Histoires vraies
Les bourgeois de Cologne (4e partie et fin)
Résumé de la 3e partie : Georges a peur de la réaction de ses parents à la vue d’Anna, une servante et de surcroît enceinte, mais que leur fils veut épouser. Il décide donc de s’en débarrasser…
Puis Georges Kholer est retourné à Cologne, toujours à une vitesse folle, et a jeté dans le Rhin tout ce qui pourrait le compromettre, le sac à main et les papiers d’Anna, même l’élastique. Il a fait laver la voiture dans une station-service, essuyé lui-même le tableau de bord, le volant et l’intérieur des portières, puis il est arrivé chez ses parents, sa veste sur l’épaule, l’air d’un bon garçon bien gentil et bien obéissant, venu pour une semaine de vacances.
Six jours plus tard, le corps d’Anna était identifié, sa liaison avec Georges révélée et il passait aux aveux sans réticence, avec une sorte de soulagement, réclamant le rétablissement de la peine de mort «pour que sa tête soit la première à tomber».
«J’ai voulu mourir aussi, je n’en ai pas eu le cran ! Et j’ai tué le seuI être que j’aimais !»
Ces déclarations emphatiques furent faites au moment de l’inculpation. Mais au tribunal, Georges se bat pour éviter la réclusion à vie. Sa famille a proposé aux parents d’Anna une somme de vingt-cinq mille marks s’ils ne se portaient pas partie civile.
Les deux avocats de Georges développent la théorie selon laquelle le garçon n’aurait pas tué s’il n’avait pas craint autant son père. Ils rappellent que ce père avait déjà menacé de déshériter son fils lors d’une première liaison avec une «petite» secrétaire. On met en valeur un détail (important, paraît-il). Les relations commerciales entre les deux maîtres du houblon auraient été affectées par le scandale d’une liaison ou d’un mariage avec Anna ! Et Georges le savait. Son père aurait rompu avec Ader Krantz une association qui bénéficiait aux deux sociétés.
Enfin, le père déclara lui-même à la barre :
«Je suis responsable, mon fils me craignait trop. Il me craint depuis toujours. Il a accumulé les complexes d’infériorité. Il a tué à cause de moi.»
La famille d’Anna, simple et modeste, a retiré sa plainte devant le chagrin de la famille de Georges. Ils ont entendu sans frémir que leur fille avait peut-être eu l’intention de «mettre le grappin sur un héritier en le mettant devant un « bébé accompli »».
Anna, petite bonne bien sage, au sourire plein de charme et de gentillesse, n’avait en fait pas grand monde pour la défendre, à part le procureur.
Quant au bébé de six mois, il fut dit que l’on aurait pu le sauver par césarienne si l’assassin, pris de remords, avait transporté la mère à l’hôpital aussitôt après le crime.
Mais il y avait ce soi-disant brouillard rouge, guère de remords, et, à travers la mère, n’était-ce pas surtout le bébé que Georges supprimait ? C’est quelque chose de grave que d’avoir un enfant, d’important qui donne des responsabilités, qui oblige les pères et mères à devenir adultes. Cela fait plus peur qu’un père, un bébé ! Les psychiatres amenés par la défense eurent tout loisir de broder sur la question du bébé…
Le crime paraît bien facile et l’art de la justice est si difficile…
Et Georges Kholer a vécu quinze ans de réclusion criminelle entre 1961 et 1976. Il a retrouvé la liberté à quarante ans.
D’après Pierre Bellemare
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29 avril 2010 à 23 11 00 04004
Ainsi va la vie
Le démon de midi (5e partie)
Par K. Yerbi
Résumé de la 4e partie n Yamina, clouée sur un fauteuil après une chute, est une femme jalouse. Elle soupçonne son mari, directeur d’une compagnie, d’avoir une maîtresse.
A ce moment précis, un bruit de moteur se fait entendre, puis le grincement d’un portail qu’on ouvre. Sabrina se lève.
— C’est papa qui arrive.
Yamina regarde l’horloge, accrochée au mur.
— tu as vu l’heure ?
— il n’est que vingt-heures !
— d’habitude, il arrive à dix-huit heures !
— puisqu’il t’a avertie qu’il rentrera tard !
Elle hausse les épaules.
— voyons, voyons…
Sabrina se fait suppliante.
— S’il te plaît, maman, il doit être fatigué, alors ne lui fait pas de remarques désobligeantes ! Vous allez encore vous quereller !
Yamina prend un air outré.
— Ne t’inquiète pas, je ne lui dirai rien.
Elle se tait un moment, puis reprend :
— Mais le jour où il annoncera qu’il prend une seconde épouse, plus jeune et surtout plus valide, il ne faut pas s’étonner ! en tout cas, je vous aurai tous avertis !
