Combien coûte une loi ?Kamel Daoud

C’est le matin, il faut le remplir. Avec quoi ? Même Tem mar ne le sait pas. Il a des projets pour 2014 et pas pour demain. D’ailleurs c’est le cas de presque tous: les ministres préfèrent avoir des chantiers pour 2014 car c’est loin, il y aura un autre président et les Algériens seront vieux, morts, amnésiques ou noyés dans la mer. L’autre idée de fin de semaine était celle de la loi. Une sorte de problème mathématique fascinant: la loi qui crée des lois. Explication:

les Algériens sont convaincus que leurs lois ne sont pas un consensus d’intérêts du peuple, des classes sociales ou des moyens de régulations communautaires et de gestion des violences, des sanctions et des cohabitations, mais un système d’enrichissement sournois. Explication encore une fois: pour s’enrichir, un homme très très fort et situé très haut dans l’Etat ou derrière le dos de l’Etat pense un matin: «Je veux plus d’argent !»; «Comment ?», l’interroge son épouse qui regarde l’aîné qui ne sait rien faire. Il regarde un code et a une idée. Par exemple importer en vrac des gilets fluo, des triangles de signalisation, des boîtes de pharmacie et des extincteurs puis les imposer avec un nouveau code de la route à chaque chauffeur algérien. Bien sûr, ce n’est pas vrai et cela a été démenti mais les gilets, les triangles et les extincteurs se sont vendus comme du pain ces dernières semaines à cause du code de la rumeur. Certains n’ont pas acheté ni mordu car, comme pour les évènements d’octobre 88, «ils savaient». D’autres ont dépensé. Pour les Algériens, quand le Régime manque d’argent de poche pour ses enfants, il n’impose pas des taxes et des impôts, mais crée des lois, car c’est plus rapide. Exagérant leur découverte, les Algériens ont même donné un nom de produit à chaque général d’armée : celui des pneus, des médicaments, du carrelage ou des tabliers roses et des tabliers bleus. Le général des Chinois reste cependant chinois. Bien sûr, l’explication est un peu simpliste et les inculpés sont coupables ou innocents, mais le mécanisme est un peu vrai: la fabrication de lois alimentaires est une réalité. Elle ressemble aux études de quelques bureaux d’études de projets et s’appuie sur la rumeur de l’obligation des contrôles techniques pour les voitures. Depuis l’histoire des bien vacants, les Algériens ont perdu confiance dans la justesse des lois. Ils n’y voient que le tracé de quelques caravanes alimentaires. Ils ont aussi perdu confiance dans les martyrs, les héros, les résultats des élections, les discours, l’ENTV, dans les femmes et dans les plaques de signalisation ou les enquêtes sur les meurtres politiques et les commissions d’enquête et les billets de 1.000 DA. En quoi les Algériens ont-ils confiance ? En leurs jambes: elles leurs servent depuis les Romains. Pour le reste, il y a la chaloupe ou le «faire semblant». Certains Algériens, lorsqu’ils sont pris en flagrant délit d’infraction au code de la route, font un geste: il baissent la vitre et tendent deux mains. Dans l’une un permis de conduire et, dans l’autre, trois billets de banque. Ils savent qu’il existe deux républiques. Et chacune a ses tarifs.