On croirait presque à une seconde victoire post-mortel et à des siècles de distances et pour un tout autre contexte historique de celui qui inventa le culte de l’éphémère : Charles Baudelaire.
Par Malek Bellil L’enclavement dans l’espace ville est bien l’une des caractéristiques essentielles de la littérature algérienne actuelle. Cet intérêt nouveau des jeunes- et moins jeunes- écrivains pour l’espace urbain tranche d’avec ce à quoi nous avaient habitués les aînés qui, eux n’avaient d’yeux que pour l’arrière pays, la campagne et les montagnes. Cette différentiation trouve bien sur une large explication dans le fait que si, dans les années cinquante du siècle passé, pas moins de 80 % de la population algérienne était rurale, en moins de cinquante la proportion s’est littéralement inversée pour donner à l’heure d’aujourd’hui près de 70 % d’urbains, répartis dans les grandes et moyennes agglomérations. Or, et d’autant en littérature, on ne peut parler que de ce que l’on connaît le mieux. Cette nouveauté qui consiste désormais à n’attacher d’importance qu’à la ville et à tout ce qu’elle peut représenter dans l’imaginaire mais aussi dans les expériences des jeunes écrivains interpelle également les personnages décrits et peints au travers des livres parus depuis la fin des années 80 du siècle passé. On avait senti cette » mutation » avec les vigiles de Tahar Djaout ou encore l’Etoile d’Alger de Aziz Chouaki ; puis le phénomène s’est accéléré au point où il est devenu pratiquement impossible de nos jours d’espérer pouvoir se balader, au travers des pages d’un roman ou même d’un recueil de nouvelles, dans ce qui était le seul centre d’intérêt des pionniers de la littérature algérienne : le monde rural, ses ambiguïtés, ses problèmes, difficultés, réalités et profondeur. Si l’on ne peut rien à un tel état de fait, imposé autant par la démographie, le peuplement que les changements profonds intervenus, notamment depuis l’indépendance du pays, par contre un certain nombre de remarques vont s’imposer pour quiconque entreprend de traverser, même superficiellement, les œuvres parus ces deux dernières décennies. L’urbanisation de notre société étant un phénomène relativement nouveau, il est clair que l’espace ville que vont chercher à défricher et décrire tous ces jeunes écrivains va être un espace partiel, sans profondeur ; la ville en elle-même, fut-elle celle où ils sont nés, n’a aucune autre dimension que celle qu’ils croient et pensent lui connaître. La dimension histoire, mythe, culture orale, passé autant du bâti et des infrastructures principales et représentatives, va complètement leur échapper au profit de l’espace restreint et éclaté qui est le leur. Les personnages, quant à eux, sont pour l’essentiel des jeunes qui, tout naturellement portent en eux la presque totalité des contradictions, angoisses, frustrations mais aussi espérances des nouvelles générations. Il n’y a pas ou presque pas de continuité entre les anciennes générations et les nouvelles. L’espace ville ainsi éclaté, fragmenté et fragmentaire, les personnages préférés de tous ces jeunes auteurs, le seront aussi. Ils sont majoritairement jeunes, sans expérience autre que celle de leurs premiers pas dans la vie et ne présentent donc pas cette dimension philosophique ou encore éthique qui est celle des plus âgés. On croirait presque à une seconde victoire post-mortel et à des siècles de distances et pour un tout autre contexte historique de celui qui inventa le culte de l’éphémère : Charles Baudelaire. M.B.
14 avril 2010
Contributions