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Patrimoine oasien La saga des moulins à grains de Bou-Saâda par Farouk Zahi

18 mars 2010

Contributions

                Le mois du patrimoine qui revient tous les ans, est une halte salutaire pour soustraire à l’oubli, parfois même au gommage mémoriel, des pans entiers de notre survivance culturelle. Célébré au printemps, il présage à l’instar du bourgeon naissant, d’une remontée de sève vivifiante pour un florilège identitaire coloré.

En plus d’être source de vie, l’eau dans l’oasis de Bou Saada, a été source d’énergie motrice. Le génie hydraulique, en faisait bon usage. C’est ainsi, que depuis les temps où la mémoire puisse s’en rappeler, elle a servi à désaltérer l’homme et les bêtes, à irriguer le jardin vivrier et à faire tourner l’aube du moulin. Escarpé, le relief se prêtait à rendre le cours d’eau de l’oued impétueux, par endroits, pour pouvoir faire mouvoir l’aube pesant plusieurs tonnes. Le cours, d’une eau pérenne, issu du massif du Djebel Messaâd d’où il dévale sur plusieurs kilomètres, creuse la roche sur une profondeur de plusieurs mètres. Encaissé et sinueux, il devient moins tourmenté à hauteur des grottes appelées «Tanières des lionnes», pour se laisser enjamber par un gué. Le ruissellement des rares précipitations, a érodé un talweg fait de strates telluriques, rares dans le monde, appelées par les géologues : «Quiestas de Bou Saada». Elles portent le nom local de «Z’regat» par corrélation avec les tons bleuâtres de leurs couleurs. Le premier habitant, s’est installé justement là où l’eau constituait, un atout majeur pour sa survivance.

Agro pasteur, il s’est citadinisé au voisinage de la ressource hydrique. Il aura à développer le génie hydraulique par un savoir faire industrieux, à même de transformer le produit de la terre, en produit assimilable, notamment, le grain céréalier. Son succédané, le son, faisait la soudure hiverno-printanière quand, les pacages étaient trop maigres pour alimenter le bétail. Immensément grande, la roue en bois ouvragé, comportait un axe qui entraînait la roue d’acier placée à l’intérieur. Cette dernière transmettait le mouvement, à l’aide d’une large courroie de cuir, à l’engrenage de la meule supérieure. Il n’était pas rare que de fâcheux accidents soient occasionnés par la rupture de cette «bestiale» courroie.

L’aube, placée parallèlement à la bâtisse, pouvait atteindre jusqu’à six mètres de diamètre ; surmontée d’une amenée d’eau, elle tournait dans sa moitié inférieure, dans une fosse profonde. Faites de bois de genévrier, les poutres parallèles partaient, tels des rayons, de l’axe vers la circonférence pour se solidariser par des caissons en circonvolution. La trombe d’eau de la «séguia», ponctionnée de l’oued par dérivation, tombait dans les bacs de la roue pour la faire tourner sur son axe. La fosse récupérait l’ondée pour la restituer à l’oued. L’ouvrage, transpercé par de grosses tiges filetées arrimées par de gros boulons, geignait quand même, sous le poids de la cascade. Entraînée par l’engrenage, la meule supérieure écrasait le grain sur la meule inférieure. Taillées dans le gré et centrées par l’axe denté, ces meules de plus d’un mètre de diamètre ont du, sans nul doute, poser de sérieux problèmes de manutention, sachant que les moyens de levage de l’époque n’étaient pas aussi développés. Un bec verseur, récupérait la mouture pour la déverser dans des sacs en jute, pour le blé dur, ou en poil de chèvre pour l’orge. C’était la convention. La prestation était généralement payée en nature. Juché sur l’estrade, le meunier, «blanchi» par la poudre de farine, un bandeau sur les narines pour éviter la suffocation, devait crier très fort pour être entendu. Le fracas du mécanisme assourdissait les lieux.

Ces moulins hydrauliques, étaient au nombre de cinq. On trouvait sur la rive droite de l’oued, le moulin du célébrissime Ferrero, d’origine probablement calabraise, devenu magnat des pâtes alimentaires mondialement connues. A près d’un kilomètre plus bas, le moulin Serguine et en vis-à-vis le Moulin Belamri sur la rive gauche. En dévalant l’oued et a proximité de l’atelier d’Etienne Dinet, disparu à jamais, on y trouvait dans une échancrure du piémont du Kerdada, le moulin Benaziez qui a connu le même sort. Plus bas à hauteur du gué, le chemin muletier qui mène vers Dachra-Gueblia (village sud), abrite le moulin mozabite. Ces ouvrages minotiers étaient noyés par la verdure, ils jouxtaient tous, la luxuriance d’un jardin. Le bruit sourd de la chute d’eau et le grondement des meules, étaient couverts tous deux, par le jacassement de nuées d’étourneaux, le crissement de grillons le croissement de grenouilles. Il est vrai que cette biodiversité n’était chahutée par aucune pollution de l’homme. Les déjections organiques, en l’absence d’un réseau d’assainissement moderne, étaient recueillies dans des fosses, vidangées une fois l’an. L’épandage du produit organique, servait à fertiliser la terre. Point de maladies hydriques, point de parasitoses ; sans interférence, la vie faisait sereinement son cycle. L’activité de minoterie, intense après les moissons, était réduite dès les premières averses automnales, les fréquentes crues de l’oued oblitéreront les accès menant aux moulins. Seule, la rive gauche en sera exemptée de par sa proximité avec le tissu urbain.

