtiers que de joueurs. Le gazon des stades y cache, sous le tapis, plus de milliards volés que le goudron de l’autoroute du siècle.
Bien entendu, aucune enquête n’a été déclenchée suite à ses déclarations. Un milliard volé au nom du foot ne vaut pas un milliard volé au nom d’un appel d’offre à Sonatrach. Dans l’univers du foot algérien et des compétitions de sport, l’impunité est totale pour les tricheurs et les traders. Aucune enquête n’a jamais été menée sur l’argent du foot que les Algériens payent sans le savoir. Un score «acheté» laisse moins de trace qu’une ouverture des plis frauduleuse. A la fin, ce gardien de but que personne ne va défendre, a écopé de deux ans de suspension prononcée par la FAF en guise de sanction pour son courage. Quand on ne joue pas le jeu, on joue sa licence et ce gardien héroïque se devait de mieux surveiller sa bouche que la cage de son match. S’agit-il d’une bataille pour la liberté d’expression qui devrait mobiliser tout le monde ? Techniquement, oui. Du point du vue Fashion, non. C’est un simple gardien de but et donc son courage n’intéresse personne des militants de droits de l’homme en Algérie, ni dans la presse ni en haut d’une pétition nationale. La noble cause de la liberté d’expression et du militantisme pour la vérité et la justice exige une tenue correcte et une certaine notoriété, sinon des diplômes et des «relations». Quand on est gardien de but, on n’a rien de tout cela : on peut être un héros anonyme, on sera toujours un sachet bleu qui songe à sa parenté de couleur avec le ciel le plus beau. Cet homme est un héros pourtant. Il fallait le saluer : il a gagné 1 à zéro contre l’infamie, même si personne ne s’est intéressé à ce match épique.
15 avril 2010
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