1 Dimanche 28 octobre 2001
B.Z. Amin, « Haras de femmes » est un roman très riche, fortement marqué par la forme narrative du conte ; ses nombreuses références à la culture du Maghreb peuvent cependant dérouter un peu un lecteur non préparé. J’ai désiré te rencontrer parce que j’avais été attiré parune présentation de ton livre, lue quelque part ; elle m’avait suggéré qu’il peut être un bonpoint de départ pour réfléchir à deux questions qui m’intéressent particulièrement : la place et le rôle de la femme dans la société du Maghreb, et la question de la liberté individuelle dans cette société. Nous allons y revenir sans perdre de vue qu’il y a tellement d’autres choses dans ce livre qu’on ne peut le réduire à ça. Première question : qui es-tu, Amin Zaoui ? Je voudrais avoir quelques traces, quelques repères biographiques plus substantiels que ceux que j’ai trouvés dans la quatrième de couverture du livre.
A.Z. Je vais me présenter. Je suis un écrivain algérien, un écrivain bilingue ; j’écris des textes en français et en arabe. J’essaie de garder ce travail sur les deux langues parce que pour moi c’est une richesse d’imagination, c’est aussi une richesse d’images. Je veux ainsi rester en contact permanent avec les deux cultures. Je suis aussi professeur à l’Université d’Oran, professeur de traduction arabe-français-espagnol ; traduction arabe-français, français-arabe, espagnol-arabe et arabe-espagnol. En 1995, j’étais comme beaucoup inquiété, pour mes écrits. J’ai été alors accueilli en France par le Parlement international des écrivains qui, à l’époque, était présidé par Salman Rushdie. C’était une invitation pour une résidence de cinq ans. En 1994, juste avant ma sortie de l’Algérie, mon dernier roman avait été brûlé sur les places publiques en Algérie. Avant la publication de ce livre, en 1992, j’avais été visé par un attentat à la voiture piégée. J’avais une décision à prendre, très dure et en même temps très risquée. Après toutes ces souffrances, j’ai finalement décidé de répondre à cette invitation du Parlement des écrivains. Je me suis dit : « Je vais prendre un peu de recul pour réaliser quelques projets littéraires que j’ai commencés déjà à mûrir ici, en Algérie, et aussi pour méditer sur la situation en Algérie, méditer aussi sur ma situation personnelle ». Je suis arrivé en France en juillet 1995, j’étais professeur invité à l’Université de Paris VIII, pour quatre ans. Et puis, l’année dernière, en 2000, j’ai décidé de rentrer, de retourner dans mon Université d’Oran. J’ai renoué avec l’université algérienne, avec la ville algérienne, avec mon pays : l’Algérie, pour essayer une fois encore de faire démarrer si possible quelques cercles d’intellectuels, pour y faire un peu la promotion de l’esprit critique. J’ai publié en arabe deux romans : « Le hénissement du corps », qui a été interdit dans tout le monde arabe ; il a été publié en 1985. A la suite de cette publication, dans un pays du Moyen- Orient, une publication syro-libanaise, l’éditeur a été mis en prison pendant six mois et la maison d’édition a finalement dû fermer. Le deuxième roman, c’était « Le viril » , a suscité pas mal de polémiques en Algérie où je l’ai écrit. A la suite de cette publication, j’ai été menacé de retrait de mon passeport par le FLN, à l’époque parti unique. Le livre a été aussi interdit de publication en Algérie, chez l’ENAL. J’ai publié en France quatre romans, tous sortis chez « Le Serpent à Plumes ».Le premier « Le sommeil du mimosa », puis « La 2 soumission », le troisième « La razzia ». Le dernier c’est « Haras de femmes », que j’ai écrit en Algérie.
B.Z. Cette histoire ne m’étonne pas parce que, à la lecture, je me suis dit : Salman Rushdie n’a pas été l’objet d’une fatwa pour plus que ce qui est écrit là-dedans.
