On le sait, le football rend souvent idiot. Il déchaîne les passions, offre une diversion idéale pour les dictatures et souffre ainsi de l’inconvénient de servir d’exutoire pour des foules dont le quotidien n’est guère reluisant quel que soit le pays dans lequel elles
vivent. La grande majorité des stades du monde connaissent la violence, certains de manière plus fréquente que d’autres. Longtemps, la Grande-Bretagne a été le paradis des hooligans et il a fallu l’épouvantable drame du Heysel en 1985 pour que les autorités de ce pays s’attaquent sérieusement au problème (ce qui n’empêche pas les supporters anglais de semer de temps à autre la panique dans les villes d’Europe). Aujourd’hui, c’est la France, et plus exactement la ville de Paris, qui réalise que le hooliganisme est dans la place comme le démontrent les incidents réguliers qui ont lieu autour des matchs du Paris Saint Germain. Il y a quelques jours, un supporteur de cette équipe est mort des suites de ses blessures. Il avait été passé à tabac à proximité du Parc des Princes, le stade de l’ouest parisien, avant le match PSG – Olympique de Marseille du 28 février dernier. L’événement a beaucoup été commenté, l’indignation a été générale mais rares sont les publications qui ont osé replacer le drame dans son contexte. Celui d’affrontements ethniques entre supporters de l’équipe parisienne. De quoi s’agit-il exactement ? La victime s’appelait Yann Lorence. C’était un supporter du PSG et il a été tué par des supporters de cette même équipe. Incompréhensible ? En apparence oui, sauf si l’on connaît la haine qui oppose depuis des années deux groupes de supporters parisiens. Les premiers appartiennent à la tribune Boulogne, c’est-à-dire le virage à la droite de la tribune présidentielle. C’est là où les premiers ultras du PSG se sont installés au début des années 1980, encouragés par un club qui se désespérait d’avoir des supporters. Très vite, le virage Boulogne a fait parler de lui. En mal. Saluts fascistes, présence de skinheads, chants racistes à l’encontre des joueurs noirs (y compris ceux du PSG), course à l’Arabe ou au Noir, agressions de supporters jugés trop bronzés, affrontements avec les CRS, saccages des roulottes de vendeurs de merguez aux abords du stade… En somme, un kop, ou tribune populaire, de plus en plus encombrant. C’est à ce virage «qu’appartenait» Yann Lorence. En face de la Tribune Boulogne, se trouve la tribune Auteuil. C’est là où s’installent les supporteurs du PSG venus, souvent, de la banlieue parisienne. Ils sont d’origine maghrébine, africaine ou antillaise. C’est la part « black – beur » des aficionados du PSG. Leurs associations sont moins anciennes que celle de Boulogne et, longtemps, ils ont eu à souffrir des agressions de leurs vis-àvis. En 2003, la tribune Auteuil déploie pourtant une banderole qui fera date. «L’avenir nous appartient », proclame-t-elle. Le message est clair. Les «black-beur», traités de «racailles» par ceux d’en face, signifient à ces derniers que le temps de leur suprématie dans les tribunes est terminé. S’ensuit depuis une véritable guerre d’usure, faite d’affrontements, de menaces réciproques, d’invectives et d’injures sur internet. C’est à cette tribune qu’appartiennent les présumés meurtriers de Yann Lorence. Ce qui se passe entre Auteuil et Boulogne, n’est ni plus ni moins qu’un affrontement entre «Blancs» et les «autres» et qu’importe qu’il soit le fait d’une minorité de personnes peu fréquentables, de voyous qui sont loin de représenter la population française et toutes ses composantes. Comme l’explique le journaliste Guy Sitruk dans son dernier article dans France Football : les expressions «nazis» et «racailles des cités » sont des «expressions caricaturales de ce que sont réellement les deux virages» (*). Il n’empêche. Cette dimension ethnique, celle justement qui rend mal à l’aise les commentateurs et qui fait que nombre de politiques préfèrent éluder le sujet, risque tôt ou tard d’aviver les polémiques concernant l’intégration – et l’immigration – en France. Ceux qui prédisent que la France va connaître un jour «une guerre civile» en raison du communautarisme vont y trouver des arguments sur le bien-fondé de leur thèse. Ce thème, explosif et politiquement incorrect, se retrouve d’une certaine manière dans le film « Le Prophète» de Jacques Audiard. Pour celles et ceux qui ne l’ont pas vu, il s’agit de l’itinéraire d’un jeune beur, qui de détenu paumé et faible va devenir un vrai caïd et imposer la domination de son clan, c’est-àdire les Arabes, à l’intérieur et à l’extérieur de la prison. En regardant cet excellent film, on ne peut s’empêcher de penser aux fictions américaines qui ont su si bien restituer les tensions communautaires qui ont existé aux Etats- Unis par le biais d’une scénarisation, parfois poussée à l’extrême, des affrontements entre diverses mafias (Italiens, Irlandais, Russes, Afroaméricains…). Et l’on peut se demander dans quelle mesure ce film ne fait pas écho à une interrogation qui plane sur la France et qui explique bien des propos et bien des positions à l’égard des ressortissants d’origine maghrébine ou africaine. La question est simple : ces Français encore particuliers par la force des choses, eux dont les parents rasaient les murs, vont-ils un jour se rebiffer, voire se radicaliser jusqu’à constituer un vrai pouvoir d’influence ? « Ayant pris trop de gifles sur la joue droite, nous avons décidé de ne plus tendre la joue gauche », a ainsi déclaré un supporter d’Auteuil au journaliste de France Football. C’est ce que fait aussi le personnage du film d’Audiard. Et dans les deux cas, le résultat se traduit par plus de violence. C’est d’autant plus dérangeant que le football comme le cinéma traduisent souvent les évolutions, et les craintes, les moins visibles, et les moins assumées, d’une société. (*) PSG, les tribunes de la haine, France Football, mardi 23 mars 2010
25 mars 2010
Contributions