05 Avril 2010 – Page : 20
Contrairement à ses précédentes sorties, ce rendez-vous devenu incontournable dans le monde littéraire, qui ne s’arrête pas de s’élargir par ses remarquables prestations, a pu faire découvrir à ses accros, une romancière hors du commun.
En effet, simple, modeste et discrète, Fatima Bekhaï, méconnue pourtant du grand public a pu charmer les présents au théâtre régional Malek-Bouguermouh de Béjaïa le samedi, en l’espace d’un après-midi chic, lyrique et sympathique. Sa particularité est toute simple, raconte l’histoire en la romançant. «Si je ne suis pas connue c’est parce que j’ai refusé de tomber dans les rets des lobbys de Paris et de Beyrouth ou du Caire qui veulent imposer leur aval pour être connu et médiatisé si on écrit en français ou en arabe respectivement, et je ne regrette absolument rien d’avoir refusé leur offre et surtout je me plais bien comme ça», avait-elle répondu gentiment et joyeusement à une question d’un intervenant sur le pourquoi de la discrétion, la modestie, le besoin de juste raconter le vécu de nos ancêtres et l’histoire de notre terre tant mis de côté et cela avec tellement de romance et de fluidité qui semblent être le moteur stimulateur de cette grande écrivaine, Fatima Békhaï, qui fait son chemin de grande romancière doucement mais sûrement. Cette femme discrète, méconnue, pourtant si grande, profonde, qui a cette particularité d’être une Algérienne caractérisée. Aimante, cette écrivaine propose des mots de lumière, des mots repères pour dépoussiérer des jalons, corriger des écritures ou encore éclairer le lecteur sur de longues périodes mises sous le boisseau. Une femme valeureuse et compatissante, qui n’évacue ni grandeur ni décadence, ni doute ni croyance, tout est reconstruit à travers sa sensibilité de femme des mots. Invitée du Café littéraire de Béjaïa, Fatima Békhaï a su manier le verbe et les mots pour accrocher le nombreux public venu écouter le chemin parcouru par cet écrivaine, donner aux auditeurs des aperçus appétissants sur ses oeuvres, Elle ranime des périodes du grand pays des Imazighens, porte l’éclairage sur des fragments d’odyssées enterrés, donne consistance à des êtres mis au rebut parce qu’insoumis à l’ordre établi des arènes du mythe; le public était surpris et ravi. Ainsi, l’écrivaine oranaise s’intéresse à l’histoire berbère, avec son roman qui porte le titre Izuran qu’elle a organisé en trois tomes, Au pays des hommes libres, Fatima Békhaï remonte le cours de l’Histoire et révèle l’Algérien d’aujourd’hui à lui-même en le reliant, étape après étape au fil perdu des racines de ses origines les plus lointaines. Les Enfants d’Ayye, paru en 2008, est le second volume de la trilogie Izuran. L’inavouable, est le titre de son troisième volume qui paraîtra en octobre prochain. Sa plume réhabilite l’émotion dans ses dimensions simples, à l’échelle de l’homme du peuple. Fatima ne fait pas pour autant la révolution, ce n’est pas son rôle, elle ne se revendique d’aucune avant-garde, ne hisse aucun étendard excepté celui de la sincérité. Il n’y a pas d’effets spéciaux dans ses rappels de faits et ses métaphores, seulement elle ne s’embarrasse aucunement de faire du croc-en-jambe aux détenteurs de l’immobilisme. Elle opte franchement pour des expressions qu’elle jette frontalement à la figure des faussaires et de tous les porteurs de servitudes et s’exaspère par moments. Le va-et-vient dans le temps-espace insuffle au roman un rythme soutenu, soutenu mais pas tendu «Le livre n’est pas une thèse, ce n’est pas un pamphlet, c’est un voyage avec ses haltes vivifiantes, ses clins d’oeil complices, ses fantasmes déroutants et sa nostalgie enhardie,» dit elle. Animée du fort désir de contribuer à lire autrement les héritages partagés, Fatima est aussi auteure de plusieurs romans dont La Scaléra (escalier en espagnol) qui est un tableau de la vie du petit peuple d’Oran, toutes origines confondues, durant presque tout le XXe siècle, à travers l’histoire d’une femme. On y retrouve la saveur du vécu, très justement restituée. Les autres ouvrages sont, Dounia, la femme du caïd, aussi Un oued pour la mémoire «mon préféré dit-elle, la génitrice d’un oued pour la mémoire, adhère aussi bien à l’expression de l’apparent qu’aux complexités créées par le réel». En un mot, elle permet la fusion. Il y a le plaisir de suivre les péripéties d’une famille mais aussi l’aiguisement de l’intérêt autour de périodes peu connues de la longue marche de notre histoire. Ecouter cette femme simple, à la fois impressionnante reflétant une âme belle et profonde, laisse libre cours à ses impressions, s’exalte un peu, rappelle ses blessures dans les territoires de la mémoire confisquée. Son livre, fort bien documenté, oscillant entre histoire et fiction donne un sens à un foisonnement de signes locaux, des signes qui irriguent les héritages communs: âpres, tourmentés, enrichissants. Dans une heureuse construction organique, l’oeuvre littéraire mêle en mode créatif le témoignage du vécu et la conscience entravée, les dépossessions multiples et l’espérance, plus forte que tout, de relire autrement une saga gonflée de non-dits. En somme, Fatima Bekhaï montre qu’elle est également écrivaine militante car sa plume est, avant toute chose, inscrite dans la restauration des valeurs. Son initiative est heureuse parce qu’elle tombe à point, la ré-interrogation du passé dans ses parties lumières et ses intolérances, tout cela en traces conjuguées et non en traces confondues. Elle recrée l’histoire romancée pour écrire l’histoire, en style lisible, sans dogme et sans rancune. Un bon roman pour redécouvrir, autrement, notre histoire et nos transformations.
Mounir BENKACI
5 avril 2010
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