A moins d’envisager la décimation de la population locale, et quel que soit le rapport de force, la logique des occupations militaires sans sortie politique crédible et rapide est celle de l’impasse. La détérioration de la situation en Afghanistan illustre de manière claire un principe éprouvé de la science politique moderne.
Ce pauvre pays, laboratoire de toutes les techniques de guerre asymétrique depuis l’arrivée des Britanniques dans cette région du monde au XIXe siècle, démontre, au fil de l’échec des stratégies occidentales successives, l’inanité des politiques de force.
Les récentes déclarations du président Karzaï – variation locale sur le thème bien connu du dictateur assis sur des baïonnettes étrangères – critiquant vertement les forces de l’OTAN et menaçant de rejoindre les talibans, en disent long sur la réalité du terrain.
Les Américains, qui dirigent les opérations, montrent un désarroi certain devant les gesticulations d’un homme qu’ils ont porté au pouvoir et pour qui leurs troupes se battent. Le manque de loyauté déploré par les stratèges s’explique pourtant par le constat lucide d’une radicalisation de la majorité de la population, ulcérée par les conditions de moins en moins acceptables de l’occupation militaire étrangère.
Le nationalisme, donnée structurante parfaitement identifiée du problème afghan, est alimenté par les bavures commises par des troupes qui ont souvent la sensation d’être encerclées par une population hostile. Dans un contexte de rejet grandissant des forces d’occupation, le président Karzaï, à moins d’accepter de passer pour une marionnette des Américains, ce qui signifierait sa mort politique irrémédiable, est obligé de manifester publiquement une distance critique crédible vis-à-vis de ses protecteurs.
La situation est d’autant plus embarrassante pour les Américains qu’ils sont obligés de soutenir et de composer avec un homme qui n’a pas grande audience et dont la réputation est entachée par des scandales de corruption dans lesquels sont impliqués sa famille et ses proches. De fait, les sorties antioccidentales de Hamid Karzaï suivent de peu les reproches qui lui ont été faits sur la lenteur des mesures d’assainissement préconisées par les superviseurs de l’OTAN et des Nations unies. Karzaï, qui vient d’être réélu pour un mandat de cinq ans, n’a pas de substitut convaincant.
Les Occidentaux démontrent encore une fois qu’ils sont en capacité militaire de renverser n’importe quel régime, mais qu’ils n’ont pas les moyens politiques d’en assurer le remplacement. Les supplétifs recrutés à grand renfort de prébendes n’ont en général que peu d’ancrage dans la réalité sociopolitique du pays. Il est clair que les talibans sont les bénéficiaires d’une approche qui exclut les voisins de l’Afghanistan, Chine, Iran et Inde, de toute solution politique et qui n’a d’autre perspective que l’extension du théâtre de la guerre au Pakistan.
Les talibans, qui ont recruté au-delà des sensibilités religieuses et qui montrent qu’ils ne sont pas seulement un groupe de fanatiques, se placent ainsi comme la seule force susceptible de stabiliser un pays dévasté. Leur élimination militaro-politique n’est pas à l’ordre du jour. A l’échec s’ajoute l’humiliation : les Américains sont surmanœuvrés par leur homme lige et les forces de l’OTAN traitées comme des troupes supplétives par un seigneur de la guerre qui leur doit sa carrière.
6 avril 2010
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