M. Hamid Temmar, ministre de l’Industrie et de la Promotion de l’investissement, a mille fois raison de faire de la mise à niveau du secteur privé un axe majeur de sa stratégie industrielle. D’abord pour cette première raison d’importance : «La mise à niveau du secteur privé est, à côté du déploiement des EPE, la condition sine qua non d’une croissance nécessaire, suffisante et durable.
A défaut, la situation du secteur productif, notamment industriel, semble être définitivement irréparable. On le constate bien : la dépense publique n’a d’effet que sur une certaine période car les travaux publics ne représentent pas une activité de reproduction et l’entretien du système demande l’injonction permanente de fonds publics, sans garantie de retour sur la croissance.» Le MIPI a, par ailleurs, raison de regretter que «la séquence» tant espérée tarde à voir le jour : il est attendu que l’ouverture économique, en portant l’exigence de compétitivité au premier rang, incitera l’entreprise à s’emparer par elle-même, mécaniquement, des facteurs de compétitivité – qu’ils soient liés à l’appropriation de la technologie, du savoir, du management ou de l’information – afin de faire face à la concurrence.. On ne le soulignera jamais assez : l’appropriation de ces facteurs relève d’un processus cumulatif et d’un apprentissage dont les résultats, s’ils sont laissés aux seules forces du marché, ne peuvent s’inscrire que dans le long terme et, qui plus est, sont aléatoires. «Habituellement, les dépenses conjoncturelles massives de fonds publics sont suivies d’une relève des entreprises du secteur des travaux publics et de la construction. Chez nous, elles sont ou trop petites ou incapables de prendre cette relève.» Encore une fois, on ne peut s’empêcher de donner raison à M. Temmar. En effet, dans une configuration asymétrique de la concurrence entre acteurs économiques dotés d’un inégal pouvoir de marché, comme c’est le cas aujourd’hui dans notre pays, le tissu industriel national, précaire et balbutiant, risque d’être enfermé dans «une trappe de non-développement ». Il était donc nécessaire de mettre en place un processus d’accompagnement, en termes de mise à niveau, qui prépare et adapte progressivement (et concomitamment) l’entreprise algérienne et son environnement aux exigences de la concurrence internationale. L’Algérie ambitionne de le faire depuis les années 2000, sans y parvenir pleinement. D’autres raisons, chroniques, plaident pour l’urgence de la mise à niveau du secteur privé. Son diagnostic témoigne d’une concentration de son activité dans le secteur du commerce et, à un degré moindre, dans celui des transports et des BTPH. L’industrie ne participe, en 2006, qu’à 5,3 % de la valeur ajoutée du secteur. De plus, près de 70 % de l’activité industrielle est concentrée (en termes de valeur ajoutée) dans l’agroalimentaire. Le tissu productif, déjà anémique, se distingue par ailleurs par sa forte fragmentation : 90 % des entreprises emploient moins de 10 salariés et seuls 3 % d’entre elles comptent plus de 50 salariés. Autres freins à l’émergence de véritables capitaines d’industrie : un secteur informel très important; un mode de gestion familial ; un faible taux d’encadrement en personnels qualifiés, notamment dans le management (ce qui freine l’amélioration de la productivité des facteurs) ; une absence quasitotale d’investissement en recherche-développement (R&D) avec, comme conséquence, un nombre insignifiant de brevets déposés par les entreprises locales auprès de l’Inapi. Lorsqu’on ajoute à cela un climat d’affaires faiblement attractif, on devine le niveau de performance des entreprises privées qui se répercute naturellement sur leur compétitivité, que ce soit en termes de prix ou de qualité. La conséquence, sur le plan macroéconomique, est la faible diversification de l’économie algérienne. Dans le domaine du commerce extérieur, l’Algérie est, même parmi les pays exportateurs d’hydrocarbures, celui dont les exportations sont les moins diversifiées. Avec un indice de protection tarifaire de 12,6 % (qui ne semble pas corroborer la thèse d’un biais anti-exportation), la croissance devrait pourtant être davantage tirée par les exportations. Le taux de 12,6 % est l’indice TTRI (Tariff Trade Restrictiveness Index) que calcule récemment la Banque mondiale. De ce point de vue, l’Algérie est, en 2006, moins