« Rite » Le taureau Bou’rif. On ne connaît plus l’origine de ce mot qui a des consonances arabes. mais ce qui est certain, c’est que cette pratique qui nous vient de la nuit des temps, est d’origine berbère.
C’est une survivance de pratiques ancestrales dont il semblerait même qu’un rite similaire se pratiquait dans l’antique Carthage, dont les us et coutumes ainsi que la langue présentent beaucoup de similitudes avec le vieux fond berbère.
Thor Bou’rif est une cérémonie rituelle qui remonte aux temps immémoriaux, lorsque les anciens pratiquaient des cultes animistes, c’est-à-dire bien avant qu’ils n’embrassent la religion chrétienne puis musulmane en Afrique du Nord. Donc, au bas mot, plus de 2 000 ans.
Ce rite, diversement pratiqué ici et là au Maghreb, jusque dans les années 1960, continue d’être épisodiquement célébré dans la région de Oum El-Adhaïm, près de l’antique Madaure (M’daourouch et Oum El Adhaïm) et d’Arris, dans les Aurès. Récemment, un notable d’Oum El Adhaïm a été sollicité par les siens pour faire revivre cet événement d’une mémoire collective. C’est ce monsieur qui nous a aimablement entretenu de ce rite millénaire.
Lorsque chez un agriculteur cossu, une vache vêlait et qu’elle mettait bas un veau noir, celui-ci était aussitôt voué à Sidi Bou’rif et consacré au sacrifice rituel.
Dès lors, le jeune veau devenait la propriété de toute la communauté et jouissait de la considération et de la sollicitude générale. Dès qu’il était sevré, le jeune veau pouvait aller où il voulait et paître à l’endroit qu’il lui convenait, sans contrainte aucune. Il ne viendrait à l’idée de personne de le chasser de son champ ou de son pâturage même s’il saccage les plants. Les enfants vont même lui porter des carottes et des gâteries de toutes sortes.
Menant ainsi une vie presque sauvage et paissant à volonté, le veau devient rapidement un jeune taureau plein de force et de vitalité, à la limite de l’agressivité. Aussi lui arrive-t-il parfois de charger un enfant qui l’approche de trop près.
Mais quelles qu’en soient les conséquences, il n’est tenu aucune rigueur au jeune «fauve».
Et c’est ainsi qu’entre une nourriture abondante et un repos total, notre bel animal devient un robuste taureau dont la robe noire luit de santé et d’énergie.
Lorsque le jour fatidique approche, en plein printemps, des vautours jusque-là étrangers à la contrée, commencent à faire leur apparition, tournoyant au-dessus de la colline qui fera office d’autel.
Les femmes commencent alors à préparer leurs plus belles robes et à rouler le couscous. Dans une convivialité et une frénésie spontanées, des chants berbères sacrés montent au ciel. On raconte que lorsque le jour fatidique arrive, le taureau se met de lui-même en marche, grimpe la colline, se couche et offre sa gorge au sacrificateur.
Les vautours réapparaissent et se posent à proximité. En présence de toute la communauté, dans une véritable liesse, le taureau est immolé au son des youyous et des bendirs.
Des centaines de bougies sont allumées et l’encens embaume l’air. La bête est dépecée, ses viscères sont offerts aux vautours et sa chair est apprêtée au couscous, pour un festin collectif qui va durer jusqu’à une heure avancée de la nuit.
Ce rite est l’occasion pour toute la communauté de se réconcilier, d’invoquer la bénédiction de Bou’rif, de nouer des alliances et de communier dans une ambiance de joie et de fraternité. C’est aussi la volonté toujours vivace de garder vivante la mémoire ancestrale.
M. M.
19 mars 2010
Non classé