— Tais-toi ! dit Sabrina.
Mohammed arrive peu après. Il va vers sa femme et effleure son front de ses lèvres.
— Alors, ça va ?
— Oui, répond Yamina, ça va !
Il embrasse Sabrina sur les deux joues.
— Et les autres ? demande-t-il.
— Les filles sont à la cuisine et Amine est dehors !
— Comme d’habitude, dit Mohammed. Ce garçon oublie qu’il a le bac à passer dans quelques mois !
— Il faut bien qu’il souffle de temps à autre, dit Yamina.
Elle fronce les sourcils.
— C’est ça, défends-le !
— Si je ne le défends pas qui donc le défendra ?
Sabrina se dit que les querelles commencent toujours par ce genre de remarques. Elle veut donc changer de conversation.
— Et toi, papa, il y a du nouveau au travail.
— Non, dit Mohammed, ou plutôt si : j’ai une nouvelle secrétaire !
— Ah bon ? dit Yamina. Je suppose qu’elle est jeune et jolie…
Mohammed, surpris par la «supposition» regarde sa fille. Sabrina détourne les yeux.
— Je vais aider les filles à la cuisine !
— Et moi je vais prendre une douche, dit Mohammed. Cela va me détendre ! (à suivre…)
K.Y.
29 avril 2010 à 23 11 08 04084
Ainsi va la vie
Le démon de midi (4e partie)
Par K. Yerbi
Résumé de la 3e partie n La secrétaire, qui remplace l’ancienne qui a démissionné, est plutôt très jolie. Le directeur lui donne immédiatement du courrier à saisir.
Yamina a poussé son fauteuil jusqu’à la fenêtre et guette, depuis un long moment, l’arrivée de son mari. Si le garçon, Amine, est dehors avec ses copains, les trois filles Sabrina, Linda et Nadia sont rentrées. Elles s’occupent du ménage et du souper. Yamina a en effet refusé le recrutement d’une bonne : drapée dans sa fierté, elle répète à qui veut l’entendre qu’elle n’est pas finie et qu’elle est encore capable de s’occuper de son foyer, fauteuil roulant ou pas. Et puis, c’est une femme jalouse qui ne peut concevoir la présence d’une autre femme à la maison ! C’est à peine si elle accepte qu’une femme – plutôt âgée et peu attirante – vienne faire, une fois par semaine, le grand ménage.
Sabrina entre dans la chambre.
— Maman, tu attends toujours papa ?
— Oui, et comme d’habitude il est en retard !
— Il t’a pourtant dit ce matin en partant qu’il rentrerait tard… Il a beaucoup de travail ces jours-ci !
Yamina sourit ironiquement.
— Tu le crois toi ?
— Bien sûr !
Nouveau sourire ironique
— Qui me dit qu’il s’agit de travail ?
Sabrina fronce les sourcils.
— Que veux-tu dire ?
— Tu sais bien ce que je veux dire !
— Maman…
Yamina change de ton. Elle devient très dure.
— Ton père est entouré de belles et jeunes secrétaires…
— Maman ! s’exclame Sabrina, scandalisée, que vas-tu penser là !
Yamina continue.
— ton père a certainement une maîtresse !
— tu n’as pas le droit de dire ça !
— ma pauvre fille, tu es aveugle !
Sabrina secoue la tête.
— non, c’est faux !
— ma pauvre fille, ton père est encore jeune et c’est un bel homme… Les femmes ne manqueront pas de lui tourner autour… Et puis, je sais que c’est un homme qui aime beaucoup les femmes.
— c’est toi qu’il aime !
Elle soupire.
— c’était vraie quand j’étais encore debout !
— ce n’est pas vrai, il t’aime toujours !
Elle soupire.
— espérons-le, mais moi, vois-tu, j’en doute. (à suivre…)
K.Y.
29 avril 2010 à 23 11 09 04094
Histoires vraies
Le corbeau du Romain (2e partie)
Résumé de la 1re partie n Alors qu’une bataille se prépare contre les Gaulois, Valerius – qui ne craint pas le ridicule – recueille un corbeau blessé et le soigne…
On sait que demain aura lieu un affrontement entre les Romains et des Gaulois qui attendent sur le haut des collines. Réunis autour de gigantesques feux de camp, ils s’apprêtent au combat en soufflant dans des cornes de bœuf et en rythmant leur attente par un furieux concert de tambours et d’épées entrechoquées.
La légion romaine, sagement installée dans son camp retranché, semble parfaitement indifférente à tout ce raffut. Mais au fond chacun se demande si demain il n’aura pas, par hasard, franchi la frontière inconnue et rejoint le royaume de Pluton. Avec ces diables de barbares gaulois, on devra en découdre et plus d’un Romain finira là sa jeune vie.