Le moulin Ferrero, appelé localement «R’ Hat Firrir», construit dans le style dégradé, se fondait dans le paysage rocheux. Il prend l’oued à la «gorge» à la fin d’un virage étranglé et au début d’une cataracte qui fait une chute de plusieurs mètres. La chute d’eau a crée une large piscine où tous les ados de la cité y ont appris à nager ; une saillie rocheuse leur servait de plongeoir. La bâtisse nichée sur un piton, donnait l’air de maison de maître. Elle comprenait une spacieuse salle des machines, des dépendances et un logis à l’étage. Sa toiture de tuile, la singularisait du reste du bâti local. Un accès carrossable, la reliait à l’ancienne route nationale menant vers Biskra. Commodités d’accès et éloignement du centre urbain, en faisait probablement le moulin de la poignée d’Européens et de la forte communauté israélite. Au sortir du dernier virage qui mène vers les lieux, la découverte en contre bas du canyon sauvage à plusieurs plans est saisissante. Les jardins verdoyants en hauteur, donnaient l’illusion d’être suspendus. Les vapeurs d’eau qui montent et les immenses plaques rocheuses piquées en boucliers étaient jadis, une symphonie visuelle dont seule, la nature, pouvait en être le maître d’œuvre. La palette multicolore, caprice de la Création, ne laissait aucune fibre indifférente. Plus maintenant, cet ancien site, fleuron du tourisme oasien dans sa splendeur, n’est plus que ruine désolée dont l’Homme en a été, le maitre de l’ouvrage. Le lieu gardera et pour longtemps dans les arcanes cérébrales des gens qui l’ont connu, le souvenir impérissable d’un petit coin de paradis terrestre. Il aura servi au tournage de plusieurs films de fiction et documentaires, aussi bien en période coloniale qu’en période post indépendance. En référence à la fresque biblique de Cécil B. de Mille, tournée en 1949, un bout de rocher était appelé : «Bouclier de Samson». Cerné par la bétonnière, les détritus et les miasmes, le Moulin ne sera plus ce qu’il était, ni les autres d’ailleurs. Les successions patrimoniales en sont venues à bout.

Le bois vermoulu de l’aube a chu dans la fosse. Le seul espoir de restitution de la mémoire, ne dépasserait guère et dans le meilleur des cas, la réalisation de muettes réplique. Ces œuvres du génie humain, ont entamé leur pain noir, dès lors qu’a cessé la mouture du grain.

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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Une réponse à “Patrimoine oasien La saga des moulins à grains de Bou-Saâda par Farouk Zahi”

  1. Artisans de l'ombre Dit :

    Patrimoine oasien : les forges des Chorfa

    par Farouk Zahi
    Accroupi près d’une enclume à même le sol, le forgeron battait le fer rougi à blanc. Le foyer, à portée de bras, grésillait sous l’effet du soufflet.

    Son métier, légué de père en fils, touchait à tout : forge, serrurerie, bijouterie et coutellerie. Le fameux couteau bou-sâadi, relique guerrière de la résistance sanglante à l’occupation coloniale de novembre 1849, est né dans ces antres. Cet art ancestral, faisait d’une matière ferreuse inerte, un objet animé dans la main de l’homme : la houe ou intrépide: la Kh’lala (peigne à main) dans celle de la femme pour son tissage. Faux, faucilles et socs étaient autant d’articles manufacturés qu’il confectionnait à la demande. L’acier qu’il récupérait des lames de ressorts des engins automobiles, des râpes, la corne et le bois de laurier rose, sont, les seuls objets dont il en tirait la matière d’œuvre. L’échoppe, un sombre petit local, illuminée par le foyer incandescent alimenté, par une grosse bûche de bois de chêne est son univers. Il façonne l’objet projeté dans sa tête, il est le seul à savoir ce qu’il doit usiner en bout de chaîne. Le jeune apprenti est toujours là, il est occupé à tirer sur la cordelette du soufflet, instrument fait de deux planches en forme de poire solidarisées par une peau de chèvre tannée. Fonctionnant sur le principe de l’accordéon, il insufflait l’air au moyen d’un embout métallique pour raviver la braise. Les volutes de fumée montantes, faisaient «pleurer» le novice. Ferrer les chevaux, est probablement, la plus noble de ses missions. Après avoir battu à plat le fer chauffé, tenu par deux grosses pinces, il lui donnera la forme du sabot dont il aura préalablement pris l’empreinte. Le chuintement du fer, encore rouge, dans un récipient plein d’eau, annonce la fin du façonnage. L’animal est avancé au pas de la porte et c’est à l’extérieur de l’atelier que se poursuivra l’opération. Enfilant son tablier de cuir, le forgeron pliera la patte du cheval ou du mulet et l’enserrera entre ses propres jambes. Courbé, il entamera son œuvre. Muni d’un coutelas, il préparera le sabot en le raclant pour le rendre propre à la pose. Après l’ajustage du fer sur le sabot, il sortira de sa besace des clous avec lesquels, il fixera l’armature.