A.Z. Il y a une différence entre mon expérience et celle de Salman Rushdie qui est un très grand écrivain, c’est que moi je lis les textes, quand je veux écrire des choses sur l’Islam, directement en arabe, je ne passe pas par des traductions mais par des textes qui sont vraiment des références de cette religion. Par exemple, dans « Haras de femmes », je parle de la pierre sainte, la pierre noire, et ce que j’en dis est une histoire vraie ; pour en parler, je suis revenu sur l’histoire et j’ai lu que la pierre sainte, la pierre noire sainte depuis Abraham avait bien été volée de la Kaaba par des rebelles musulmans. Ils l’ont emportée jusqu’à Barhein, et elle est restée à Bahrein pendant vingt trois ans, et à cette époque le pèlerinage a été interdit par les rebelles. Pendant onze ans les musulmans n’ont pas fait de pèlerinage. Alors, j’ai pris cette histoire et j’ai dit : « Voilà, je vais un peu fabuler sur cette histoire, je vais faire un roman mais pas un roman historique sur ce qui s’est passé dans l’Islam. J’ai pris cette pierre et je me suis dit, d’ailleurs un autre historien l’a dit, que la pierre n’est pas partie à Bahrein mais vers la mer Rouge. J’ai adopté cette deuxième inteprétation et j’ai écrit que cette pierre est partie à travers la mer Rouge vers le pays des Touaregs, vers l’Afrique. Et autour de cette pierre j’ai travaillé le roman, j’ai inventé cette religion qui est la religion du vagin, les vaginocrates, etc. Pourquoi ce thème ? Pourquoi cette imagination à partir d’une chose, d’une histoire vraie ? Derrière cette fiction romanesque j’ai voulu dire qu’il faut désacraliser l’histoire, il faut lire l’histoire avec un oeil critique, il ne faut pas lire l’histoire, même celle de la religion avec un esprit religieux. Le roman essaie d’avancer ce que j’appelle la culture de la critique, l’esprit critique, vers des choses qui sont parfois religieuses, parfois accaparées comme sacrées par un pouvoir politique, un certain temps. Pour en revenir à ce parallélisme entre Salman Rushdie et moi, je dis que moi je pense, je suis dans cette civilisation arabo-musulmane, je ne lui suis pas trop étranger, c’est à dire je n’ai pas de rempart qui m’en sépare, je suis là et je la critique de l’intérieur. Je suis un Musulman athée mais je la critique de l’intérieur. Il est dommage que cette culture critique ne soit pas pas celle qui a régné dans notre histoire ; c’est elle plutôt qui a été, qui est, la culture marginale. La culture marginale c’est la culture forte dans l’histoire des Musulmans et cette culture a été toujours interdite.
B.Z. Que je me justifie un peu par rapport à ce que je disais tout à l’heure, pour qu’on se comprenne bien. Ma comparaison avec Salman Rushdie n’était pas dévalorisante à ton encontre. Je n’ai pas lu tout ce que tu as écrit mais ce livre-ci est très fort. Ce que tu viens de dire est très éclairant. Simplement, j’ignorais ton histoire, que tu viens de raconter ; je ne suis pas du tout étonné de ces tribulations dont tu as été victime. Ce que je voudrais savoir maintenant, c’est quelle a été ton éducation ? Le livre est dédié à ta mère « Mon premier maître », dis-tu. Quel a été le rôle de ta mère ? Et on peut mettre beaucoup de choses derrière ce mot mère » ; ce n’est pas un hasard si tu l’as mis. Quel a donc été le rôle de ta mère dans ton éducation ?
