«Il se défendit longtemps au bas d’une falaise et fut tué à la grenade. Pour lui, il reste à tuer la légende dont il était entouré.» Dépêche de l’AFP du 30 mars 1959 publiée deux jours après la mort au combat du colonel Amirouche.
La plume sensible et incisive de Nassira Belloula ( le Soir d’Algérie 14 mars 2010) a évoqué trois révolutionnaires qui témoignèrent sur la révolution algérienne. Le premier, Mohamed Mechati, fit partie, à 33 ans, du groupe des «21» qui résolut en juin 1954 d’allumer l’incendie du 1er Novembre 1954. Les deux autres, Abdelmadjid Azzi et moi-même, nés la même année, rejoignîmes la lutte armée en Wilaya III en 1956 et contribuâmes avec l’enthousiasme de nos 19 ans à alimenter et attiser le feu qui devait consumer «l’Algérie française». Dans mon témoignage, je n’ai pas hésité à franchir les lignes invisibles de démarcation auxquelles Mme Nassira Belloula a fait référence : j’ai prescrit de grands coups de pied au bas du dos de ceux qui ont séquestré les restes des corps des colonels Si El Houès et Si Amirouche durant plus de vingt ans, animés, comme l’AFP, par le désir de «tuer la légende dont (Si Amirouche) était entouré». Et j’ai articulé ma conviction — peu orthodoxe — que la guerre fratricide entre le FLN et le MNA aurait pu être évitée si le frère Mechati et ses compagnons du groupe «21» avaient différé l’insurrection de quelques mois afin de réunifier les rangs des nationalistes. Cette guerre dans la guerre, entre patriotes, qui bouleversa le jeune maquisard que je fus à l’époque, fut d’autant plus absurde qu’elle ne fut causée ni par des divergences idéologiques ni par un conflit de classes sociales. Elle dura 4 ans et fut marquée par le tristement célèbre massacre de Beni-Ilmane dit de Melouza ordonné par le colonel Mhammedi Saïd allias Si Nacer, le prédécesseur de Si Amirouche à la tête de la Wilaya III historique. L’action militaire du colonel Amirouche fut décisive dans l’élimination des maquis messalistes. Son action politique, révélant sa stature d’homme d’Etat, assura l’intégration quasi automatique dans l’ALN de tous les jeunes maquisards du MNA faits prisonniers. Pour diverses raisons, j’ai mis plus d’un demi-siècle pour écrire et publier mon témoignage. A en juger par les rappels à l’ordre intempestifs de quelques hommes politiques et protestation dans la presse ou dans «Facebook» contre certaines assertions de mon ouvrage, j’aurais été bien inspiré de surseoir durant encore cinquante ans à la publication de mon récit et laisser le soin à mes héritiers de le publier à titre posthume. Deux exemples suffiront à illustrer mon propos : une lettre bouleversante reçue du colonel Amirouche à Tunis, au moment où il s’apprêtait à rejoindre la Tunisie, et l’affaire de «l’Oiseau bleu». Avant de publier le contenu de cette lettre, j’étais parfaitement conscient que je risquais de soulever une tempête. Aussi ai-je sollicité le conseil de deux personnalités politiques dont un ancien chef de gouvernement, et d’un historien mondialement connu et respecté. Seul ce dernier a su utiliser l’argument qui emporta ma décision : «Ou tu témoignes ou tu fais de l’idéologie.» Mais aussitôt après la publication de mon ouvrage, un hebdomadaire évoqua la fameuse lettre mais sous un titre si scandaleux qu’il provoqua la furie d’un grand nombre de concitoyens et… la mienne propre. Sommée de s’expliquer, la journaliste qui commit le titre à sensation m’avoua avec une candeur désarmante que «c’était le seul moyen d’attirer l’attention des lecteurs», et que son rédacteur en chef «avait autorisé le titre pour les mêmes raisons ». L’affaire de «l’Oiseau bleu» est, à plus d’un égard, encore plus délicate puisque j’eus carrément droit, par voie de presse, à une interpellation, somme toute courtoise, d’une famille éminemment respectable. Sans doute parce que je n’ai fait que citer Yves Courrière, sans porter de jugement sur les protagonistes algériens du «complot», j’ai dérogé à la règle que j’ai adoptée à travers tout mon ouvrage de ne donner que les initiales des personnages peu recommandables ou dont le parcours est loin d’obtenir le consensus, et j’ai écrit qu’un membre de cette famille aurait été l’un des organisateurs des contre-maquis du côté des services secrets français et qu’il aurait été exécuté par l’Armée de libération nationale dès que les «faux» maquisards superbement armés par «Fafa» — la France — rejoignirent les vrais avec armes et bagages après avoir tendu deux embuscades meurtrières aux Chasseurs alpins de l’armée française. Le récit des maquisards n’est pas l’Histoire, avec un grand «H», discipline scientifique qui obéit à des règles académiques rigoureuses d’écriture. Il constitue, cependant, une source indispensable à l’histoire qui reconstitue, analyse et interprète l’événement dans toutes ses dimensions et prend la mesure des représentations tronquées ou erronées. La Révolution algérienne a besoin de la version de chacun de ses acteurs pour prendre une meilleure visibilité de ses erreurs et couper l’herbe sous les pieds à certains acteurs politiques qui, ne trouvant pas d’autre aliment à leur ambition de grandeur, s’emploient, faute de mieux, à ternir ou à soustraire de la conscience du peuple la mémoire de ses vrais héros. Mais la vérité n’a pas de versions. Même si le consensus sur celle-ci est encore bien difficile à obtenir, quarante-huit ans après l’indépendance, on peut d’ores et déjà cesser d’entretenir la confusion entre l’histoire et ses enjeux idéologiques.
Hamou Amirouche,
auteur de Akfadou : un an avec le colonel Amirouche
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/03/24/article.php?sid=97567&cid=16
24 mars 2010
Colonisation