RSS

Pas seulement une histoire de prison Par Mourad Brahimi

18 mars 2010

Non classé

Pas seulement une histoire de prison Par Mourad Brahimi logo3

Le Soir des Livres : Pas seulement une histoire de prison
Par Mourad Brahimi

J’ai souvent entendu dire que les Algériens ne lisent pas, ou alors si peu, que dans les librairies ne se vendent que les livres scolaires, de recettes de cuisine ou tout au plus de quelques célébrités de la littérature universelle. Les Oranais ont démenti cette idée ancrée dans les esprits en venant nombreux, malgré la pluie, à une rencontre littéraire ce samedi 6 mars au Centre de recherche et d’information (Cridssh) de l’Université d’Oran.


L’idée de cette rencontre venait de mon ami, Youcef Merahi, secrétaire général du Haut-Conseil à l’amazighité, mais aussi poète et écrivain. Il tenait à ce qu’on organise une vente-dédicace à Oran, lui pour son dernier roman Je brûlerai la mer et moi pour Rien qu’une empreinte digitale parus tous deux chez Casbah Editions. J’avais déjà participé à deux ventes-dédicaces, l’une au Salon international du livre, l’autre chez Ali Bey à la librairie du Tiers-Monde, et dans les deux cas je n’avais pas supporté rester assis derrière une table à attendre que les «clients» se présentent. C’est pourquoi nous avons opté, avec l’éditeur et l’accord du Cridssh, pour une rencontre avec le public. La réussite de cet évènement littéraire n’est pas venue seulement de la grande affluence du public (la salle des conférences du Centre de recherche était pleine de professeurs, chercheurs, étudiants, hommes de lettres, élus, magistrats, anciens ministres, retraités, jeunes diplômés au chômage…) mais bien de la qualité des interventions. Pendant que j’écrivais, je me disais que la plupart des lecteurs risquaient de ne retenir de mon livre qu’une histoire de prison, et j’étais persuadé que certaines idées forces, que j’exprimais en peu de mots, ne pouvaient que rester dans l’inconscient du lecteur, noyées qu’elles étaient dans la multitude d’histoires de détenus que je racontais sous forme de courtes nouvelles d’un ou deux paragraphes qui parsèment le livre. Aussi étais-je étonné d’entendre dans la salle quelqu’un dire que mon récit était aussi un hommage rendu à la femme. Cette phrase je l’avais déjà entendue de la bouche du professeur Abdelkader Djeghloul quand il avait lu le manuscrit, et j’avais pensé que seul un lecteur professionnel de la trempe de l’éminent professeur était capable de déceler un tel hommage à travers quelques mots que ma pudeur a laissé s’échapper. Je discutais avec une lectrice des difficultés que j’éprouvais à décrire certaines scènes et lui confiais que j’avais eu beau écrire et réécrire le passage où j’essaie de raconter ces moments de lutte contre la folie, je restais convaincu de l’avoir raté, que j’aurai aimé faire sentir au lecteur ce que je ressentais en ce moment : la perte de la raison. Elle m’a répondu alors que c’était justement ce passage qui l’avait fait pleurer. De nombreux lecteurs m’ont appelé aussi pour me dire que mon livre les avait fait pleurer. J’en ris aujourd’hui, car moi, j’avais pleuré il y a 18 ans. Si Arezki Bouzida, membre fondateur du collectif des avocats de la Révolution, et Me Ali Djeghloul avaient eu des larmes lors de leurs plaidoiries, ce n’est certainement pas à cause de moi qui ne représente dans cette histoire qu’une toute petite empreinte digitale, c’était bien l’Algérie et ce qui advenait d’elle qui les faisait pleurer. Bouzida l’avait crié haut et fort : «Qui veut mettre une société à genoux frappe la tête : ses cadres». Et d’ajouter : «Aujourd’hui, plus que jamais, nous sommes appelés à choisir notre camp : défendre la justice et la liberté ou nous soumettre à la volonté des corrompus. Ces criminels qui dissimulent l’horreur de leurs forfaits en livrant aux tribunaux les hommes et les femmes qui se sont engagés au service de l’Etat et de l’intérêt général !» Mais il n’y a pas que les intellectuels et les lettrés qui ont compris les enjeux des luttes actuelles. En prison, lorsque la télé avait annoncé les assassinats de policiers, la moitié de la salle s’était levée le premier jour pour applaudir comme pour une victoire sportive : «Ouéééé ! Un de moins». Le deuxième jour, ils étaient moins nombreux à applaudir. Le troisième c’était l’angoisse, la peur. Un jeune qui n’avait fait ni l’ENA ni aucune autre école sinon celle de la délinquance m’avait expliqué : «Tu sais, ceux qui tuent les policiers n’en veulent pas aux policiers. C’est l’Etat algérien qu’ils veulent détruire. Ils ne veulent pas que l’Algérie ait un Etat debout.» J’ai beaucoup appris des prisonniers comme j’apprends, aujourd’hui, des lecteurs. Je m’aperçois que ce qui me semblait être infiniment petit dans mon récit n’est pas passé inaperçu. Un cadre poursuivi par la justice m’a récemment appelé pour me dire qu’il comptait utiliser les arguments développés dans le Procès pour sa défense devant la cour d’appel. J’ai été aussi heureux d’apprendre de la bouche même de celui qui fut directeur général des affaires pénitentiaires pendant les faits que je décris, puis chef de cabinet du gouvernement, que ce livre lui avait ouvert les yeux au point d’acheter une douzaine d’exemplaires pour les offrir. Un magistrat de la Cour suprême, que je connaissais n’avoir aucune indulgence envers les prisonniers, émet le vœu de voire ce livre traduit en arabe et remis, par le ministre de la Justice, à l’ensemble des magistrats. Lorsqu’un lycéen vous parle avec enthousiasme de telle scène du livre qui l’a marqué, de telle histoire, de telle anecdote comme s’il parlait d’un film qu’il a aimé, qu’un ami vous appelle pour vous dire qu’il a lu votre livre, que sa femme l’a lu, que sa fille l’a lu, que son frère le lit, lorsqu’un autre vous écrit pour vous dire, «j’ai commencé à lire ton livre, et même que je me le dispute avec Madame ; on va finir par découper le bouquin !» Tout cela vous donne envie de pleurer de bonheur. Mais la réaction qui m’a le plus marqué est celle d’un ami à qui on avait remis, il y a quelques années, le manuscrit la veille de son incarcération. Quand il a été libéré, il m’a confié : «Heureusement j’avais lu ton livre. Autrement, je crois que dès la première nuit, j’aurai perdu la raison. » La rencontre d’Oran ainsi que les réactions des lecteurs sont la preuve que l’acte d’écrire, de publier, de s’exprimer est important. Dans certains cas, il se révèle vital. En ayant le courage de publier, en 1992, Le cri d’une femme, suivi des précisions du bâtonnier Arezki Bouzida sur ce qu’il a appelé «l’affaire Brahimi», Le Soir d’Algérie avait brisé le silence ; il avait participé à faire éclater la vérité, me rendre la liberté, et sans doute me sauver la vie. Je rends hommage et serait éternellement reconnaissant à cet acte de courage ainsi qu’à Casbah Editions qui a choisi de publier le récit de cette empreinte digitale.
M. B.

Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/03/18/article.php?sid=97271&cid=31

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

Voir tous les articles de Artisan de l'ombre

S'abonner

Abonnez-vous à notre newsletter pour recevoir les mises à jour par e-mail.

Une réponse à “Pas seulement une histoire de prison Par Mourad Brahimi”

  1. le fidèle Dit :

    Arts et Culture Edition du 14/7/2007

    «L’amoureux de Aouicha et el Harraz»
    Rendez-vous avec la poésie et la musique

    l Les amateurs de poésie lyrique étaient hier au rendez-vous au théâtre national algérien (TNA) avec la pièce L’amoureux de Aouicha et el haraz réalisée par Fouzia Aït El-Hadj. La réalisatrice a transporté le public, l’espace de deux heures, dans cette ère de poésie lyrique en adaptant le texte extrait du célèbre Qacid El Harraz du poète marocain Cheikh El-Mekki Ben El-Qorchi déjà interprété par des chanteurs de renom à l’instar de Abdelkrim Dali et le chantre du chaâbi, le regretté El-Hachemi Guerrouabi. Forte de talentueux artistes, mais aussi des ténors de la chanson algérienne Mohamed Laâraf (voix du meddah «louangeur»), Meriem Wafa (voix de Djouhar) et Donia El-Djazairia (voix de Aouicha), la réalisatrice a pu donner forme à plusieurs sentiments contradictoires (amour, joie, mélancolie et tristesse). Cette nouvelle production a réuni un trio composé de la réalisatrice Fouzia Aït El-Hadj, le dramaturge Mohamed Cherchell et le compositeur Mohamed Boulifa qui a déjà collaboré avec la réalisatrice dans Nouba à El-Andalous et Houb wa djounoune fi zmen el-mahboub. La pièce met en vedette l’artiste Hamid Gouri, Abdelaziz Charef, Ali Djebara, Faïza Amel, Abdelkrim Beriber, Karima Belbaz, Ahmed Merzougui ainsi que les deux nouvelles figures Nesrine Serguini et Saliha Idja. Dans une conférence de presse au TNA la veille de la générale de la pièce produite par le théâtre régional de Tizi Ouzou dans le cadre de la manifestation «Alger, capitale de la culture arabe 2007», l’équipe est revenue sur les préparatifs. La réalisatrice a indiqué que la pièce a mobilisé 74 créateurs, entre comédiens et techniciens. Elle a également insisté sur le fait que la pièce qu’elle comptait présenter au public se distinguait par son âme algérienne qui transparaît à travers les différents genres musicaux algériens représentés, les costumes ou encore le décor, signés Noureddine Zeidoune.

    R. C. / APS

Académie Renée Vivien |
faffoo |
little voice |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | alacroiseedesarts
| Sud
| éditer livre, agent littéra...