Dans un village, une maison de jeunes. Elle ne contient rien. C’est-à-dire elle contient un gardien, des instruments de musique qui datent de Chadli, de vieux micros et une sorte d’écho des enthousiasmes d’antan. C’est tout ce qu’il y a dans le village pour contourner le village, mis à part le démo, le café de quartier, la vente de motocyclette Guelma et le GPS sur les voisines et les étrangers. On peut ajouter à la liste la Mosquée, mais là, on n’est plus jeune : la prière n’a pas d’âge. Si à l’époque des splendeurs la jeunesse, la Foutouwa était une valeur de l’Islam, aujourd’hui, la religion est une religion de vieux qui attendent le bus de Dieu et la jeunesse est presque une maladie de peau.
Revenons donc au sujet : c’est quoi une «maison de jeunes» ? C’est ce qui persiste encore du socialisme, mis à part le Président de la RADP. L’équation est simple : à l’époque où Boumediene avait 35 ans et Bouteflika 27 ans, les jeunes avaient droit à des maisons de jeunes dans le cadre de la politique globale des forces vives. Aujourd’hui Bouteflika a 134 ans et Boumediene en a deux siècle : les vieux ont droit à un Etat et les jeunes ont droit à une maison, la même. Plus sérieusement, il faut le dire : il n’y a pas plus sinistre que les maisons de jeunes en Algérie. On y retrouve parfois le triptyque du suicide collectif : du vide, une conception fonctionnaire de l’amusement, dite culture nationale authentique, pas de loisirs et le pire cadavre de la politique de l’authenticité des années 70-80. C’est-à-dire le folklore, quelques artisanats et des lassitudes ambulantes. Malgré tout ce qui peut se faire et tous les budgets possibles, les «maisons de jeunes» ont ceci comme défaut fondamental : on ne s’y amuse pas, on n’y retrouve pas la joie, l’agressivité, le duel et l’hormone qui font qu’un jeune est jeune et pas seulement une sorte de vieux qui attend de vieillir.
En clair, le pouvoir en Algérie n’a plus de politique pour les jeunes depuis des décennies. Il a vieilli au point de ne voir que deux espèces d’Algériens : les enfants et les vieux. Tout ce qui n’est pas vieux est encore sans dents de lait. Être jeune en Algérie sonne comme une sorte de synonymes aux mots «irresponsabilité», menace, violence. On traitera donc cette frange par le bromure, Alhane oua Chabab et des programmes d’insertion dans le système des Vieux qui Possèdent. L’économie en Algérie est dite de «marché» mais la conception des jeunes est encore socialiste, de masse, d’appareils et de chants. Que veut un «jeune» en Algérie ? D’abord être vraiment jeune. C’est à dire choisir son âge selon les heures et les envies et non pas le subir par écoulement. A la place, l’Etat des vieux le traite comme on traite une femme au foyer devenue malheureuse : quand elle demande à découvrir le monde, on l’emmène chez ses parents, quand elle veut une seconde vie, on lui offre un bijoux ou un enfant, quand elle demande qu’est-ce que le monde, on l’autorise à aller au hammam, quand elle se pose de grandes questions d’existence, on lui achète une robe.
L’approche mécaniste a même prévalu quand il fallait répondre au phénomène de la Harga : on a offert des locaux commerciaux là où les trois quarts du pays demandaient un espace de vie et des Loisirs vivants pas des festivals mal sonorisés. D’où cette autre conséquence nationale: le salut d’un jeune Algérien est dans son vieillissement. C’est à l’âge où il ne plus rien faire parce qu’il est vieux, qu’un jeune peut ne rien faire sans se sentir malheureux. Car puisqu’on n’a pas pu faire rajeunir le pouvoir, on a fait vieillir le peuple des jeunes. C’est ce que les immigrés clandestins fuient avant toute chose : l’obligation nationale de se comporter comme des vieux. Sans libido, ni excès, ni verdure, ni joie, ni dépassement. Seulement l’eau froide des ablutions et les fatwas molles du renoncement. D’où le spectacle affreux des maisons de jeunes dans les villes et les villages algériens. Ce sont des maisons de retraite vides offertes aux jeunes dans un système de vieux qui n’en finissent jamais de vieillir sans partir. Les jeunes y ont droit à des déambulations sans buts et à des souvenirs qui ne sont pas les leurs.
20 mars 2010
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