A.Z. Je vais te raconter mon histoire à ma mère (sic). Pour mon premier diplôme de sixième j’ai eu comme prix mon premier livre ; c’était « La chèvre de Monsieur Seguin » d’Alphonse Daudet. Ma mère était conteuse et chanteuse ; elle me chantait, elle me racontait des histoires, 3 c’était une berbère arabisée, elle chantait en arabe et en berbère, elle me racontait en berbère arabisé, et quand j’ai lu « La chèvre de Monsieur Seguin » -ma mère est analphabète- quand j’ai lu « La chèvre de Monsieur Seguin » je me suis dit : « Ma mère peut écrire mieux que ça ; il y a les ogresses, il y a les ogres, il y a le djeha, il y a des choses fantastiques dans ce que ma mère me raconte. Mais c’est quoi « La chèvre de Monsieur Seguin » ? » Alors, à ce moment-là, j’ai commencé à transcrire les contes de ma mère ; elle me racontait la nuit et le matin, j’avais douze ans-treize ans, le matin je transcrivais les histoires de ma mère. Quand j’ai commencé vraiment mon premier jet d’écriture, des nouvelles, j’avais toujours le sentiment que je prenais la parole à la place de ma mère. C’est à dire, en moi, c’est ma mère l’écrivain et ma mère n’est que la rivale d’Alphonse Daudet. C’est une voix qui me hante en permanence, lorsque j’écris. Tu as posé une question sur le style de l’écriture qui vient de l’oralité. Je crois que tous mes romans, même en arabe, sont des textes qui puisent dans la culture de l’oralité, dans le conte, dans la musique. J’aime bien écrire à haute voix, j’aime le théâtre mais j’aime écouter le texte ; quand je dis « C’était donc cela et ce qui devait arriver arriva », je dis ça à haute voix et je trouve que c’est ma mère qui est dans ma tête qui dit ça, dans une autre langue bien sûr, pas la langue française mais une langue qui est le berbère ou qui est l’arabe. La relation à ma mère, c’est une relation d’incarnation, elle est là, elle est en moi. Quand je l’ai perdue, j’ai senti que j’avais perdu une chose… je ne sais pas, une très grande chose, mais je la garde toujours. Ma mère était belle, très belle, je n’ai jamais gardé l’image de ma mère comme corps, mais plutôt comme une voix, et elle me hante jusqu’à présent. Parfois, je dors, et je l’entends en train de me parler. C’est un peu ça mon histoire avec ma mère.
B.Z. Tu as parlé de ta mère conteuse et de toi qui, à un moment, a commencé à transcrire ses contes. Dans « Haras de femmes », il est longuement question d’abeilles. Une amie conteuse de tradition bédouine des Hautes Plaines, Nora Aceval, me parlait d’un conte de loup, entre « La chèvre de Monsieur Seguin » et « Le petit Chaperon rouge ». Le loup mange les petits de la chèvre mais ceux-ci ressuscitent ; c’est une abeille qui les fait ressusciter parce que l’abeille est porteuse d’une plante qui donne la vie. Je retrouve donc là les éléments d’une culture d’oralité comme tu viens de le dire toi-même. La culture familiale, dont tu as hérité, cette culture familiale est une culture orale.
A.Z. Orale, oui. La culture forte c’est la culture orale. Maintenant, je vais te dire, mon père était un marchand de chevaux, et en même temps c’était un lecteur, un littérateur. Il avait une petite bibliothèque rayonnage, un petit plancher. Il y avait sur ce plancher les livres suivants, je m’en souviens très bien : le Coran, les Mille et une Nuits, la Bible en arabe, le Diwan d’Al Mutanabi, et il y avait quelques histoires des prophètes, Moussa, Jésus, Mohamed et d’autres. C’était la bibliothèque de mon père. Quand j’ai commencé à lire, je lisais dans Les Mille et une Nuits des histoires érotiques, je me suis dit : « Voilà, c’est notre culture », et maintenant où nous sommes dans une autre phase de fanatisme, je trouve que les Arabes et les Musulmans ont perdu de vue leur culture, les Omar Khayyam, les grands poètes de la vie, les grands écrivains de la vie…
B.Z. Tout à l’heure, tu disais avoir décidé de retourner en Algérie pour y aider à renouer avec l’esprit critique, avec l’esprit de libre examen. Y-a-t-il une chance que tu y sois entendu aujourd’hui ?