C’est alors qu’un son de trompe parvient du poste de garde au nord du camp. Déjà, une silhouette insolite pénètre au centre du cercle de lumière qui marque le milieu du village de toile retranché des Romains. Il s’agit d’un Gaulois. Un géant gaulois presque nu. Sa barbe blonde et ses yeux bleus, les tatouages qui marquent son visage sont autant d’éléments destinés à effrayer l’ennemi. Sa large poitrine est barrée par deux baudriers de cuir qui soutiennent deux épées courtes. Dans la main droite le géant blond porte une hache de bronze de taille impressionnante. Au bras gauche il brandit un large bouclier hexagonal de cuir clouté de bronze. Le Gaulois, sûr de lui, s’avance vers le centurion qui porte le casque le plus empanaché. Il salue en brandissant sa hache et prend la parole. Son latin est un peu hésitant et son accent est plus que rocailleux, mais entre mots et gestes éloquents, il se fait comprendre
— Demain grande bataille. Frères gaulois ne craignent pas d’aller rejoindre les dieux. Vous, Romains, nombreux soldats morts. Très mauvais. Si vous voulez éviter massacre, je propose bataille, moi tout seul contre le plus courageux des Romains.
L’étonnement des Romains est complet. Etonnement et perplexité : un combat singulier au lieu d’une bataille. D’un côté l’économie en vies humaines serait importante, d’un autre côté un combat singulier contre un tel géant, une telle masse de muscles demanderait un champion particulièrement athlétique. Ah ! si la légion avait songé à s’adjoindre quelques-uns des gladiateurs professionnels qui soulèvent l’enthousiasme des foules romaines ! Un de ces barbares dont la vie compte aussi peu que celle d’un lion, d’un ours ou d’un taureau. Un Gaulois peut-être ! Et même un des frères du géant moustachu aux longs cheveux couleur de lin…
Les centurions ricanent, mais devant la taille gigantesque du Gaulois, personne ne se propose pour relever le défi. En tant que tribun, c’est Valerius qui doit prendre la décision. Son regard parcourt le groupe des centurions. C’est parmi eux qu’il devra choisir le champion. Le chef du camp réfléchit. Inutile de songer à désigner un des soldats de la piétaille. Valerius se décide. Il lève la main droite en direction du Gaulois et annonce :
— J’accepte ta proposition. Viens demain affronter notre champion. Salut à toi, salut à tes frères, salut à tes dieux.
Le soir, autour du feu de camp, on discute de la proposition. Qui Valerius va-t-il désigner ? Va-t-il persuader quelqu’un de se porter volontaire ? Quelle gloire pour celui qui affrontera le géant gaulois en cas de victoire ! Un coup à défiler à Rome couronné de lauriers jusqu’au Capitole. Un coup à être porté aux honneurs suprêmes, à devenir un demi-dieu vivant… En cas de défaite le champion romain pourra simplement espérer un bûcher funéraire et une harangue posthume et hypocrite. (à suivre…)
Pierre Bellemare
29 avril 2010 à 23 11 11 04114
Ainsi va la vie
Le démon de midi (3e partie)
Par K. Yerbi
Résumé de la 2e partie n La femme de Mohammed, paralysée des membres inférieurs, lui mène la vie dure. Elle lui reproche de la négliger.
On frappe à la porte du bureau.
— Entrez, dit Mohammed.
C’est la secrétaire. Elle a fini de saisir les textes qu’il lui a donnés. Il y jette un coup d’œil et hoche la tête.
— Bien… Apparemment, il n’y a pas de fautes.
Il la regarde, elle sourit.
— C’est vrai, il n’y a pas de fautes…
Et il fait cette réflexion.
— L’ancienne secrétaire, elle, faisait des fautes !
Il la regarde encore et rit.
— Des fautes énormes, qu’un élève de sixième ne ferait pas !
Elle rit.
— ça vous fait rire, mais je vous assure que c’est la vérité… Et pourtant, cette femme est ancienne dans le métier !
Il la regarde.
— vous, vous paraissez bien jeune…
— j’ai travaillé dans une maison d’édition…
Il sourit.
— ah, je comprends que vous soyez si cultivée… vous avez dû taper des livres !
Elle sourit.
— oui… beaucoup d’auteurs remettaient des manuscrits, alors, il fallait les taper…
— je vois, je vois…
Il lui remet une feuille.
— bien, vous allez me faire cette note, si vous voulez bien.…
La jeune femme prend la feuille et s’en va. Mohammed la suit du regard : c’est qu’elle est bien roulée la petite… il sourit aussitôt, honteux de sa pensée : la secrétaire a l’âge de sa fille aînée, Sabrina.
