Histoires vraies
Roudi et moi dans la même tombe (3e partie)
Résumé de la 2e partie n Malgré l’amour qu’elle porte à son fils unique, Joséphine a commis l’irréparable en l’égorgeant. Pourquoi a-t-elle agi de la sorte ?
Joséphine vient d’entendre frapper à la porte d’entrée. La famille Herbert, locataire du dessous, a été réveillée par le bruit lorsque Rodolph s’est effondré dans le couloir. Mme Herbert, ayant jeté un manteau sur ses épaules, vient de gravir l’escalier quatre à quatre. Elle demande maintenant derrière la porte fermée :
«Avez-vous besoin d’aide, madame Fischerbold ?»
Elle entend la voix calme de celle-ci lui répondre :
«Non, non, merci madame Herbert, ce n’est rien. Mon fils vient d’avoir un petit malaise, mais cela va mieux. Merci encore.»
La voisine, tranquillisée, redescend chez elle, tandis que Joséphine pieusement recouvre le cadavre avec la couverture qu’elle vient de prendre sur le canapé.
Cela fait, elle ouvre en grand le robinet du lavabo de la salle de bains pour laver ses bras pleins de sang. De retour dans sa chambre, la voici qui revêt la robe de deuil portée pour la dernière fois lors de l’enterrement de son mari.
Dans le living-room elle ouvre le petit secrétaire, sort du papier à lettres, s’assoit confortablement et commence à écrire une lettre d’adieu. Une longue longue lettre qui lui demande plus d’une heure de rédaction, car elle en remplit quatre pages d’une écriture nette, précise, sans la moindre trace d’agitation. La lettre commence par la phrase suivante : «Je quitte la vie et j’emmène Roudi avec moi. Tout ce que je vais écrire est la plus stricte vérité. Personne ne ment dans un moment pareil.»
Le reste traduit son désespoir, sa terreur de la solitude, sa jalousie, sa rage froide de voir son fils épouser ce mannequin blond et rose au sourire de bébé. La lettre se termine par cette prière : «S’il vous plaît, mettez-nous, Roudi et moi, dans la même tombe. Nous voulons rester ensemble. Adieu.»
Seul signe de son trouble : elle oublie de signer. Mais elle n’oublie pas de déposer près de la lettre l’argent nécessaire à l’enterrement : ce qui lui reste de l’assurance touchée à la mort de son mari.
A sept heures du matin, en un lundi pluvieux d’automne Mme veuve Joséphine Fischerbold, cinquante-deux ans, qui vient d’égorger Rodolph, son fils de vingt-sept ans, sort de sa maison bourgeoise, méticuleusement vêtue de son manteau d’astrakan, un petit foulard noué autour du cou et coiffée d’un chapeau qui ajoute à l’ensemble une touche de respectabilité parfaite.
Dans le parc municipal, qu’elle doit traverser pour se rendre à la gare, elle ouvre son sac à main, en sort la bague de fiançailles de Rodolph qu’elle jette avec désinvolture dans un buisson.
Huit heures trente. Elle monte dans le train.
Huit heures quarante-cinq. Elle quitte quelques instants son compartiment comme si elle se rendait aux toilettes. En réalité, Joséphine se contente d’ouvrir la porte du wagon, pour jeter dans la campagne le long couteau pointu et sanglant.
Neuf heures quinze. Parvenue dans la petite ville qui semble être le but de son voyage, Joséphine accomplit à pied le trajet qui sépare la gare de l’église, où elle s’agenouille et prie pendant une quinzaine de minutes. Avant de quitter l’église pour retourner à la gare, elle glisse deux cents marks en billets dans le tronc. (à suivre…)
D’après Pierre Bellemare
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19 mars 2010
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