Le langage ciselé de la vie simple
Le printemps c’est aussi le retour de la poésie et ses mélancolies douces que les mots de terre, de feu et d’eau vont, le temps d’un texte, sculpter tant de petites scènes et autres chroniques d’existences allant de la monotonie à la tristesse, devenant parfois exultante
puis se refroidir devant la sinistrose de notre réel trop matérialiste. Le poète Abed Manceur est de cette graine, lui le conteur nomade entre asphalte et chemins escarpés, nous livre une oeuvre toujours en mouvement, cinglante comme la criée du vendeur de journaux où la phrase populaire d’un meddah, pareille à la rosée du matin annonçant l’éveil du jour et des «petits gens» préoccupés déjà par le couffin et la minuscule bourse. « Conteur » est l’intitulé de son prochain recueil dans lequel l’on retiendra de sublimes vers à travers lequel se distingue la langage ciselé de la vie simple. En voici un extrait : « Sur un banc/ une ombre sourit à un vent printanier/ il l’invite à danser mais elle ne peut bouger / il est encore midi / le ciel est aux aguets / sur un banc une ombre a peur de s’en aller au gré du vent / sur un banc une ombre meurt trahie par l’astre curieux / Voyageur insoucieux pour dire combien est sévère l’acte de poétiser quand soi se confronte à d’autres. Je suis poète de l’exil / du concerto / ils se délabrent se cachent se perdent dans l’obscurité de mon humeur / je voulais vous dire mais je n’y arrive pas… ». Voilà la poésie se nicher dans les calendes grecques pour subir la sentence d’être coupable de ne servir qu’émouvoir, et vite le conteur redouble de férocité. « Elle sera syndicalisée par la folie /elle sera du milieu.. » Dans un poème édifiant, il clamera son aura « Je contemple ma douleur/ Elle a perdu de son ardeur mais je sens sa voix / faire frémir mon coeur / dans le sanctuaire. » Au café, haut lieu des cénacles, Abed éparpillera de son regard de mouette des mots de vagues bleus dans un ciel bélabbésien toujours lunatique où viendront se dorer les écouteurs de vers, traversés d’une vraie amitié entre les pigeons et le passant pris d’une angoisse urbaine. Un autre extrait le soulignera : « Tel le conteur qui a perdu sa langue j’apprends à lire dans les yeux des faubourgs / La fourmi se «cigale » / L’envers est l’endroit / je prends alors mon armure et mon mouchoir / m’exile à l’envers / En attendant les nouvelles de l’endroit ». Le barde de ces cafés, l’homme du «tinté» l’entend bien ce poète nomade nous ramener de ces voyages homériques tant de récit aigre-doux, féerique, puis devenant dérision, il soufflera à nos oreilles ceci « Dans la grande cage qui ressemble à des mots/ Surtout ceux de la nuit / Et qui n’en finit pas de devenir une autre barrière / Un autre cauchemar». Mais le poète sait se redresser, demeurer debout, continuer son métier d’espérance, l’homme pieux, si plein d’humanité, il nous lèguera ce bref testament. «Ecoute, écoute cet enfant / Qui appelle Maman, ma canne / Et se murmure : il faut du temps pour connaître cette maison ». Le recueil s’il en est nous fait le tour de nous mêmes et provoque en notre for intérieur le plaisir de lire… Une publication est en cours, espérons sa parution…
*AHMED MEHAOUDI CORRESPONDANT DE LA VOIX
31 mars 2010
1.POESIE