Un bonheur n’arrivant jamais seul, l’Algérien apprend de jour en jour le B.a.- ba du stoïcisme. Ce qui lui permet de cultiver cette faculté qu’on a tous tendance à perdre : l’humour.
A eux deux, l’humour et le stoïcisme font la paire. Et le citoyen reste coincé dans ses baskets pour voir venir les augmentations de prix, les grèves interminables, la non prise en charge des malades dans les hôpitaux et les centres de santé, les émeutes sporadiques, les kidnappings inopinés et les longues queues qui se forment aux guichets des daïras, pour remplir les formulaires, de cinq pages, pour l’obtention du passeport et de la carte d’identité biométriques. Si les gens, de guerre lasse, décident d’eux-mêmes de se passer de passeport, en renonçant au plaisir de voyager, ils ne pourront pas, en revanche, prendre la même décision de boycottage concernant la carte nationale d’identité. C’est un document exigé pour s’acquitter des formalités quotidiennes : comme passer un examen, retirer de l’argent dans une agence bancaire ou postale, être reçu dans n’importe quelle administration ou entreprise, et c’est la chose que n’importe quel fonctionnaire (police ou autre) vous demandera pour vous identifier à tout contrôle. Sinon, vous n’êtes pas identifiés et donc vous n’avez pas d’existence légale aux yeux de l’administration.
En d’autres termes, vous n’existez pas. Vous êtes sans domicile, sans compte bancaire, et tout votre patrimoine est nul et non avenu. En tant que masse de chair qui se déplace, vous n’êtes pas seulement un SDF, vous n’êtes tout simplement rien. Le néant. Un trou noir. On ne peut quantifier ni l’air que vous respirez ni l’eau que vous buvez. Tout cela passe par pertes et profits.
Donc, le mieux, c’est de voir le bon côté de la médaille, en cultivant son humour et cette carapace increvable qu’on appelle le stoïcisme. Grâce à ces deux blindages, l’Algérien peut endurer ses petits tracas de la vie quotidienne, que les gouvernants, au lieu de l’aider à vivre, multiplient tous les jours que Dieu fait. Depuis le temps que cette situation dure et perdure, l’Algérien a appris à ne plus avoir confiance en les réformes qu’on lui propose. Elles ne vont jamais dans le sens de l’amélioration de la vie des gens, mais dans le sens de leur complication.
On dirait qu’il existe un service spécialisé dans ces questions de casse-tête administratif. Il a pour rôle d’inventer et de mettre au point de nouvelles lois et de nouvelles règles qui vont venir brider la liberté des gens, de multiplier les barrières, les entraves.
Face à des gouvernants aussi coriaces, le citoyen devient philosophe. Il apprend à détourner les lois, à les ignorer, à s’en passer. Surtout lorsqu’on lui offre un service dont il n’a pas besoin, il fait celui qui n’a rien vu, n’a rien entendu, n’a rien dit. Surtout celui qui n’a rien dit, car il sait que tout ce qu’il dit sera retenu contre lui. T.H.
10 avril 2010
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