Il ouvre un dossier, puis se rappelle sa femme.
— zut, j’ai oublié de l’appeler !
Il prend aussitôt le téléphone et compose son numéro.
— allô…
— ah, je croyais que tu avais encore oublié d’appeler…
— j’ai beaucoup de travail…
Elle répond, ironique.
— comme d’habitude…
— bon, tu vas bien ? tu n’as besoin de rien ?
— non….
— alors, je te quitte…
— oui, oui, tu as beaucoup de travail…
Et elle lui raccroche au nez ! (à suivre…)
K.Y.
29 avril 2010 à 23 11 13 04134
Au coin de la cheminée
La malle volante (2e partie)
Résumé de la 1re partie n Le fils du riche marchand, dilapide la fortune laissée par son père et s’exile en Turquie. Là, il parvient à s’introduire chez la fille du roi…
Il s’envola, s’acheta une nouvelle robe de chambre et s’assit dans la forêt pour composer un conte. Il devait être terminé samedi, et ce n’est pas si facile. Pourtant, quand vint le samedi, c’était fait.
Le roi, la reine et toute la cour prenaient le thé chez la princesse et l’attendaient. Il fut reçu avec beaucoup de gentillesse.
— Voulez-vous nous raconter une histoire ? demanda la reine, une histoire d’un esprit profond et instructif.
— Mais qui fait quand même rire, dit le roi.
— Je veux bien, dit-il. Et il se mit à raconter.
Il y avait une fois un paquet d’allumettes, très fières de leur origine. Leur ancêtre, un grand sapin, dont elles étaient toutes nées, avait été un grand vieil arbre dans la forêt. Les allumettes se trouvaient maintenant sur une tablette entre un briquet et une vieille marmite de fer, et elles parlaient de leur jeunesse.
— Quand nous étions parmi les rameaux verts, soupiraient-elles, on peut dire que c’était la belle vie. C’était matin et soir thé de diamants — la rosée — toute la journée le soleil quand il brillait — et les oiseaux pour nous raconter des histoires.
Et nous nous sentions riches ! Les arbres à feuillage n’étaient vêtus que l’été. Nous, nous avions les moyens d’être habillées de vert été comme hiver. Mais les bûcherons sont venus et ça a été la grande révolution : notre famille fut dispersée.
Notre père, le tronc, fut placé comme grand mât sur un splendide navire qui pouvait faire le tour du monde s’il le voulait ; les autres branches furent utilisées ailleurs, et notre sort, à nous, est maintenant d’allumer les lumières pour les gens du commun. C’est pourquoi nous, gens de qualité, avons échoué à la cuisine.
— Mon histoire est toute différente, dit la marmite. Depuis que je suis venue au monde, on m’a récurée et fait bouillir tant de fois ! Je pourvois au substantiel et suis réellement la personne la plus importante de la maison. Ma seule joie c’est de m’étendre, après les repas, propre et récurée sur une planche et de tenir la conversation avec les camarades. Cependant, à l’exception du seau d’eau qui descend de temps en temps dans la cour, nous vivons très renfermés. Notre seul agent d’information est le panier à provisions, mais il parle avec tant d’agitation du gouvernement et du peuple ! Oui, l’autre jour, un vieux pot, effrayé de l’entendre, est tombé et s’est cassé en mille morceaux — il a des idées terriblement avancées, vous savez !
— Tu parles trop, dit le briquet. Son acier frappa la pierre à fusil qui lança des étincelles. Tâchons plutôt de passer une soirée un peu gaie.
— Oui, dirent les allumettes. Cherchons qui sont, ici, les gens du plus haut rang.
— Non, je n’aime pas à parler de moi, dit le pot de terre, ayons une soirée de simple causerie. Je commencerai. Racontons quelque chose que chacun a vécu, c’est bien facile et si amusant. (à suivre…)
Hans Christian Andersen
29 avril 2010 à 23 11 17 04174
Une date, un fait Edition du 26/4/2010
Histoires vraies
Le poison de l’araignée (5e partie et fin)
Résumé de la 4e partie n Après la mort de Philip dans un accident de voiture, Emil et Clarissa recueillent Tessa pour lui permettre de faire son deuil. Cela va durer deux ans…
C’est ainsi que quelques semaines plus tard Tessa déclare à Clarissa et Emil qu’elle éprouve le besoin de quelques jours de vacances solitaires pour profiter des superbes plages du Cap. Et aussi pour «se reconstruire», pour «retrouver ses marques». Elle s’en va..
C’est ainsi que quarante-huit heures plus tard, le Pr Myra Sohnberg, maître de recherches à l’Université de Johannesburg, présente devant l’Institut d’études agronomiques pour y discuter des mérites et des dangers du Lostrodetus indistinctus.