    L’opération se terminera par la mise à niveau, au coutelas, de la corne du sabot avec la courbure du fer. Il raclera à la lime la pointe des clous qui auront transpercé le sabot. Plein de bonheur, il jettera un regard à l’heureux propriétaire satisfait, voulant probablement dire : «Tu vois….un travail de maître !». Le plus surprenant, aura été la docilité de la bête. A leur sortie de la forge, les fers du harnachement, bride et étriers, seront confiés au sellier pour les cuirs. Quant à la serrurerie, elle n’avait pas de secret pour les mains expertes du forgeron. Façonner une clé ou copier une autre ne demandait que peu de temps. En acier ou en cuivre, elle était immensément grande ; prise par l’anse, elle pouvait constituer une arme redoutable. Le noctambule, enfouissait la clé dans la large poche de son ample pantalon ; il pouvait s’en servir, comme moyen de défense en cas d’agression. Les ventaux de poutre de palmiers, ne pouvaient êtres sustentés que par des gonds et charnières fabriqués manuellement. Le travail de l’or et de l’argent, occupait une bonne partie du temps de la forge. L’œuvre sortait généralement des moulages. Un ingénieux système de prise d’empreinte se faisait dans un amalgame de terre poudreuse mixée avec de l’huile moteur brûlée. La pâte ainsi obtenue, remplissait deux gabarits d’aluminium en forme de bouteille. Après le retrait de l’objet enserré par les gabarits, la coulée du métal en fusion se faisait par le goulot. Après désincarcération, le bijou subissait la suppression des scories et le polissage.

    Accès sud de la vieille médina. Haret Ech-Chorfa, est un des quartiers de la cité médiévale de Bou Saada. Ses maisonnettes à un seul étage, se serrent les unes aux autres pour constituer la partie basse du Ksar. Le matériau, fait de chaux éteinte et de sable, constituait le mortier pour sceller la pierre ou crépir le mur de « toub » (brique d’argile séchée). Le bâti ainsi obtenu, aura traversé le temps. Etroites et tortueuses, ses venelles montantes, sont un véritable labyrinthe pour les non-initiés. L’étroitesse des accès, participait du souci de réduire l’exposition à la réverbération solaire en procurant de la fraîcheur et de limiter les risques de razzia montée. Le quartier dispose d’une large place commune de forme quadrilatérale, elle est traversée par une rue qui dévale du centre ville pour aboutir à la palmeraie. Les lieux auront toujours abrité la dizaine d’échoppes de l’artisanat martial. Egayée par le tintement des marteaux qui battaient le fer dans un profane tocsin, le quartier pulsait à la vie. Il s’y trouvait aussi, une grande écurie qui servait en même temps de fondouk (gîte) pour les voyageurs. Une borne fontaine trônait au milieu de la place, elle servait d’abreuvoir aux bêtes. L’implantation de cette archaïque industrie, justement là, n’est probablement pas fortuite. Le quartier des Chorfa, est certainement le fief le plus chargé d’Histoire pour avoir abrité une grande figure nationale en la personne, de l’Emir El Hachemi ben Abdelkader Al Djazairi. Il séjournera, à son retour de Damas, pays d’exil de la famille princière, dans la maison du hassanite Azzedine de 1886 à 1902, date à laquelle il s’éteindra. Il sera inhumé à quelques mètres plus loin, dans un petit cimetière sur le chemin muletier qui mène à l’oued. La palmeraie qui longe le cours d’eau sur ses deux berges, est sans nul doute, le motif qui a suscité la création de forges pour mieux répondre aux besoins d’outillage des vergers. L’un de ces vergers appartenait, au peintre orientaliste converti à l’islam : Edouard Verschaffelt. Le métier de la forge, a été de tout temps, l’exclusive des Souamaâ, grande tribu du Hodna. Transmis de génération en génération, les clans Douffi et Bedka en ont fait, un moyen de subsistance, Il a survécu, grâce à l’opiniâtreté de quelques descendants, à travers les travaux de ferronnerie et d’artisanat d’art. Les artisans regroupés, présentement, dans une association corporative, se sont trouvés des vocations de restaurateurs d’objets d’art. Sollicités dans le travail du bronze, ils participent à la duplication et à la confection de la serrurerie des vieux palais ottomans d’Alger. Il est bien dommage, que le centre crée à l’effet de préserver les arts traditionnels populaires, ne soit pas encore ouvert à l’activité en dépit de l’achèvement des travaux. Il est établi que cette société agropastorale, n’a pas attendu que le l’ère industrielle pointe le nez pour satisfaire à ses besoins en outillages agraire et domestique. Même archaïque, la manufacture répondait aux diverses sollicitations des activités sociale et économique oasiennes d’alors.
    Jeudi 29 avril 2010

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