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A.Z. Tu sais, le problème de la civilisation arabo-musulmane, celui de la religion musulmane réside dans ce blocage de l’interprétation moderne ; depuis le douzième siècle, comme tu disais, ça a été interdit. Durant tous ces siècles, il a été interdit pour les Musulmans d’interpréter ou le Prophète ou ce qui entoure les textes sacrés. Le problème est un problème historique. Depuis le douzième siècle il n’y a pas eu une interprétation nouvelle, depuis ce temps-là il n’y a pas eu de lecture critique, depuis le douzième siècle l’étude est fermée et le sacré est lié au profane, c’est à dire qu’il n’y a pas de profane, il n’y a pas de laïcité, ce qui est grave dans le monde arabo-musulman. C’est à dire, la religion avance dans le politique et le politique avance dans la religion. Je crois que le problème des Musulmans c’est la fermeture de la porte de l’ichtdjihad. Les esprits libres sont toujours menacés ou interdits. Je cite par exemple l’Egyptien Hamed Nacer, qui a été condamné à divorcer d’avec sa femme. Ce sont beaucoup de choses qui arrivent dans cette société qui a fermé la porte de l’ichtdjihad. Nacer a été condamné à divorcer par le biais d’une loi islamique. C’est un chercheur qui a fait des travaux sur le problème du temps dans le Coran, il a essayé de dire qu’il y a des choses qui ne sont pas d’actualité maintenant et qu’on ne peut pas les retenir pour juger une situation économique ou politique de notre temps.
B.Z. Je veux revenir sur la question du rôle de la femme dans la société maghrébine. Une chose m’a frappé, ce n’est pas probablement pas non plus un hasard, c’est que la narratrice dans ce texte est une jeune fille. Or, Amin, toi tu es un homme. Ce ne doit pas être si fréquent dans la littérature maghrébine contemporaine qu’un homme fasse s’exprimer une jeune fille qui parle à la première personne. L’histoire de cette jeune fille et de sa famille est une histoire très complexe, dans laquelle elle entretient avec son oncle des rapports incestueux ; c’est l’oncle maternel, or l’oncle maternel est sacré. C’est le khali, le khali est sacré. Or, elle est amoureuse de son oncle et a des relations sexuelles avec lui Ce texte, c’est frappant, parle constamment de passions et de transgressions. Est-ce que ça correspond pour toi à une volonté de provoquer des réactions ? Il s’agit d’une réalité, je le sais : dans cette société très codifiée on rencontre constamment des passions et transgressions. C’est une société aux ressorts beaucoup plus complexes qu’on ne l’imagine grossièrement vue d’ici. Au fond, vises-tu à aider les gens à réfléchir sur le sort de la femme ? L’homme, dans cette société-là autant qu’ici, n’a-t-il pas son avenir dans la libération de la femme ? N’est-ce pas-là le rôle des pères, particulièrement ? Je pense à Germaine Tillion qui leur disait : « C’est à vous d’aider vos filles. »
A.Z. Tu sais, Bernard, je n’en étais pas très conscient, sur le plan de l’écriture, au moment de l’écriture, j’étais plus libre après quand je l’ai relu… J’ai présenté dans ce roman trois femmes. La première c’est la grand-mère, qui représente la première génération des femmes. Dans la scène avant de partir à La Mecque pour le pèlerinage, elle lave les pieds du grand père, c’est la génération des femmes soumises. La deuxième génération, c’est la mère, il y a là la transgression déjà des tabous, elle a des relations avec le grand-père, elle devient à la fin une guerrière, elle prend la tête d’une armée de 1200 femmes, une armée de cavalières. C’est la deuxième génération. La