Quand Tessa regagne Bloemfontein, Clarissa la félicite de sa bonne mine. Emil, un peu plus tard, surenchérit de manière plus concrète. Ce soir-là, Clarissa annonce qu’elle va se coucher de bonne heure. Tessa dit :
— Chérie, je te prépare ta tisane et je la mets sur ta table de nuit.
Emil et Clarissa ont toujours fait chambre à part : c’est une très bonne chose.
Quand Clarissa, ayant bu sa tisane, se glisse entre ses draps bien frais, elle ne tarde pas à s’endormir. C’est pourtant sa voix qui interrompt les ébats fougueux d’Emil et de Tessa sur le canapé du salon. Un cri d’angoisse qui leur fait dresser les cheveux sur la tête. Ils montent en hâte et trouvent Clarissa hagarde, en pleine panique. Impossible de comprendre ce qui lui arrive : elle parle de douleur à la cuisse, de morsure de quelque chose. On la transporte à l’hôpital : elle y meurt dans d’atroces souffrances une heure plus tard. Emil est effondré. Tessa semble l’être aussi.
Pourtant, on cherche à connaître les causes de cette mort aussi terrible qu’inattendue. On découvre une grosse cloque sur la cuisse de Clarissa. On s’interroge ; les spécialistes avancent un nom : Lostrodetus indistinctus, une horrible petite araignée. Mais Lostrodetus indistinctus se révèle cantonnée à la province du Cap. Ceux qui la connaissent le mieux sont les chercheurs de l’Institut d’études agronomiques : en particulier les docteurs Monroe et Babbing. Monroe se remémore une visite charmante dans les dernières semaines : un certain professeur Myra Sohnberg de l’Université de Johannesburg. Il n’y a qu’à la contacter…
Mais l’Université de Johannesburg avoue tout ignorer du professeur Sohnberg. A tout hasard, on montre à Monroe la photographie de Tessa. Pas de doute, c’est à elle qu’il a remis, bien à la légère, trois Lostrodeti indistincti.
Et cela justement à l’époque où Tessa prenait des vacances. Bizarre ! La police de Bloemfontein, de fil en aiguille, interroge le personnel d’Emil et celui de Tessa. Un contremaître noir d’Emil déclare que son patron avait une liaison avec sa belle-sœur. Plus d’une fois, il les a surpris dans des attitudes sans équivoque. Une perquisition chez Tessa apporte un élément convaincant. On trouve chez elle un ouvrage très bien illustré sur le fameux Lostrodetus indistinctus. Inutile de chercher plus loin.
Au moment où la police vient arrêter Tessa, elle est sur le canapé du salon d’Emil. Tous deux sont très occupés mais elle comprend tout de suite. Elle pousse un cri et monte à l’étage. Une détonation retentit : Tessa s’est fait justice, mais auparavant elle a eu le temps de griffonner un mot, ultime preuve de sa passion ravageuse : «Emil est innocent, il n’est au courant de rien.»
Pierre Bellemare
29 avril 2010 à 23 11 19 04194
Une date, un fait Edition du 25/4/2010
Ainsi va la vie
Le démon de midi (1re partie)
Par K. Yerbi
Secrétaire n C’est une belle femme aux longs cheveux châtains, lâchés, aux yeux clairs, en amande, à la taille élancée et bien proportionnée…
La jeune femme frappe timidement à la porte.
— entrez !
Elle tourne lentement la poignée de la porte. La pièce est immense et le directeur, trônant derrière son bureau, est en train de travailler. Il ne lève même pas les yeux. La jeune femme n’ose pas avancer.
— oui ? dit l’homme, sans lever le regard de ses papiers…
— monsieur le directeur…
La voix, bien que craintive, paraît agréable. Il lève la tête et sourit. C’est une belle femme au longs cheveux châtains, lâchés, aux yeux clairs, en amande, à la taille élancée et bien proportionnée dans une adorable robe rouge, serrée à la taille par une ceinture blanche… Les femmes qui travaillent dans la société sont plutôt banales.
— oui, mademoiselle ?
Elle fait des efforts pour parler.
— Monsieur le directeur, je suis votre nouvelle secrétaire.
L’homme se lève.
— ah, c’est vous ! Rappelez-moi votre nom.
— Sarah, Sarah B.
Il lui tend la main. Elle la serre mollement.
— bienvenue ! dit le directeur. J’espère que vous me donnerez satisfaction.
Elle rougit.
— je ferai de mon mieux !
Il hoche la tête.
— bien, si vous êtes dégourdie vous progresserez dans votre carrière et votre rémunération ira en augmentant.
