Culture (Mardi 23 Mars 2010)
L’ESPACE NOUN ACCUEILLE LYONEL TROUILLOT, AUTEUR DE “YANVALOU POUR CHARLIE”
“J’écris des romans de la difficulté”
Par : Sara Kharfi
Il est aisé de se concentrer sur les choses inutiles, anodines et futiles de la vie. Il est encore plus facile d’oublier et d’ignorer son passé parce qu’on l’aurait décidé.
Plus la blessure est profonde, plus l’individu arrive à la cacher,
la voiler et mentir à son entourage. Fort, ambitieux, cynique et insatisfait, Mathurin D. Saint-Fort représente la réussite sociale. C’est un brillant avocat d’affaires qui transforme tout ce qu’il touche en or. Et pourtant, il n’est pas si blanc qu’il semble le prétendre. Il traîne un lourd passé, mais il a décidé d’enterrer sa mémoire.
Mais voilà que Charlie apparaît dans la vie de Mathurin et l’appelle par son deuxième prénom Dieutor. “Ce crétin de Charlie, dans sa quête d’avenir, m’imposait une mémoire”, écrit Lyonel Trouillot à la page 33 de son roman exquis Yanvalou pour Charlie (Actes Sud, 2009).
Violent et délibérément monstrueux, ce roman atroce croise deux parcours : celui de Charlie en quête d’un avenir et d’une vie digne et Dieutor qui a fui son passé, mais qui a fini par le rattraper. Yanvalou pour Charlie traite la question des origines, dans un style simple, accessible et très violent.
Une violence linguistique maquillée par du cynisme et de l’ironie pour dire la réalité sociale oppressante et les contradictions de la société haïtienne. Au cours d’une rencontre à l’espace Noun, avant-hier après-midi, Lyonel Trouillot a évoqué son rapport à l’écriture, qui est indissociable de la politique. “L’écrivain est un artisan qui montre des fragments du réel. L’écrivain haïtien a une responsabilité, et je n’écris pas pour Haïti, j’écris avec Haïti”, a-t-il affirmé. Et d’ajouter : “J’écris des romans de la difficulté.” Car, selon lui, la réalité sociale haïtienne est complexe, faites de contradictions, et l’écrivain a une responsabilité vis-à-vis de sa société. Lyonel Trouillot qui n’a pas la langue dans sa poche et qui ne mâche pas ses mots et “maux” a affirmé : “Je pense qu’on peut faire de la littérature avec la politique. D’ailleurs, on peut transformer n’importe quoi en littérature.” Dans une réflexion sur la littérature, l’auteur de Bicentenaire a révélé : “À partir du monde, je donne à lire une vision du monde. Sans que l’œuvre soit réductible à cela, parce qu’il y a le travail du langage.” Tout en estimant que réduire la littérature à la politique seulement est “une vision rétrograde et une idéologie de droite.” En effet, écrire est déjà un acte politique, car l’écrivain choisit de s’installer dans le réel ou de s’en extraire. Il y a toujours une idéologie et une vision du monde qui est détaillée et explicitée. En outre, Lyonel Trouillot a brièvement évoqué son dernier roman Yanvalou pour Charlie. “Yanvalou est une danse haïtienne. Et je l’ai choisie pour titrer ce roman, parce que j’aime bien la consonance ; parce que cette danse est un salut à la terre ; et parce que quand j’entends ce mot, je visualise les corps de femmes dansants”, a-t-il expliqué.
Rencontre littéraire avec Lyonel Trouillot, écrivain et intellectuel engagé haïtien, aujourd’hui à 17h au Centre culturel français d’Alger (entrée libre).
23 mars 2010
LITTERATURE