troisième, c’est la fille, Hager. La jeune fille, premièrement raconte, c’est elle qui témoigne, et elle témoigne sans frontières, elle témoigne, elle condamne et elle vit. C’est la troisème génération. Je suis le frère de six soeurs. Les six n’ont pas eu de scolarisation. En Hager, j’entends un peu les voix de mes six soeurs qui condamnent une situation pareille. Je sais que mes soeurs avaient leur vie privée, mais Hager est un personnage que je trouve très violent. Violent envers son oncle, envers son grand-père, sa mère, la jalousie avec la mère. J’ai donné la parole à la jeune fille, le roman est raconté par une fille, Hager. Pour le monde arabo-musulman, donner la parole à la femme c’est donner le pouvoir à la femme : quand la femme dit, le dire est le pouvoir. Je crois que « Haras de femmes » c’est 5 d’abord le pouvoir de la parole féminine. Hager est toujours fascinée par les hommes, pourquoi ? Non pas parce que ce sont des hommes mais plutôt parce que le père est un aventurier, le grand-père est un aventurier, elle n’aime pas les hommes elle aime plutôt l’aventure des hommes. Elle veut être elle aussi dans une aventure, se lancer dans une aventure, Et la seule fois où elle aime une femme c’est lorsqu’elle voit sa mère sur le dos d’un cheval ; alors elle a aimé la femme parce qu’elle a senti qu’à ce moment-là la femme aussi a le pouvoir de faire une aventure. C’est un texte aussi qui, par cette prise de la parole féminine, part à la recherche d’une aventure de la femme, c’està-dire casser cette grande prison que sont la famille, la tribu, la tradition et la mentalité masculine.
B.Z. A ce propos, ce roman, le trouve-t-on en Algérie ? Peut-il être lu en Algérie ? Je ne veux pas dire parce qu’il est interdit ou non mais des gens peuvent-ils le lire en Algérie et entrer en résonnance avec le texte ?
A.Z. Je vais te dire une chose pour la lecture en Algérie. Il y a deux lecteurs en Algérie : il y a le lecteur francophone, qui peut lire le texte, je ne veux pas dire tout le monde francophone, mais il y a un certain lectorat francophone qui peut lire ce texte. Il peut passer. Mais pour le lecteur arabophone c’est très difficile de lire ce texte, ou pour celui qui a une culture uniquement arabophone. Pourquoi ? Parce que malheureusement, la lecture du roman comme celle de la poésie, comme celle de la nouvelle, comme celle du théâtre, est une lecture toujours conditionnée par la religion. On n’a pas une lecture vraiment de la fiction, on a une lecture religieuse de la fiction. Et quand le lecteur lit un texte littéraire d’une façon religieuse il condamne toujours ce qui est de la fiction, ce qui est imaginaire. Avant que je vienne pour la promotion de ce livre, déjà les gens en parlaient à l’Université, il y a eu des articles dans tous les journaux algériens.
B.Z. Tu as eu des articles dans deux journaux arabophones algériens, comment le présententils ?
A.Z. Le rédacteur qui a écrit le premier article, c’est un grand article sur le côté de la société vu dans le livre, n’était pas d’accord sur ma présentation des choses. Il était réservé vis à vis de beaucoup de choses dans le livre. Par contre, il y a eu des articles très favorables, par exemple, Abdelkader Djeghloul a fait deux articles sur « Haras de femmes », très satisfaisants pour moi. B.Z. Amin, as-tu appris le français à l’école ? A.Z. Oui, à l’école, en Algérie.
B.Z. Tu as des relations avec l’Espagne aussi ?
A.Z. Oui. J’ai commencé l’apprentissage de l’espagnol en première année de sixième, au collège, et jusqu’à l’université. Puis j’ai fait des stages en Espagne.
