Chronique du jour : ICI MIEUX QUE LA-BAS
Galaxie de l’espoir
Par Arezki Metref
arezkimetref@free.fr
Ferrat. Un de ces porteurs d’espoir vient de disparaître. C’était Jean Ferrat. Le poète de l’amour et de la révolution, le potepoète. Il a tiré sa révérence devant un flot de reconnaissance et de gratitude, agréable surprise par les temps qui courent. Agréable car significative. Agréable parce que, après plus de 50 ans d’une carrière qui s’est déroulée contre, et malgré le capitalisme et ses totems, le show-biz,
la télévision omnipotente, qui l’ont effacé du paysage quotidien, Jean Ferrat a gardé la sympathie d’une majorité de ses concitoyens, y compris parmi les plus jeunes.
Significative aussi : certains pensaient avoir rendu l’époque imperméable à l’authenticité. Pour le descendre tout en tentant de le neutraliser, ce à quoi sa vie durant se seront affairés des journalistes et des animateurs télé, on agite à tout va, son compagnonnage avec le Parti communiste qui aurait fait de lui un stalinien. La mauvaise foi ne peut guère soulever de montagne. Il suffit d’écouter ses chansons «Camarade» ou «Le bilan» pour balayer ces procès d’intention à l’envers. Son attachement critique aux idéaux de justice sociale et à l’internationalisme allait sans doute de pair avec une fraîcheur dans les convictions. Fraîcheur admirable, surtout dans les années 1990 et 2000, période de déclin du communisme qui a vu la chute du mur de Berlin entraîner celle de poreuses certitudes. Jean Ferrat, poète et homme de conviction, aura accompagné, dans la construction de leur regard sur le monde, toute une génération de femmes et d’hommes éveillés à la musique, à la poésie mais aussi à la nécessité pour l’art de défendre les plus faibles. Il les aura bercés de sa voix chaude et pugnace, de ses mots, ou de ceux de Louis Aragon qu’il a mis en musique. Il nous aura bercés ! Nous avons apprécié la poésie d’Aragon à travers Jean Ferrat, au point où beaucoup de personnes de ma génération sont encore capables de chanter par cœur tous ces poèmes sublimes d’amour qu’Aragon dédia à Elsa Triolet, popularisés grâce à lui. Mais Jean Ferrat, artiste engagé, n’hésitait pas à exprimer ses divergences, même à l’encontre de ceux qui furent proches de lui. C’est ainsi que, lorsque Léo Ferré reprenant ce texte d’Aragon, confia : «Je chante pour passer le temps», Jean Ferrat répondit par un tonique et intransigeant «Je ne chante pas pour passer le temps.» On aura écrit partout la subtile alliance, dans la musique de Ferrat, de la poésie du quotidien et des grands élans épiques en vue de transformer le destin des peuples. C’est de cette rencontre que surgit l’étincelle qui fait la magie de Ferrat. Celui qui chante «Potemkine», du nom du cuirassé dont la mutinerie des marins dans le port d’Odessa en 1905 préfigura la Révolution d’Octobre 1917 (en 1925 Eisenstein en fera un film considéré, par un jury de 117 critiques de tous les pays réunis à Bruxelles en 1958, comme le «meilleur film de tous les temps»), chante aussi «On ne voit pas le temps passer», chanson originale écrite pour le film La vieille femme indigne de René Allio. Ode à la femme qui subit les outrages des jours sans les voir s’effeuiller. Khadda. Le 14 mars dernier, Mohamed Khadda aurait eu 80 ans. Né en 1930 à Mostaganem, il est décédé le 4 mai 1991 à Alger. Najet, sa compagne, organise une exposition de ses œuvres à l’Ecole des Beaux-Arts d’Alger. Ancien imprimeur, c’est par la reliure de livres anciens qu’il commence la traversée qui le fera accoster sur les rivages de la peinture. Khadda est un mélange d’instinct de migrateur et de sédentarité sécularisée. Maître du signe, il le traquera de son paisible souffle d’artiste attaché à la profondeur des significations, le travaillera, l’expliquera, l’explicitera, le renouvellera. C’est ce qui donne à sa peinture cette allure si particulière. Khadda, c’est d’abord une teinte, celle du sable, de la terre, de l’éternité végétale, de la durée minérale. C’est aussi une forme, noueuse, tronc parcheminé tavelé de la patine du temps, l’ancienneté du signe. Cette forme noueuse le conduira à une esthétisation de l’olivier, autant dire à l’entremêlement, dans la paradoxale fugacité du palimpseste, du signe et de la lettre et, par ricochet, des temporalités. Ce qui fera écrire à Mohamed Dib en 1994 qu’«il fut, dirais-je, plutôt un géomancien, celui qui lit les signes dans le sable et qui, surtout, commence par les y tracer.(…) Mais ni passé, ni présent, ni avenir : dans les toiles, les dessins de Khadda, se donne à lire ce qui, éternel, confond en lui passé, présent et avenir». Khadda, c’était un porteur d’espoir. Comme Ferrat. Il faisait partie de ces gens qui avaient l’optimisme aussi chevillé au cœur que l’étaient la beauté et l’art. Son combat en faveur des plus défavorisés, il ne le dissimulait pas. Je me souviens d’une émission radio que j’ai eu le plaisir de faire avec lui. C’était sur la Chaîne III, fin 1989. L’animatrice de cette émission du matin qui invitait des artistes lui faisait subir le questionnaire de Proust. Votre arbre préféré ? L’olivier… Arrivé à : Votre parti préféré ? Mohamed répondit : le PAGS. La jeune femme fut vraiment embarrassée par cette réponse. Les partis venaient certes d’être reconnus, mais il subsistait encore des tabous, et des préjugés. Comme Ferrat, Khadda fait partie de la galaxie de l’espoir. Les pires plongées des rêves dans les enfers ne parviendront pas à faire pâlir ces noms qui, avec d’autres, beaucoup d’autres, restent comme des symboles de vérité, dans un monde emballé de papier kraft qui se déchire d’être trop serré.
A. M.
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/03/21/article.php?sid=97406&cid=8
21 mars 2010
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