— je vous remercie monsieur le directeur.
Il hoche de nouveau la tête.
— bien, vous prenez immédiatement votre service… L’ancienne secrétaire nous a lâchés sans avertir.
Il la regarde.
— J’espère que vous savez utiliser un ordinateur ?
— Oui, monsieur le directeur.
— bien ! Alors commencez par me saisir le courrier suivant. Quand vous aurez fini, vous me le donnerez à signer, après je vous donnerai une tâche !
— Oui, monsieur le directeur !
— bon, allez dans votre bureau, je vous laisse travailler ; moi-même j’ai du travail.
Elle prend les feuilles et s’apprête à sortir. Il l’arrête.
— Encore un mot, si l’on m’appelle, dites que je suis absent, sauf bien sûr s’il s’agit de ma femme et de mes enfants !
— Bien, monsieur le directeur.
Il l’accompagne puis retourne dans son bureau où l’attendent effectivement plusieurs dossiers. (à suivre…)
K.Y.
29 avril 2010 à 23 11 20 04204
Une date, un fait Edition du 25/4/2010
Au coin de la cheminée
La pâquerette (3e partie et fin)
Résumé de la 2e partie n La pâquerette est triste car elle ne peut venir en aide à son ami l’alouette enfermée dans une cage…
Puis l’alouette enfonça son bec dans le gazon humide pour se rafraîchir un peu. Son regard tomba sur la petite pâquerette ; l’oiseau lui fit un signe de tête amical, et dit en l’embrassant :
—Toi aussi, pauvre petite fleur, tu périras ici ! En échange du monde que j’avais à ma disposition, l’on m’a donné quelques brins d’herbe et toi seule pour société. Chaque brin d’herbe doit être pour moi un arbre ; chacune de tes feuilles blanches, une fleur odoriférante. Ah! tu me rappelles tout ce que j’ai perdu !
«Si je pouvais le consoler ?», pensait la pâquerette, incapable de faire un mouvement. Cependant le parfum qu’elle exhalait devint plus fort qu’à l’ordinaire ; l’oiseau s’en aperçut, et quoiqu’il languît d’une soif dévorante qui lui faisait arracher tous les brins d’herbe l’un après l’autre, il eut bien garde de toucher à la fleur.
Le soir arriva ; personne n’était encore là pour apporter une goutte d’eau à la malheureuse alouette. Alors elle étendit ses belles ailes en les secouant convulsivement, et fit entendre une petite chanson mélancolique. Sa petite tête s’inclina vers la fleur, et son cœur brisé de désir et de douleur cessa de battre. À ce triste spectacle, la petite pâquerette ne put, comme la veille, refermer ses feuilles pour dormir ; malade de tristesse, elle se pencha vers la terre.
Les petits garçons ne revinrent que le lendemain. À la vue de l’oiseau mort, ils versèrent des larmes et lui creusèrent une fosse. Le corps, enfermé dans une jolie boîte rouge, fut enterré royalement, et sur la tombe recouverte ils semèrent des feuilles de roses.
Pauvre oiseau ! pendant qu’il vivait et chantait, on l’avait oublié dans sa cage et laissé mourir de misère ; après sa mort, on le pleurait et on lui prodiguait des honneurs. Le gazon et la pâquerette furent jetés dans la poussière sur la grande route ; personne ne pensa à celle qui avait si tendrement aimé le petit oiseau.
Conte d’Andersen
29 avril 2010 à 23 11 35 04354
Une date, un fait Edition du 21/4/2010
Au coin de la cheminée
Le Soleil Raconte (2e partie et fin)
Résumé de la 1re partie n Le vent et la pluie se disputent pour savoir lequel des deux prendra la parole. Le soleil arrive et tranche en racontant son histoire…
Un des garçons prit une motte de terre dans sa main et la fit tourner entre ses doigts jusqu’à ce qu’il en sortît la statue de Jason portant la toison d’or.
Le deuxième garçon courut dans le pré où s’épanouissaient des fleurs de toutes les couleurs. Il en cueillit une pleine poignée et les pressa très fort. Puis, il trempa son anneau dans le jus. Il sentit un fourmillement dans ses pensées et dans sa main. Un an et un jour après, dans la grande ville on parlait d’un grand peintre.
Le troisième des garçons mit l’anneau dans sa bouche où il résonna et fit retentir un écho du fond du cœur. Des sentiments et des pensées s’élevèrent en sons, comme des cygnes qui volent, puis plongèrent comme des cygnes dans la mer profonde, la mer profonde de la pensée. Le garçon devint le maître des sons et chaque pays au monde peut dire à présent : oui, il m’appartient.