protégée que le Maroc (20,0 %) ou la Tunisie (28,3 %). Néanmoins, lorsqu’on tient également compte des mesures non tarifaires, l’indice OTRI (Overall Trade Restrictiveness Indices) classe l’Algérie parmi les plus protégés au monde (38,1 % !) loin devant le Maroc (28,4 %) ou la Tunisie (34,2 %). Il ne suffit pas de se convaincre du pourquoi de la mise à niveau. Encore faut-il savoir comment la conduire ? Le cadre doctrinal de la nouvelle politique de mise à niveau fait de l’entreprise la pièce maîtresse, axiale, de la stratégie de croissance. Il repose sur une approche qui, tout en rappelant la puissance de la rationalité des mécanismes du marché, donne à l’intervention de la puissance publique, une double fonction de correction des effets pervers du libre jeu de «la main invisible», mais aussi d’accélération du rythme des transformations économiques. Le MIPI y voit là «un glissement théorique important» : «Le positionnement de l’Etat change : plus qu’un régulateur, l’Etat devient un acteur actif dans l’initiation, la mise en œuvre et le financement d’un dispositif devant amener le tissu d’entreprises économiques à réaliser les objectifs d’une politique qu’il a prédéfinie avec les partenaires économiques». En novembre dernier, le MIPI rendait publics le bilan à mi-parcours et les mises à jour de sa stratégie et de sa politique de mise à niveau. A l’expérience, il semble que le programme antérieur souffre de trois maux : primo, un programme éclaté (en raison d’une logique de projets de nature et de dimension différentes, visant la réalisation d’objectifs limités à l’entreprise et à son environnement le plus immédiat et, au mieux, au secteur auquel elle appartient) ; secundo, un dispositif institutionnellement complexe et techniquement inefficient ; tertio, des redondances et des chevauchements de compétences. Par ailleurs, et à l’expérience aussi, les hommes en charge du dossier butent sur une réalité immuable : la politique de mise à niveau «ne peut se limiter aux seuls aspects internes de l’entreprise sachant que les réformes se présentent en package où tous les éléments interagissent (…) Elle doit prendre en compte le cadre institutionnel dans lequel opère l’entreprise et former une politique intégrée qui, certainement, fait le focus sur l’entreprise et ses capacités de compétitivité (niveau micro) tout en intégrant l’environnement de l’entreprise (niveau méso) et les conditions structurelles de fonctionnement de l’économie (niveau macro)». Il serait, en conséquence, illusoire de prétendre améliorer la compétitivité des entreprises en ignorant son environnement global. Les synergies entre les trois volets étant étroites, leur mise en œuvre conjointe devient indispensable. Dans ce cadre, les objectifs stratégiques que le programme de mise à niveau se fixe (amélioration de la compétitivité des entreprises privées dans ses multiples dimensions, densification du tissu industriel, renforcement du positionnement des entreprises sur le marché local et le marché extérieur), ces objectifs seront réalisés à travers des politiques d’incitation et de soutien suivant quatre axes :
- l’amélioration de l’organisation de l’entreprise et de son mode et ses capacités de gestion;
- l’appui à l’internationalisation des entreprises pour développer les exportations, le partenariat et la sous-traitance internationale ;
- la qualification des ressources humaines et son adaptabilité à la demande de l’entreprise ;
- la réhabilitation et la modernisation des institutions et des infrastructures d’appui à l’entreprise.
L’amélioration de l’environnement général de l’investissement et de la pratique des affaires constituera également un axe essentiel de la mise à niveau s’agissant d’une condition préalable majeure de son succès. La mise à niveau de l’entreprise doit, en conséquence, faire l’objet d’un programme national unifié. A cet égard, elle sera prochainement institutionnalisée par la mise en place du Conseil national de la mise à niveau de l’entreprise économique algérienne privée. Un projet de décret présidentiel portant institution dudit conseil est à la signature. Il restera à réussir le déploiement du secteur public.
Par Ammar Belhimer
ambelhimer@hotmail.com
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/04/13/article.php?sid=98528&cid=8
13 avril 2010
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