B.Z. Maintenant, quelques mots d’un point de vue de lecteur ici en France ; je ne peux pas parler à la place des lecteur français, mais je suis un lecteur français. Je t’ai dit à quel point ce livre m’a semblé intéressant parce qu’on peut le lire et le relire à plusieurs niveaux de lecture, avec des découvertes à chaque fois. Cependant, quelque chose m’a par moments quelque peu accroché. Il y a une fascination réciproque entre les gens du Sud, de ce Sahara du roman, et 6 ceux du Nord qui y débarquent pour tourner un film. Mais je me demande si la civilisation occidentale n’est pas trop montrée à travers les 4 X 4 et le Coca Cola. Je crains simplement que ça ne corresponde à une vision peut-être établie, notamment en Algérie, de l’Occident ; c’est un peu dommage. Cela correspond-t-il à une réalité, ma crainte est-elle fondée ?
A.Z. Qu’ai-je voulu dire dans ce chapitre où les Américains débarquent dans le désert ? L’idée était pour moi la suivante : on n’a pas besoin d’une culture de consommation de l’Occident. Malheureusement, on le voit avec ce qui se passe maintenant ; les Américains prennent conscience qu’ils étaient à côté pour le monde arabo-musulman. Ce chapitre dit un peu ce qui est la réalité c’est à dire que les Américains arrivent uniquement pour la banque. C’est la banque qui parle ; c’est l’argent qui parle. Je ne suis pas contre l’Américain mais contre l’argent qui parle. Je parle trois ou quatre fois du dollar mais je ne parle pas de l’Américain, je ne parle pas du réalisateur parce qu’il est caché derrière le dollar. Il donne des dollars pour les gens, pour des figurants mais, malheureusement, et jusqu’à maintenant il n’y a pas de contact vraiment avec les gens. On a beaucoup perdu du côté de la France ; le pouvoir algérien est fait pour ça, pour bloquer ce rapport avec la France, mais l’autre côté ne s’investit pas suffisamment pour établir des rapports plus développés, malgré le pouvoir en place, à travers les canaux possibles -les centres culturels en Algérie, c’était magnifique mais malheureusement il n’y a pas assez d’investissements dans ce domaine. L’Algérien n’a pas besoin uniquement de produits de consommation, mais aussi de produits de réflexion, d’histoire…
B.Z. C’est clair. Ma crainte actuelle, simplement, c’est que plus je connais les sociétés du Maghreb et celles de l’Europe, la française (laissons-là les Américains) plus je constate la méconnaissance des deux côtés. Il y a des images toutes faites qui fonctionnent, mais des deux côtés. Là il y a quelque chose à dépassser.
A.Z. C’est vrai.
B.Z. Il est vrai aussi que autant les gens du sud, leur culture ne se réduisent pas à des démonstrations folkloriques comme celles mises en scène pour les besoins du film dans le roman, autant la culture française, ce qu’il y a de ce côté-ci de la Méditerranée ne se réduit pas non plus à du Coca Cola. Dans les deux sens il y a à approfondir une connaissance réciproque. Or ce livre là, et c’est son intérêt, n’est pas très facile et parce qu’il n’est pas très facile, il est susceptible d’aider à cette connaissance en profondeur par toutes les questions qu’il permet de soulever.
A.Z. Tu sais, en Algérie. nous voulons vivre dans le sud et dans le nord. Si nos amis les Américains viennent pour partager avec nous la vie et l’économie et la culture, comme les Français, alors partageons-les ensemble. C’est dur.
B.Z. Je pense que ce doit être plus difficile pour les Américains d’y arriver. Enfin, que veut dire Hager, le nom de la narratrice ?
A.Z. Hager c’est la voyageuse.
B.Z. Et Jazia, l’autre nom que lui a donné sa mère ? 7 A.Z. C’est un personnage dans les contes berbères, une jeune fille qui a eu les yeux du loup.
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9 avril 2010
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