Le quatrième, le plus petit, était le souffre-douleur de la famille. Les gens se moquaient de lui, disaient qu’il avait la pépie et qu’à la maison on devrait lui donner du beurre et du poivre comme aux poulets malades ; il y avait tant de poison dans leurs paroles. Mais moi, je lui ai donné un baiser qui valait dix baisers humains. Le garçon devint un poète, la vie lui donna des coups et des baisers, mais il avait l’anneau du bonheur du cygne de la fortune. Ses pensées s’élevaient librement comme des papillons dorés, symboles de l’immortalité.
— Quel long récit ! bougonna le vent.
— Et si ennuyeux ! ajouta la pluie. Soufflez sur moi pour que je m’en remette. Et le vent souffla et le rayon de soleil raconta :
— Le cygne de la fortune vola au-dessus d’un golfe profond où des pêcheurs avaient tendu leurs filets. Le plus pauvre d’entre eux songeait à se marier et aussi se maria-t-il bientôt.
Le cygne lui apporta un morceau d’ambre. L’ambre a une force attractive et il attira dans sa maison la force du cœur humain. Tous dans la maison vécurent heureux dans de modestes conditions. Leur vie fut éclairée par le soleil.
— Cela suffit maintenant, dit le vent. Le soleil raconte depuis bien longtemps. Je me suis ennuyé !
Et nous, qui avons écouté le récit du rayon de soleil, que dirons-nous ? Nous dirons : «Le rayon de soleil a fini de raconter».
Conte d’Andersen
29 avril 2010 à 23 11 36 04364
Une date, un fait Edition du 21/4/2010
Histoires vraies
Le poison de l’araignée (1re partie)
Nous sommes dans la ville du Cap, en Afrique du Sud, au mois de juin 1980. C’est la saison hivernale là-bas, donc le temps est agréable. Un taxi s’arrête devant l’Institut d’études agronomiques de la province du Cap. Une jeune femme à l’élégance discrète paye la course et se dirige vers l’entrée principale de l’Institut. Arrivée à l’accueil, elle se présente :
— Je suis le professeur Myra Sohnberg de l’Université de Johannesburg. J’aimerais rencontrer les personnes qui travaillent sur les araignées venimeuses de la région.
L’hôtesse consulte son listing et annonce
— Il s’agit des docteurs Babbing et Monroe. Mais aujourd’hui, seul le docteur Monroe est présent. Je vais lui faire part de votre arrivée.
Quelques instants plus tard, le docteur Monroe est tout heureux d’accueillir le professeur Sohnberg. Cela fait une petite distraction dans le train-train quotidien du laboratoire et du vivarium. D’autant plus que le professeur Sohnberg, malgré ses lunettes de soleil, est une fort jolie femme, aux formes appétissantes. Jolie ou pas elle va directement au cœur du sujet
— Je suis attachée au laboratoire de pharmacologie de l’Université de Johannesburg et je travaille actuellement sur la mise au point d’un antidote contre les piqûres de l’araignée bouton… Lostrodetus indistinctus, comme vous savez.
— Et que puis-je pour vous ?
— Comme le Lostrodetus indistinctus vit uniquement dans la — région du Cap, je me suis demandé si vous en posséderiez quelques exemplaires vivants pour récupérer le venin. Faute de quoi, nos recherches restent un peu théoriques.
— Mais absolument. Vous aimeriez nous en emprunter ?
— C’est cela même. Le temps de procéder aux prélèvements.
— Vous tombez bien, nous avons fait une récolte intéressante. Je pourrais vous confier deux femelles et un mâle. Pour quelques semaines. Cela vous convient-il ?
Le professeur Myra Sohnberg est d’accord. On remplit les bordereaux de formalités administratives, et la jolie spécialiste en contrepoison repart immédiatement pour Johannesburg, après avoir aimablement refusé de dîner avec le docteur Monroe. Elle emporte trois bestioles dont la piqûre est mortelle. Chacune est bien enfermée dans un emballage de sécurité. «Quelques mois plus tard le docteur Monroe regrettera d’avoir consenti ce prêt d’araignées venimeuses à une jolie femme…, comment aurait-il pu connaître les détails d’une histoire qui a débuté six ans plus tôt ?
Nous sommes au mois de juin 1974, dans la ferme des Warringer. Ce soir c’est la fête : une fête gigantesque à la mode sud-africaine. Tous les voisins, tous les amis, tous les parents sont là. Certains ont fait plusieurs centaines de kilomètres pour participer à l’événement. Sur le terrain d’atterrissage privé plusieurs pipers ont transporté des invités. Que fête-t-on ? Les 22 ans de la fille aînée des Warringer.
