Au cours de cette semaine, il sera l’unique sujet des cours de
l’instruction religieuse dispensée à nos écoliers. Ailleurs, l’on fera
également de sa résistance spirituelle l’unique thème à colloques dans
les campus islamiques (I). Afin de ne pas déroger à la vulgate des
imams, Benbadis continuera à n’être célébré que pour son érudition
coranique ou bien alors il ne le sera plus. Un prisme volontairement
réducteur ponctuellement chargé de définir la notion de «savoir» du
seul
point de vue de la foi.
Car, aussi loin que l’on remonte aux premières
années de l’indépendance, l’on constate que le fondateur des médersas
libres s’est toujours effacé au profit du prédicateur et cela dans des
références qui auraient dû être indissociables. Souvent vibrants, les
éloges ne s’adressaient qu’à l’homme de la mosquée et rarement au
pédagogue, novateur pour son époque. En permanence récupérée comme
prétexte à argumentaire pour polémistes, la trajectoire de cette
personnalité attend toujours le biographe sérieux qui parviendra à
cerner objectivement une vie aussi dense en la replaçant dans son
contexte historique. Sujet à exaltation religieuse d’abord, il
intéressera par la suite la propagande politicienne. Et c’est alors à
cette dernière que l’on doit l’instauration de ce «16 Avril» comme
journée du… savoir. Depuis quatre décennies, l’usage de cette date
continue à servir de moment d’affirmation tantôt religieuse et tantôt
identitaire selon l’air du temps. Un imaginable pot-pourri où chacun
puisait ses arguments alors que l’œuvre, de l’homme en question,
semblait cohérente. Autant dire que cette journée du 16 Avril a fini
par
desservir la cause de ce pourquoi elle fut instituée. En somme, elle
devint moins un repère pour la promotion de la culture qu’un
rendez-vous
des discordes. En effet, initialement placée sous le signe du «savoir»
quand la république avait encore des accents socialisants et presque
laïques, n’était-elle pas devenue par la suite la référence cardinale
d’un FLN convertit à un baâthisme local où le credo religieux
remplaçait
la laïcité originelle de ses fondateurs. Aujourd’hui encore,
l’héritage
de Benbadis continue à être l’objet de marchandages par le biais de la
rhétorique. Et ce n’est pas le pouvoir politique qui, dans ce domaine,
surenchérit le moins. Une incessante manipulation de l’éthique, qu’il
enseigna et diffusa, dont les lobbies politiques et religieux ne
cessent
de revendiquer alternativement la filiation exclusive. Or, que sait-on
de juste et d’exact sur le personnage, hormis les rares travaux
d’universitaires, d’ailleurs inaccessibles au grand public ? Peu de
choses ou tout au plus quelques fragments d’une vie et d’un sacerdoce
lamentablement enfouis sous le fatras des apologies de circonstance,
ou
au contraire, éreintés par la critique partiale. En somme, si le nom
de
Benbadis est présent dans la mémoire collective, son rôle, par contre,
demeure vaguement intelligible. Au mieux, il n’est cité qu’à partir de
quelques stéréotypes. Or, entre hagiographies et réquisitoires, il
existe surtout un juste éclairage pour mieux en parler afin que nul ne
se sente dépositaire d’une pensée dense qui, en son temps, est
parvenue
étonnamment à modifier les réflexes de sa société. En dépit de la
controverse sur le rôle et la place de l’Association des ouléma dont
il
fut le fondateur, le scrupule préalable de tout historien ne
consiste-t-il pas à s’écarter des procès par «anticipation » ? Disparu
en avril 1940, Benbadis doit-il être comptable et solidaire, à partir
de
l’Au-delà, des tergiversations de ses successeurs de 1954 ? A moins de
faire dans la fiction douteuse, il ne vient à l’esprit de n’importe
quel
chercheur avisé de lier ce destin abrégé à ceux qui lui ont succédé.
Dans ce domaine, le seul examen auquel doit être soumise son action
s’arrête à la fameuse date du 16 Avril 1940. Même si la seule
représentation qui nous est parvenue le décrit seulement comme un
imam,
l’on sait avec certitude qu’il fut autant actif et convaincant dans
son
combat contre le maraboutisme et les zaouïas que dans la modernisation
de l’enseignement. A son initiative, 200 médersas furent ouvertes à
travers le pays dans lesquelles les matières profanes étaient
enseignées
dans des classes où la mixité était tolérée jusqu’à l’âge de 12 ans !
Ce
qui dénote d’une indiscutable ouverture sur le monde propre aux
visionnaires sans tabous. L’autre aspect de sa vie est qu’il se révéla
sous les traits d’un redoutable publiciste à l’origine de la création
de
journaux engagés qui eurent pour titres El Bassaïret Echiheb. Homme de
religion certes, il exécrait, par contre, l’autisme des ermites
prostrés
dans la bigoterie. Impénitent quêteur de lumière, il y avait consacré
l’essentiel de son énergie. Alors que l’Algérie de Boumediene pensait
avoir convenablement saisi le message premier de son combat en plaçant
sous son patronage le savoir, celui-là éprouve de nos jours
d’insupportables difficultés à franchir les portes de nos écoles. De
nos
jours, Youm El Ilm n’est même plus la «leçon magistrale» qui s’adresse
à
ce blé en herbe dont les instituteurs ont la garde mais un martèlement
encore plus fort des poncifs de la religion. Plus qu’une parodie du
souvenir, c’est un détournement de son sens qui se commet. 70 ans
après,
Benbadis subit les mêmes foudres de la trahison. Qu’elles lui soient
jetées, comme un sort, par les clercs de l’enseignement ou par le
clergé
des mosquées, toutes atteignent les dernières lumières qu’il a
laissées
en legs. Et si donc rien ni personne ne vient parler de lui avec
intelligence, il reste à relire un fragment de l’ode magistrale que
Malek Haddad lui consacra. Ouvrons les guillemets…
- «… Il est entré chez lui, chez lui dans nos cœurs, chez lui dans ces
maisons aux portes basses, sous ces voûtes qui soutiennent une
espérance
incassable, sur ces places vivantes où le ciel devient clairière, dans
l’échoppe feutrée, dans l’école murmurante, au fond des ruelles, au
fond
des cours, au fond de la permanence rassurante de cette ville en vigie
sur la plaine (…). Il existe loin des gloires tapageuses et des
célébrations surfaites…»
B. H.
(1)
Un colloque national sera organisé par l’université islamique
Emir- Abdelkader de Constantine à partir du 15 avril sur le thème
«Méthodologie et exégèse chez l’imam Benbadis».
Boubakeur Hamidechi
hamidechiboubakeur@yahoo.fr
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/04/10/article.php?sid=98359&cid=8
10 avril 2010
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