Clarissa est une belle brune, mince, élégante. Elle est heureuse car dans quelque temps elle espère bien une autre fête à ses fiançailles. Pour l’instant, ce n’est qu’un projet. Mais Clarissa et le bel Emil Duhamel enchaînent toutes les danses, des plus endiablées aux plus langoureuses. Emil est tout juste sorti de l’école d’agriculture de Durban avec un diplôme d’ingénieur.
Emil est beau, sportif, diplômé, mais peu argenté. Il faudrait qu’il trouve une héritière bien dotée, et si possible propriétaire de quelques centaines d’hectares… C’est justement le cas de Clarissa dont les parents sont vraiment à l’aise.
— Ça ne va pas, Tessa ? Tu en fais une tête, ma chérie ! Tu as l’air contrariée.
— Mais non, maman, ce n’est rien. J’ai un peu le blues. C’est normal : je me demande si un jour moi aussi je vais être à la place de Clarissa…
— Tu as toujours un peu jalousé ta sœur, mais là tu exagères, tu ne crois pas, ma chère tête folle ? (à suivre…)
Pierre Bellemare
29 avril 2010 à 23 11 41 04414
Une date, un fait Edition du 20/4/2010
Au coin de la cheminée
Le Soleil Raconte (1re partie)
Maintenant, c’est moi qui raconte ! dit le vent.
— Non, si vous permettez, protesta la pluie, c’est mon tour à présent ! Cela fait des heures que vous êtes posté au coin de la rue en train de souffler de votre mieux.
— Quelle ingratitude ! soupira le vent. En votre honneur, je retourne les parapluies, j’en casse même plusieurs et vous me brusquez ainsi !
— C’est moi qui raconte, dit le rayon de soleil. Il s’exprima si fougueusement et en même temps avec tant de noblesse que le vent se coucha et cessa de mugir et de grogner ; la pluie le secoua en rouspétant : «Est-ce que nous devons nous laisser faire ! Il nous suit tout le temps. Nous n’allons tout de même pas l’écouter. Cela n’en vaut pas la peine.» Mais le rayon de soleil raconta :
Un cygne volait au-dessus de la mer immense et chacune de ses plumes brillait comme de l’or. Une plume tomba sur un grand navire marchand qui voguait toutes voiles dehors. La plume se posa sur les cheveux bouclés d’un jeune homme qui surveillait la marchandise ; on l’appelait «supercargo». La plume de l’oiseau de la fortune toucha son front, se transforma dans sa main en plume à écrire, et le jeune homme devint bientôt un commerçant riche qui pouvait se permettre d’acheter des éperons d’or et échanger un tonneau d’or contre un blason de noblesse. Je le sais parce que je l’éclairais, ajouta le rayon de soleil.
Le cygne survola un pré vert. Un petit berger de sept ans venait juste de se coucher à l’ombre d’un vieil arbre. Le cygne embrassa une des feuilles de l’arbre, laquelle se détacha et tomba dans la paume de la main du garçon. Et la feuille se multiplia en trois, dix feuilles, puis en tout un livre. Ce livre apprit au garçon les miracles de la nature, sa langue maternelle, la foi et le savoir. Le soir, il reposait sa tête sur lui pour ne pas oublier ce qu’il y avait lu, et le livre l’amena jusqu’aux bancs de l’école et à la table du grand savoir. J’ai lu son nom parmi les noms des savants, affirma le soleil. Le cygne descendit dans la forêt calme et se reposa sur les lacs sombres et silencieux, parmi les nénuphars et les pommiers sauvages qui les bordent, là où nichent les coucous et les pigeons sauvages. Une pauvre femme ramassait du bois dans la forêt et comme elle le ramenait à la maison sur son dos en tenant son petit enfant dans ses bras, elle aperçut un cygne d’or, le cygne de la fortune, s’élever des roseaux près de la rive. Mais qu’est-ce qui brillait là ? Un œuf d’or. La femme le pressa contre sa poitrine et l’œuf resta chaud, il y avait sans doute de la vie à l’intérieur ; oui, on sentait des coups légers. La femme les perçut mais pensa qu’il s’agissait des battements de son propre cœur. A la maison, dans sa misérable et unique pièce, elle posa l’œuf sur la table. «Tic, tac» entendit-on à l’intérieur. Lorsque l’œuf se fendilla, la tête d’un petit cygne comme emplumé d’or pur en sortit. Il avait quatre anneaux autour du cou et comme la pauvre femme avait quatre fils, trois à la maison et le quatrième qui était avec elle dans la forêt, elle comprit que ces anneaux étaient destinés à ses enfants. A cet instant le petit oiseau d’or s’envola.
La femme embrassa les anneaux, puis chaque enfant embrassa le sien ; elle appliqua chaque anneau contre son cœur et le leur mit au doigt. (à suivre…)
Conte d’Andersen